Un débat qui ne manque pas d’EPR

Le gouvernement souhaite accélérer les modalités d’autorisation ouvrant droit à construction de nouveaux réacteurs. Quoi qu’il en soit, il faut pourtant en passer par un débat public, obligatoire. Cela se déroulera donc. Mais dans quelles conditions démocratiques ? Et de quel projet nucléaire est-il question d’ailleurs ?

 

(visuel des EPR2 de Penly ; source : CNDP)

Ce 27 octobre 2022, s’ouvrira enfin un débat public concernant les nouveaux réacteurs nucléaires en général et le projet Penly (Seine-Maritime) en particulier. Le débat se clôturera le 27 février 2023. Une chaine dédiée a été créée pour l’occasion par la CNDP, l’organisme en charge d’assurer la tenue des événements.

// En Bref //

• Un débat public débute, aux périmètres restreints

• Le gouvernement fait voeu qu’il soit expéditif et que les travaux de construction débutent le plus rapidement possible

• Les EPR2 proposés sont simplifiés d’un point de vue économique et de génie civil

• Rien des causes de quelques dysfonctionnements (vibrations…) n’est résolu

• Sur le fond, EPR et EPR2 sont identiques mais les concept et design n’ont pas fait la preuve d’un fonctionnement efficient

• Faute de projet français finalement retenu, l’hypothèse d’une solution chinoise reste plausible

// En Bref //

Un projet privilégié, des doléances agrafées en annexes 

 

Enfin le débat démocratique que d’aucuns réclament ? Rien n’est moins sûr.

D’abord, nous pouvons nous étonner que les dates publiques soient si peu nombreuses, que les débats supposément ‘très  larges’ soient circonscrits à des problématiques peu éclairantes et à des zones géographiques : hormis les alentours de Penly (Tréport, Caen. ..), seules les villes de Paris, Lille, Lyon et Tours accueilleront des demi-journées d’échanges. Mais c’est que cette saisine qui fait obligation à EDF n’est tout simplement pas un référendum, ce qui n’aidera pas à susciter une large mobilisation et un gros intérêt dans de telles conditions.

Finalement, les citoyens Français semblent restés tenus éloignés du champ décisionnel concernant les objectifs programmatiques nucléaires, comme depuis plus de quarante ans et les débuts de la construction des réacteurs civils. A tel point que ce manquement organisationnel va être pallié par certains citoyens eux-mêmes, certes anti-nucléaires : ils profiteront de la diffusion de leur film autoproduit pour favoriser les échanges que le gouvernement souhaite rapides. Un projet militant que nous suivons.

Malgré les cadres constitutionnel, législatif et réglementaire qui s’imposent, le gouvernement veut accélérer les calendriers, et le fait savoir, notamment via un ‘projet de loi visant à accélérer la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sitesnucléaires existants’. Cette volonté politique clairement médiatisée intervient avant que les débats publics et parlementaires sur la construction nucléaire et la stratégie énergétique de la France aient pu avoir lieu, ce qui est une façon de les vider de leur intérêt éventuel et de dégonfler les motivations. Le projet de loi serait présenté début novembre en conseil des ministres et adopté avant la fin du premier trimestre 2023, soit avant que la CNDP n’ait rendu ses conclusions et que les députés ne soient consultés sur la loi de programmation sur l’énergie et le climat prévue au second semestre 2023. Pour Macron, l’objectif premier est de relancer dans les meilleurs délais la filière nucléaire, coûte que coûte, d’assurer symboliquement le démarrage des travaux pour les deux premières unités ait lieu avant la fin son ultime quinquennat.

Ces projets visent la qualification d’intérêt général majeur et à être soutenus administrativement par des simplifications de procédures d’urbanisme, environnementales… voire par des dérogations étendues. Ces délais sont jugés insuffisants par de nombreux intervenants, cependant que d’autres se plaignent que l’annonce de l’exécutif porte préjudice à leurs rôle et mission, au premier rang desquels le CNDP lui-même.

Dans un avenir proche, sans doute les stratégies seront réitérées dans le cadre des débats publics organisés pour les sites de Gravelines (Nord) et du Bugey (Ain) ou du Tricastin (Drôme), sites envisagés avec une forte probabilité pour accueillir les deux autres paires de réacteurs.

Enfin, au-delà du simple débat sur la poursuite ou non de la production énergétique d’origine nucléaire, de quelle technologie parlerait-on ? Si chacun a bien intégré que l’usage du nucléaire civil ne fait guère de doute dans les têtes de nos gouvernants pour viser les objectifs de décarbonation, les modèles ne semblent pas forcément arrêtés.

