L’IRSN et sauve ?

Après plus de 15 ans de service, l’IRSN et l’ASN sont voués à fusionner, selon la forte volonté du gouvernement. Reportée pour causes de fronde et d’errement législatifs, cette réforme est un projet essentiel pour l’Etat dans le cadre du nouveau programme nucléaire français. Après diverses mésaventures au sein de la filière nucléaire, certains présagent une pure absorption de l’IRSN afin de mieux la contraindre aux intérêts politiques sensibles du secteur. D’ailleurs, le système actuel souffre-t-il d’un manque d’efficience ? Quelles améliorations proposées avancées pourraient y pallier ? Visite de l’arrière cuisine garante de la sûreté nucléaire des réacteurs en France.

(source : France Info)

Tout s’accélère dans le secteur nucléaire en France. Ces velléités à construire de nouveaux réacteurs, soutenues par d’innombrables décrets, viennent de trouver un soutien européen longtemps espéré : ce 21 novembre 2023, l’inclusion du nucléaire parmi les technologies vertes a été validée. Une façon d’assurer la compétitivité et la souveraineté de l’Europe face à la Chine et aux Etats-Unis d’après les objectifs premiers du texte. En fait, un règlement qui octroie aux filières concernées des assouplissements réglementaires (simplification et accélération des procédures et des délivrances de permis pour les implantations industrielles, facilités de financement…), cependant que la France avait décontracté ses propres lois, justifié par l’impératif de décarbonation de notre économie. La France aura fait beaucoup d’efforts pour faire basculer cette conclusion à son avantage, notamment en faisant se rallier autour d’elle une dizaine d’autres pays de l’Union Européenne, tels les Pays-Bas, la Suède (qui se vise future championne) ou la Pologne, tous prêts à miser sur la technologie nucléaire promise jusqu’à maintenant à un ralentissement continu.

Depuis quelques mois et parallèlement à divers annonces, l’attention médiatique est portée sur deux instances importantes pour la sûreté nucléaire en France, deux acronymes maintenant largement mémorisés par les citoyens : l’ASN et l’IRSN. Pourquoi cette soudaine popularité ? Car Macron a décidé d’entreprendre une réforme de cette gestion duale de la sûreté nucléaire en vigueur depuis 2006 et qui remplissait toutes les attentes jusque-là, s’enorgueillissait même d’une excellence internationale.

Le Président de l’ASN semble en total accord avec la ferme volonté de l’exécutif. Pourtant, faut-il le souligner, aucune loi ne peut imposer une telle révision de gouvernance : celle de 2006 inscrit d’ailleurs dans le marbre une indépendance que l’action politique actuelle bat en brèche. Comme un paradoxe dans les termes.

(extrait de l’audition de M. Doroszczuk, président de l’ASN, devant la commission parlementaire des affaires économiques ce 8 novembre 2023)

La liste des enjeux est annoncée conséquente. Les moyens seront-ils à la hauteur ? Y a-t-il une volonté d’y répondre favorablement ?

Les efforts ont été croissants depuis le début du programme nucléaire pour accroître la fiabilité organisationnelle dans le secteur de la production d’énergie nucléaire. Ces efforts ne peuvent être relâchés alors que les réacteurs vieillissants sont promis à être prolonger, que de nouvelles constructions doivent surgir de terre, entre autres projets. Face à ces contraintes de plus en plus nombreuses, les facteurs humains et organisationnels vont se révéler essentiels pour pérenniser ‘une excellence de sûreté’ longtemps mise en avant en France. Justement, par cette fusion, le président de l’ASN, pour paraphraser Macron, est convaincu de rendre encore plus efficace la gestion de sûreté, mariage délicat de sûreté réglée (s’appuyant sur des barrières techniques et procédurales pour faire face aux événements prévisibles ou anticipables et réduisant les incertitudes) et de sûreté gérée (organisation permettant de faire face de manière proactive aux événements imprévisibles et visant la gestion de ces incertitudes).