Quelles bases de travail et de réflexion ?

 

Un dossier de maitrise d’ouvrage a été déposé et rendu disponible par la CNDP.

EDF y défend sa capacité à maîtriser un programme industriel de cette envergure, sur la base de divers retours d’expérience, soit les premières têtes  de série que sont les EPR en France et à l’étranger. Le futur exploitant est bien conscient des manquements divers et très variés de ses expérimentations mais assure être totalement mobilisé dorénavant pour s’atteler à un ‘programme de dérisquage’ du nouveau modèle de réacteur EPR2, soit un nouveau EPR NM (nouveau modèle) lui-même révisé de l’EPR.

Une base de travail qui permettrait de projeter cette fois un calendrier rigoureux : EDF annonce trois ans et demi environ pour les travaux préparatoires dès l’obtention du permis de construire, neuf ans environ pour la construction du premier réacteur du programme à partir du premier béton de l’îlot nucléaire (bâtiment réacteur notamment), et un délai entre les deux réacteurs d’une même paire de 18 mois (entre les jalons « premier béton »). Le gouvernement est prié de le croire, cependant  que le réacteur EPR de Flamanville (FLA3) entre dans sa phase de préexploitation quinze ans tout de même après la signature de son Décret d’autorisation de création (DAC). La Cour des Comptes avait déjà estimé l’estimation initiale de la durée et du coût de construction irréaliste :

  Alors que le temps moyen de construction d’un réacteur dans le monde avait été de 121 mois entre 1996 et 2000, la durée initiale de construction retenue pour l’EPR de Flamanville était de 54 mois, soit six mois de plus que la durée initialement prévue pour la construction du réacteur finlandais d’Olkiluoto 3 [OL3]. Cette sous-estimation flagrante de la durée de construction a conduit à une forte pression pour tenter de tenir des délais très contraints.

Une forte pression, avec quelles conséquences. Cela a conduit à des lacunes de contrôle qualité, des écarts de qualité dans la fabrication, le montage…, pas seulement dus aux pertes de compétences que de nombreux rapports n’auront cessé de souligner,  et jusqu’au PDG d’EDF lui-même. Dans l’optique de ce programme, ces compétences pointues ne sont pas à occulter : les besoins supposeraient un recrutement de 4 000 ingénieurs par an dès maintenant pour anticiper les constructions à venir. Actuellement, le problème est tel qu’il est fait appel à des soudeurs américains pour pallier la pénurie de main d’œuvre qualifiée et tenir des délais impartis de redémarrage).

A travers EPR2, il s’agit maintenant, selon EDF, de viser à réduire les exécutions multiples faisant intervenir de trop nombreux intervenants, de limiter le taux de nouveautés sur le plan technique, de standardiser. En un mot : faire évoluer le projet EPR vers une optimisation.

(détails du dossier émis par EDF)

Un dossier parsemé de généralités, rien de moins qu’attendues. Mais, au-delà de ces lapalissades concernant les mesures de sûreté, en quoi les EPR2 seraient mieux conçus, auraient fait quelconque preuve de pouvoir être exploités au moins 60 ans ?

Toujours selon le futur exploitant EDF, ces EPR de nouvelle génération ‘intégreront, dès leur conception, les conséquences du réchauffement climatique’, pressenties peut-être d’ailleurs comme plus intenses que prévues…  Grâce à l’expérience FLA3, la constructibilité de l’enceinte du réacteur EPR2 a été améliorée « sans remettre en cause le niveau de sûreté, avec les mêmes performances que l’enceinte de l’EPR en termes de confinement et de résistance aux agressions externes ». Comment ? En revenant à une simple enceinte de confinement (une enceinte en béton avec une paroi épaisse précontrainte unique, et un revêtement métallique interne), la double enceinte de l’EPR vendue initialement comme une mesure de sûreté améliorée ne se révélant plus finalement si indispensable pour fortifier un tel édifice. Ou faut-il prendre en compte que cette solution se révélait en fait bien compliquée à façonner et donc moins économique in fine ?

En fait, , il y a simplification à tous les étages, pour des raisons économiques en premier lieu : le récupérateur de corium a été révisé, la protection de la station de pompage est dorénavant basée sur un bâtiment « bunkérisé » unique, les systèmes de sûreté sont constitués de trois trains au lieu de quatre initiaux… EDF prévoit enfin de supprimer le bâtiment des auxiliaires nucléaires dont les systèmes sont répartis dans d’autres bâtiments (bâtiments des auxiliaires de sauvegarde BAS et bâtiment du combustible BK).

Dans le but d’une simplification de la conception mais aussi de la conduite du réacteur, et donc subséquemment, de la sûreté, que chacun se rassure. Avec toujours en ligne de fuite les mêmes exigences de sûreté la plus élevée. Fort heureusement.

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes 

 

Un débat public ne saurait se contenter des éléments de la partie directement prenante aux destinées nucléaires. Comme il s’agissait de compléter le dossier de maître d’ouvrage un peu trop lissé des aspérités historiques de l’aventure EPR de Flamanville, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a donc aussi produit quelques documents techniques résumant les « aléas » de FLA3.

Soit, selon le premier rapport, un retour plus précis sur les inadéquates méthodes de bétonnage, le traitement des reprises, les soudures légères de tôles de la peau d’étanchéité de l’enceinte de confinement, la présence de « nids de cailloux » dans les parois de la piscine de désactivation du combustible… Mais surtout, un excès de carbone dans l’acier de la cuve et de son couvercle, des vibrations de la ligne d’expansion et les problèmes de soupapes du pressuriseur, des soudures à refaire sur les tuyauteries de vapeur principales…, des anomalies détectées sur des éléments jouant « un rôle essentiel dans la sûreté des installations ». Une liste assez dense des écarts qui auront révélé des défaillances dans l’organisation même d’EDF et/ou de ses sociétés prestataires.


(le fameux TMD déjà évoqué pour amortir les vibrations)

L’objet de ces pages techniques est bien de permettre au public de s’informer de façon plus éclairée et de se forger son opinion sur l’état de nos compétences, de se projeter sur l’avenir du nucléaire au regard d’une photographie. Nous y devinons de prime abord des résultats finaux ne correspondant pas aux attentes du cahier des charges, aux exigences techniques.

En telle situation, l’EPR2, basé sur l’EPR et révisé à la marge, ne semble pas strictement répondre aux attentes simulées. Simulées ? Oui, il est maintenant largement répandu d’avoir usage de modèles exclusivement numérisés et l’EPR2 n’y fait pas exception : pour il est un réacteur conçu entièrement à partir de données numériques, géré sous forme « data centric » qui permettrait selon ses concepteurs et ingénieurs de limiter les sources d’erreurs. Des promesses qui apparaissent vraisemblablement vaines, pour le moins imparfaites.

Les non-dits et les détails presque tus

 

Malheureusement, les mises en route et autres tests auront révélé des surprises. Outre une « sous-performance technique » des échangeurs du circuit de réfrigération intermédiaire des systèmes auxiliaires du réacteur, le surdimensionnement des composants, à des fins de gagner des marges de puissance, provoque finalement des aléas techniques imprévus. Ce qui s’avère en définitive plus problématique pour un réacteur supposé fonctionner des décennies et qui ne réagit pas comme envisagé au bout de seulement quelques mois.

A ce titre, le retour d’expérience des réacteurs EPR de Taishan (Chine) confirme cet état de fait : tout est plus compliqué, hors de toute proportion. Cela est par exemple le cas des fluctuations neutroniques qui auront entraîné la rupture de ressorts de maintien d’assemblages de combustibles en périphérie du cœur. Cela ne se passe donc pas totalement comme simulé, malgré les outils informatiques et modèles mathématiques performants. À moyen terme, « EDF [doit envisager] une modification du fond de cuve visant à supprimer, ou du moins fortement limiter, les variations de débit […] ». Voilà pour la partie médiatisée du réacteur de Taishan.

En attendant, notre tête de série FLA3 sera toutefois autorisée à fonctionner à sa puissance maximale de 1650 MW. Cela a été confirmé lors de la réunion du 20 Octobre 2022 de la CLI de Flamanville. Inutile pour les citoyens férus de transparence et d’informations actualisées de chercher le contenu des échanges sur le site dédié, le site n’est pas à jour. Ce  qui n’étonnera pas nos lecteurs, toutes ces instances d’information locale étant déficientes sur l’objet même de leur existence.

Dans ce document cédé à la CNDP, l’IRSN revient sur bien d’autres signalements que l’Institut aura émis discrètement auparavant. De quoi compléter la liste antérieure.