Tout le monde est prié de le croire : cette réforme permettrait de favoriser la sûreté en développant les capacités organisationnelles actuelles, de contribuer à la fluidification des expertises et d’accélérer les prises de décisions. Mais selon ses adversaires, la réforme serait contreproductive : un palier semblant avoir été atteint dans le domaine de la sûreté depuis quelques années, elle ne pourra être qu’inappropriée compte tenu des charges de travail à venir.

// En Bref //

• Une réforme de la sûreté nucléaire est imposée dans un contexte ‘hors norme’

• Les moyens humains, budgétaires et l’indépendance de la future structure ASNR doivent être augmentés pour faire face, ce qui n’est pas certifié

• Actuellement, l’ASN n’est pas strictement indépendante et l’IRSN est considérée comme trop impactante sur la filière nucléaire

• Aucune garantie n’est donnée sur l’avenir de cette gouvernance, en termes d’indépendance accrue, d’autonomie budgétaire stricte, de possibilités de recrutements

• Un recul démocratique pourrait surgir des expertises non publiées en amont des décisions

• La fusion a toujours été jugée de longue date inappopriée et inefficace au regard de la primauté des missions de sûreté

• L’ASNR va devoir accompagner de nouveaux acteurs dans leur projet de SMR, non rompus aux standards de sûreté et au niveau d’excellence inférieur

• Une déstabilisation totale de l’autorité de sûreté serait malvenue alors que de nombreuses échéances vont s’imposer. 

• Les intérêts politiques sont-ils au maintien et à l’amélioration de la sûreté nucléaire ?

// En Bref //

Une fusion à portée de vote

 

A la différence du bien en peine projet Iter, la France espère cette fois la réussite pleine et entière d’une autre fusion. Celle des deux organismes en charge de la sûreté. Mais cela est-il plus simple ?

En février 2023, l’annonce après un Conseil de politique nucléaire à l’Élysée de la fusion de l’ASN et de l’IRSN fait l’effet d’une bombe H. Normal, cette réforme s’inspire d’un rapport rédigé par un responsable du Commissariat de l’énergie atomique (et aux énergies alternatives ! Le CEA). A cette époque, douze jours sont donnés aux dirigeants de l’ASN et de l’IRSN pour préparer cette fusion exigée, l’ASN phagocytant un institut (l’IRSN) plus gros de trois fois sa taille.

Seulement, un cavalier législatif un peu trop cavalier aura raison de cette tentative. Une stratégie du choc qui évitait soigneusement de publier une étude d’impact, un échec bienvenu pour l’ancienne ministre de l’Environnement Pompili qui jugera cette réforme pure ‘folie’. Autant dire que l’effet de souffle de la déflagration était anticipé en classant ‘secret-défense’ par Macron lui-même le rapport originel. Camouflé, ce projet n’en sera pas moins repéré et retoqué par le Parlement en mars.

Action. Réaction en chaîne. Pas moins rapidement, s’effectueront dès avril 2023 une saisine téléguidée de l’OPECST, des auditions à huis clos (par un seul député macroniste, et non par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques dans son ensemble) et l’écriture du rapport publié dès juillet. Quoi qu’il en coûte, le gouvernement veut imposer ses visions du nouveau modèle de gouvernance de sûreté nucléaire, avec l’assentiment d’une instance parlementaire souvent acquise à la cause de la filière. En une cinquantaine de pages, les avantages sont surévalués, toujours sans étude d’impact précise. Et sans grande surprise, les conclusions recommandent de regrouper l’ASN et l’IRSN au sein d’une même autorité indépendante. Poursuivant l’élan impulsé par le gouvernement, le Conseil de politique nucléaire (un groupe constitué de toutes pièces par Macron, comme autant de conseils scientifiques opaques) décide de préparer un projet de loi via des consultations préalables menées en plein mois d’août. Cette fois, la direction de l’IRSN est intégrée aux discussions et indique son intention de ‘participer activement aux travaux d’élaboration de ce projet’. Il ne fait plus de doute que cette volonté ne pourra qu’advenir, officiellement pour ‘renforcer significativement la gouvernance du nucléaire’.