Le 7 juillet 2022, l’IRSN, ci-devant bras armé technique et scientifique de l’ASN, revenait par exemple sur les causes et conséquences des vibrations (encore d’autres !) affectant les groupes de motopompes primaires (GMPP). Situées au niveau de chaque générateur de vapeur, ces éléments participent à l’intégrité de la seconde barrière de confinement. Lors de phases de tests (des essais à chaud dits EAC2), des phénomènes vibratoires globaux étaient donc constatés, phénomènes inattendus dont les causes ne sont malheureusement toujours pas arrêtées et que l’exploitant reste curieusement dans l’incapacité de justifier. Cela a pourtant son importance car les vibrations du GMPP engendrent une ‘sollicitation en fatigue’ supplémentaire sur des pièces (usure de joints en raison de frottements plus importants…). Usure sans impact selon EDF sur la stabilité de l’ensemble des groupes de motopompes et sans répercussion sur le circuit primaire. Le réacteur est supposé pourvoir être démarré  en l’état, les ‘critères d’alarme’ n’étant pas atteints. Il restera tout de même à assurer un contrôle continu et à changer un peu plus souvent les pièces concernées. Le problème de dimensionnement reste encore entier.

  L’IRSN rappelle que, pour les réacteurs EPR de Taishan, le même phénomène vibratoire que sur l’EPR FA3 a été rencontré et que des fluctuations transitoires ont été observées pour le réacteur d’Olkiluoto [en Finlande]. Les GMPP montés sur la filière EPR sont de dimensions supérieures que ceux montés sur le parc français en exploitation. L’anomalie détectée par EDF sur l’EPR FA3 apparaît donc partagée au sein de la filière EPR et pourrait être liée à un changement d’échelle […]. 

Encore, cette lettre du 18 juillet 2022 dans laquelle il s’agissait de statuer sur les examens des essais relatifs au comportement vibratoire des internes de cuve de la tête  de série EPR (TTS EPR, le réacteur de Flamanville donc). Les contraintes thermohydrauliques, de pression, mécaniques et neutroniques sont nombreuses dans une cuve, c’est le moins que l’on puisse dire. De ce contexte multifactoriel naissent des fluctuations dues à la mécanique des fluides, théorie sensible à anticiper en pareille configuration extrême. Des phénomènes de résonance et de cavitation peuvent alors subvenir et dégrader les équipements.

(source : IRSN)

Justement, des amplitudes vibratoires mesurées au niveau des guides de grappe (GDG) ont été significativement supérieures aux prévisions. Rien d’inquiétant d’après les résultats obtenus, même si certaines usures de matériels auront occasionné l’arrêt des réacteurs de Taishan pour des raisons vibratoires opérationnelles identiques. Les risques de comportement instables et de fatigue vibratoire lors d’un grand nombre de cycles sont écartés, les retours  d’expérience (REX) s’avérant négatifs. Une fois encore, on reste sereins.

  Néanmoins, il conviendra qu’EDF confirme le bon comportement des internes de cuve, une fois le cœur de FA3 chargé dans la cuve, et vérifie le temps de chute des grappes avec un débit nominal dans chaque boucle du circuit primaire.

Quoi d’autre dans le courrier du 21 juillet dernier ? Il est cette fois question de démonstration de sûreté et suffisance du programme d’essais physiques via un retour d’expérience des premiers EPR mis en service. Qu’y apprend-on ?

  L’’IRSN estime que, en l’état des connaissances, des difficultés de modélisation de la distribution radiale de puissance de l’EPR FA3 pour les cycles ultérieurs au premier cycle ne peuvent pas être exclues. Le REX des essais physiques de redémarrage du premier EPR montre que les mesures réalisées à puissance nulle […] peuvent être interprétées et valorisées afin d’établir une cartographie de la distribution de puissance. Les caractéristiques [des fluctuations de flux neutronique] s’écartent de celles observées sur les réacteurs du parc en exploitation, tant du point de vue de leur amplitude que de leur évolution en cours de cycle [par la faute de la conception du fond de cuve]. […] Ces fluctuations conduisent à des oscillations latérales des assemblages de combustible et à des variations des jeux entre ces assemblages et des fluctuations de température de l’eau. [Malgré des tests sur des installations expérimentales], les conséquences de ces fluctuations sur les assemblages de combustible et le flux neutronique [n’ont] pas été anticipées. […]Ces analyses montrent que la liste des exigences fonctionnelles relatives à la conception thermohydraulique du cœur de l’EPR FA3 n’est pas exhaustive […].Les [fluctuations de flux neutronique] peuvent entrainer une sollicitation accrue des grappes de contrôle, via la chaine de régulation de la température moyenne du circuit primaire, et un risque de déclenchements intempestifs d’alarmes ou d’arrêts automatiques du réacteur. 

Encore une fois, afin d’évaluer des conséquences (ici concernant le dimensionnement des seuils de surveillance et de protection du cœur), EDF a développé une démarche d’analyse s’appuyant sur un modèle mathématique. Des simulations quoi. Ce qui ne plait guère à l’IRSN puisque ce modèle n’a pas fait l’objet d’une validation de sa part. Pour l’IRSN, aucune démonstration de sureté n’est apportée, les éléments d’EDF se révélant carrément insuffisants. Ce qui n’est pas anodin : selon les retours d’expérience, les oscillations latérales des assemblages sont aussi à l’origine de dégradations des grilles de maintien de certains assemblages de combustible situés en périphérie du cœur.

Là, typiquement, il ne s’agit rien de moins que d’un défaut de conception. Conséquence directe de cette ‘anomalie’ ? L’IRSN exige ‘une modification matérielle pérenne permettant d’optimiser l’hydraulique dans le plenum inférieur de la cuve (partie située entre le fond de la cuve et la plaque support du cœur), de limiter l’ampleur des fluctuations de débit en entrée du cœur et ainsi de résorber l’anomalie de conception du plenum inférieur et ses conséquences’.

En attendant de résoudre toute cause définitivement, EDF a déjàcommandé 64 nouveaux éléments combustibles renforcés. Quant à l’installation d’un déflecteur en fond de cuve pour éliminer les perturbations thermiques et hydrauliques, elle n’est pas encore entérinée ; tout simplement car pour Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe EDF en charge de l’ingénierie et des projets de nouveau nucléaire, « il n’y a pas de souci empêchant un fonctionnement du réacteur à plein régime ».

En sus, EDF pallie une autre lacune (un problème  de dilution de bore, élément modérateur dans la réaction neutronique) par l’ajout d’une alarme, ce qui ne satisfait pas plus l’IRSN qui attend que ce problème soit totalement résorbé pour supprimer une alarme totalement superfétatoire. Bref, les experts de l’IRSN jugent insuffisantes les démonstrations de sûreté si l’EPR devait rencontrer des conditions de fonctionnement accidentelles, attendent d’EDF que des modifications de matériel soient opérées en fond de cuve. De quoi retarder d’autant la mise en fonctionnement de l’EPR de Flamanville si l’ASN suivait les préconisations de l’IRSN, ce qu’elle ne manque jamais de faire.

Par contre, le document remis à la CNDP ne revient pas sur un des derniers courriers. Celui du 22 juillet, dans lequel l’IRSN interroge EDF au sujet de l’écart de réalisation du traitement thermique de détensionnement des soudures des circuits secondaires principaux. Pas anodin pourtant en ce qu’il concerne des soudures des générateurs de vapeur.

Nous apprenons qu’un traitement thermique de détensionnement (TTD) a été réalisé sur les soudures des circuits secondaires principaux (CSP) de l’EPR de Flamanville EL3 afin de restaurer les propriétés du métal modifiées par le soudage et de relaxer les tensions internes apparues lors de celui-ci. Mais ’un écart identifié sur les TTD des générateurs de vapeur a été détecté, susceptible d’altérer les propriétés mécaniques des éléments concernés. Rien de moins. Décidément, les soudures sont un problème récurrent sur ce réacteur.

Ce défaut qualitatif engendre « un risque de sous-revenu et de sur-revenu pour l’ensemble des soudures », de géométrie simple ou complexe, soit pas moins de cinquante-quatre. C’est que la méthodologie reposait encore sur des approches par simulation, interventions fonction des couples diamètre/épaisseur de tuyauterie pour convenir des températures adéquates devant concerner chacune des largeurs de chaque soudure considérée. Des modélisations compliquées compte tenu de la diversité des cas et de la complexité de certaines configurations de soudures. Ce qui a compliqué les reprises, dont la réussite sur le seul positionnement micrométrée des zones de chauffe. Les écarts intervenus lors de la transposition de la simulation à la réalité n’ont pas manqué, même s’ils satisfont les attentes de l’IRSN.

Le 29 juillet 2022, enfin, l’IRSN revenait sur l’évaluation de la contrôlabilité ultrasonore des soudures, relative à un écart de conception concernant trois piquages du circuit primaire principal (CPP) du réacteur FLA3, raccordés à la tuyauterie du CPP (par l’intermédiaire desdites soudures).

Le traitement de cet écart consiste à mettre en place un collier de maintien au niveau des piquages qui étaient intégrés dans un périmètre d’exclusion de rupture. Les principes dérogatoires tels celui d’exclusion de rupture, multipliés dans le cas de ce projet de réacteur, montrent clairement leur limite quand il s’agit d’assurer une efficience de sûreté : si l’exclusion de rupture attribuée à un équipement (cuve, générateur de vapeur, circuit primaire ou circuit secondaire) suppose une probabilité de rupture de ces pièces si faible que la rupture est réputée impossible, elle repose sur une ‘tolérance zéro’ vis-à-vis des défauts de fabrication, sur une excellence de conception irréprochable et sur des réalisations conformes, ici comme bien d’autres fois largement désavouées sur ce projet.

Pour l’IRSN, ce type de rafistolage rappelle l’adjonction du TMD (voir supra) mais aura permis d’aboutir à la mise en œuvre d’une solution permettant de garantir l’absence de défauts dits inacceptables.

EDF dispose de photomontages précis faisant figurés la paire d’EPR2. Confiante de ses plans larges. Dans son dossier généraliste, toute à une communication édulcorée, l’exploitant vise d’ores et déjà à ce que ses EPR2 s’inscrivent dans la continuité des réacteurs EPR, fassent leur preuve d’efficacité, de maitrises technique et technologique à l’usage, la conception prenant théoriquement pleinement en compte les retours d’expérience des réacteurs existants et les leçons des accidents majeurs, y compris celui de la centrale de Fukushima-Daïchi, etc. Image léchée, idéalisée.

Dans les faits, beaucoup de modifications ont été apportées, des imperfections ajustées, en dehors du guide d’exploitation et de trop nombreux phénomènes imprévus se sont fait jour, des problèmes pas forcément résolus d’ailleurs, plus ou moins graves, et présentés comme étant en cours d’aménagements ou amoindris grâce à des solutions opérées par EDF, concluantes, satisfaisantes. Du point de vue d’une ingénierie qualifiée comme la meilleure mondiale, sertie d’excellence, rien n’est strictement juste dans la présentation de l’exploitant.

Pourtant, malgré tout, EDF n’en prévoit pas moins de reconduire certains principes d’exclusion de rupture (sur la cuve, les tuyauteries des circuits primaires et secondaires principaux …), cependant que l’ASN juge ce recours non acceptable.

Nous sommes priés de croire aux ‘avancées notables en termes de sûreté’, en des choix de conception effectués ‘de nature à garantir un niveau de sûreté’ au moins équivalent à celui de l’EPR. Que l’aspect économique, en partie tirée de la construction « par paire » des réacteurs EPR2 et de la mutualisation de certains bâtiments nécessaires à l’exploitation, n’est pas l’élément prépondérant de ce nouveau programme nucléaire.

Une hypothèse chinoise crédible ?

 

Et si les EPR2 ne satisfaisaient pas finalement aux attentes de l’ASN ? Rien n’est impossible. Aussi, le deuxième document fourni à la lecture de chacun via la CNDP laisse présager  des alternatives.

Il est question des SMR, chaque fois prétendus comme une solution d’avenir mais toujours en phase d’étude prolongée. Outre cette alternative, l’IRSN passe en revue les réacteurs concurrents de 3ème génération. Parmi les grands acteurs étrangers en capacité de construire des tels réacteurs nucléaires civils, la Chine se distingue par sa capacité de proposer un modèle éprouvé : le HPR-1000.

Avec la mise en service de ce premier réacteur à Fuqing fin 2020, la Chine dispose en effet désormais d’une technologie domestique pour son marché domestique et la destine au déploiement international. Ce modèle qu’est le Hualong-One est également un réacteur à eau sous pression, développé en commun par les entreprises chinoises China General Nuclear Power Corporation (CGNPC) et Compagnie nucléaire nationale chinoise (CNNC) et dont la conception repose sur un mix des technologies américaine, russe et française.

Oui, comme à son habitude, à force de transferts de technologie, depuis 1992 mises en place et sans cesse renouvelées à travers divers programmes communs, la Chine a su tirer profit des AP1000 de Westinghouse (Etats-Unis) et des EPR de Taishan (France). Le Hualong One conjugue des systèmes mixtes de sauvegarde passifs et/ou actifs pour intervenir dans le cadre d’accidents graves, intègre la rétention du corium et son refroidissement externe, comprend une double enceinte de confinement… Bref, ce modèle de  convergence vise clairement à entrer en concurrence directe avec les entreprises initiatrices des partenariats commerciaux.

Et en quoi envisager des EPR chinois sur le sol français ? C’est qu’une phase de certification est en cours en Grande-Bretagne pourrait permettre cette incursion. Cette hypothèse de vente de réacteurs chinois sur le sol métropolitain est en tout cas sérieusement avancée par le journaliste Marc Enderweld.

  Seuls les Chinois ont les moyens d’investir. Ils disposent de fonds énormes qui leur permettent de décider des investissements colossaux. En réalité, ce ne serait pas la première fois que la France ferait appel à un pays étranger pour relancer son programme nucléaire. […]Construire un réacteur nucléaire est extraordinairement complexe et nécessite de multiples corps de métiers (des ingénieurs, des électriciens, des chaudronniers, etc.). Ces dernières années, la filière hexagonale a particulièrement souffert, entre l’arrêt de la construction de nouvelles centrales en France et les difficultés post-Fukushima à l’international. Les départs à la retraite se sont multipliés, sans que la transmission entre générations soit assurée. […] À l’inverse, les entreprises chinoises du nucléaire n’ont jamais arrêté de construire des réacteurs. Résultat, la Chine dispose de filières solides de sous-traitance dans le domaine, sans compter un nombre important d’ingénieurs. […] La Chine [aura commandé quatre centrales AP1000 aux Américains de Westinghouse et deux EPR à EDF finalement allié à Areva]. La coopération entre EDF et les Chinois de CGN connaît en fait une accélération fulgurante durant le quinquennat de Sarkozy. […] Au printemps 2012, […] pour EDF, il s’agit de se fournir en priorité auprès des industriels chinois du nucléaire, et CGNPC se propose de servir aux Français d’interface principale pour organiser cette nouvelle supply chain [chaine d’approvisionnement]… de fait, principalement chinoise. CGNPC pourra ainsi apporter des services et assurer l’approvisionnement en fournitures des centrales « exploitées par EDF ». […] Autant dire que l’électricien national souhaite externaliser en Chine l’industrie nucléaire française, tout en facilitant pour les sous-traitants chinois l’accès aux marchés européens et à ceux d’EDF. […] Cette coopération sur le nucléaire entre la France et la Chine s’intensifie entre 2013 et 2015. Durant cette période, il est admis au plus haut niveau de l’État que l’avenir du nucléaire passe forcément par la Chine. Chez EDF, le nouveau PDG, Jean-Bernard Lévy, ne cache pas qu’il compte utiliser les capacités industrielles chinoises pour assurer le bon fonctionnement de la filière nucléaire française. […] Cette coopération renforcée entre EDF et la Chine se concrétise au Royaume-Uni [avec le projet d’EPR à Hinkley Point]. […]Si les Chinois de CGN acceptent de participer au financement des EPR sur les sites d’Hinkley Point C et de Sizewell C, [c’est car] les accords stipulent que c’est leur réacteur Hualong […] qui doit être construit, [avec dans le viseur] la qualification du Hualong par l’autorité de sûreté britannique, et par la même l’accès au marché international. Pour la certification, EDF va jusqu’à se porter garant de ce réacteur chinois au Royaume-Uni [les accords prévoient qu’EDF participe au processus de certification effectué par le régulateur britannique]. […] Côté français, [malgré les réticences de nombreux responsables politiques] le ministre de l’Économie [d’alors Macron] tient particulièrement à la signature de ces contrats […] : « le projet d’Hinkley Point promeut dans le monde notre savoir-faire dans cette technologie majeure. C’est aussi un projet nécessaire pour la présence d’EDF en Grande-Bretagne ». […] En échange, CGN donne accès aux droits d’usage de la propriété intellectuelle de l’adaptation anglaise du Hualong au groupe français. EDF se voit ainsi octroyer le droit de construire le réacteur Hualong seul en France [également, avec CGNPC au Royaume-Uni et dans le monde en dehors de la Chine]. […] Depuis, les Chinois ont réussi à mettre en service le premier EPR au monde à Taishan, […] bien avant qu’EDF et Areva parviennent à le faire en Europe […] en cinq ans à peine et […] pour un coût inférieur à 6 milliards de dollars. […] « En réalité, Macron a lâché l’EPR mais pas le nucléaire. On assiste à la fin de l’EPR, mais c’est quoi la suite ? C’est la Chine pour remplacer le parc. Leur réacteur, le Hualong, est constructible en France dès 2022 », ose un spécialiste du secteur mais sans [apporter] de faits tangibles. De leur côté, plusieurs proches [du PDG d’EDF opposent] le « secret-défense » quand [est évoquée] cette hypothèse chinoise.

Pour farfelue que paraisse cette éventualité, il faut mettre en perspective ces éléments avec le contexte historique qui prévalait en cette période. Soit, en termes géopolitiques, une intensification flagrante des relations entre la Chine et la France lors de ces dernières années, via des personnalités politiques devenues des gouvernants de premier plan, divers acteurs du nucléaire français qui avaient leur rond de serviette au sein de France China Foundation.

Qui retrouve-t-on/retrouvait-on dans cette instance, via son programme ‘Young Leaders’ ? La présidente de la commission nationale du débat public (CNDP), Chantal Jouanno, mais également Benoit Ribadeau-Dumas (ancien directeur de cabinet du Premier ministre Philippe), Edouard Philippe justement (qui fut directeur de communication d’une Areva endettée puis reconfigurée façon Orano) et bien d’autres… Seul Macron aura renoncé in extremis à y apparaitre. Des liens et liaisons qui interrogent encore.

C’est un fait qui peut peser. Si le design de l’EPR et donc de l’EPR2 devait être remis en cause, l’éventualité de construction de réacteurs chinois resterait entière. Le gouvernement voulant accélérer la construction du nouveau nucléaire français (projet NNF), renouveler le design de l’EPR2, incluant la confection de maquettes, les tests chronophages…, parait totalement infaisable pour entrer dans le cadre condensé de ce rétro-planning. Aussi, le scénario chinois dans le nucléaire français est encore totalement plausible.

Aujourd’hui, la présidente de la CNDP déplore que « les grandes décisions publiques » soient « réservées aux experts », et justifie la violence des débats sur le nucléaire par le « fait », asséné comme une vérité. Les vérités sont parfois obscures. Pas toujours, oui.

Mais retenons que les accords commerciaux entre Paris et Pékin n’ont jamais été inconséquents. En négociation depuis une dizaine d’années, un contrat portant sur la construction en Chine d’une usine de traitement de combustibles nucléaires usagés, évalué à plus de 20 milliards d’euros, souligne l’importance des discussions qui n’ont jamais cessé. Un tel contrat ouvrirait droit à des débouchés et des enjeux d’importance pour la filière nucléaire en général, Orano en particulier : la future usine pourrait traiterjusqu’à 800 tonnes de combustibles usagés par an, permettant d’en recycler une partie sous forme de « MOX », un mélange de plutonium usagé et d’uranium appauvri.

Si les réacteurs de 900 MW du parc nucléaire actuel se sont adaptés à l’utilisation du MOX, les EPR2 sont aussi destinés à utiliser ce composé de recyclage. Un élément stratégique primordial pour la filière dans le cadre du traitement-recyclage des combustibles qu’elle a toujours soutenu.

Autre point d’importance : cette perspective permettrait de réduire avantageusement les volumes de ‘matières revalorisables’ et les déchets. Dans tous les cas de figure, les instances prépare l’opinion publique à la progressivité et l’adaptabilité du projet Cigéo : des études préliminaires montrent que tout nouveau déchets HA et MA-VL générés par les six EPR2 engendrerait sans difficulté rédhibitoire une emprise souterraine des ouvrages majorée, les exigences de sûreté en exploitation et à long terme étant respectées. Seule la durée de fonctionnement de Cigéo sera allongée.

  La prise en compte de l’inventaire des déchets produits par le projet NNF dans Cigéo conduirait à un allongement de la durée de vie de l’installation, une augmentation de l’emprise du stockage, et un impact radiologique dans des proportions dépendantes de la stratégie de retraitement retenue, selon l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs)

L’avenir proche nous éclairera sur les volontés politiques qui se jouent. En attendant, rappelons que le dernier débat public devant permettre autorisation de construction d’un second EPR à Penly a été abandonné, sous Sarkozy, en 2008.

Parallèlement à son vœu d’accélérer les procédures, le gouvernement veut éviter toute nouvelle mauvaise surprise : une modification législative discrète vise à éviter que de vieux réacteurs dysfonctionnels soient de facto stoppés définitivement en cas d’arrêt prolongé de plus de deux ans. Il est vrai que compte tenu du vieillissement de chacun d’entre eux, des problèmes qui se révèlent parfois avec l’âge, EDF ne pouvait se prétendre à l’abri de ce genre de fermeture administrative… Cela avait été évité de justesse pour le réacteur numéro 2 de Flamanville arrêté depuis 23 mois consécutifs. Et il ne s’agit pas qu’un tel scénario se réalise à nouveau dans les années à venir au regard des objectifs de production électrique projetés et que la France se doit d’honorer.

En matière nucléaire, nous ne sommes jamasi trop prudents.