Renforcer ? L’étude d’impact enfin parue ne dit malheureusement rien des points supposés contrecarrer la gouvernance en place, rien des moyens qui permettraient de la rendre plus efficiente. Il s’agit pourtant de rendre plus fluide, plus rapide, plus réactif. L’excellence de sûreté nucléaire tant vantée depuis toutes ces années ne serait plus qu’un modèle obsolète ? Mises au rebus la ‘réputation élevée’, les ‘investigations performantes’, autant de qualités de l’IRSN que le secteur mettait en avant à l’internationale pour dire la magnificence de la filière et asseoir sa renommée ?

Dual au sommet

 

Cette excellence qui fait (faisait ?) la fierté des pronucléaires repose sur deux piliers, un système actuel dit dual. Pour mémoire, une Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), autorité administrative indépendante (AAI) de plein droit, réglementant et contrôlant la sûreté nucléaire et la radioprotection de l’ensemble des activités nucléaires civiles (les activités nucléaires militaires sont inspectées par une ASN particulière, l’ASND, dédiée à la Défense). Ce ‘gendarme’, comme souvent surnommée, dispose de l’autorité suffisante pour renouveler les autorisations d’exploitation des réacteurs nucléaires, voire carrément fermer une installation nucléaire de base (INB) si elle le jugeait indispensable. Pour cela, elle s’appuie sur des travaux et avis émis par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Donc, au sein de ce binôme, le premier prend les décisions sur la base de l’expertise technique du second.

Cette configuration est une stricte séparation entre expertise et prise de décision, considérée garante jusque-là du respect ‘des normes de sûreté et de l’exigence de fiabilité les plus élevées’. Mais dernièrement, certaines décisions ont peut-être heurté le gouvernement, non sans impacter la production d’énergie d’origine nucléaire et subséquemment les finances de l’exploitant EDF déjà endetté (notamment par les travaux de grand carénage, GK, faisant suite à l’accident de Fukushima). Par exemple, des corrosions sous contraintes décelées auront obligé à des arrêts pour en vérifier l’étendue sur les circuits. L’ASN a pourtant nuancé l’urgence de telles inspections en les échelonnant sur plusieurs années afin d’en réduire l’impact sur la production électrique.

Le gouvernement souhaiterait-il que de telles décisions contraignantes soient prises plus rapidement ? Etonnant. Pourtant, via cette réforme, il est officiellement question d’anticiper une plus grande fluidification des prises de décisions de l’ASN, alors que le volume d’activité va fortement croître (prolongation envisagée de la durée de vie des réacteurs, relance du programme nucléaire, développement des petits réacteurs modulaires que sont les SMR…).

Pour fluidifier ces denses mécanismes, une mission menée en 2015 par l’Inspection générale des finances (IGF) avait déjà suggéré plusieurs pistes. Dont la priorisation des interventions en fonction des enjeux de sûreté par exemple. Et si des critiques avaient été en effet avancées sur les délais d’instruction, il était précisé que l’IRSN ne pouvait être tenu pour seul responsable puisque certains retards émanaient de l’ASN, ou encore des industriels mêmes. Les délais ne sont de toutes façons pas incompressibles indéfiniment dans un tel secteur sensible. Ou alors en marge et au dépend de la qualité ? Un avis suppose en effet de nombreux tests, lourds compte-tenu des nombreux paramètres. De son côté, l’ASN devra considérer dans sa décision d’autres indicateurs (sécurité de l’approvisionnement en électricité, etc.). Par exemple, la prolongation d’un réacteur suppose jusqu’à un an et demi d’instruction et l’ASN peut mettre un an à y donner suite.

Le nouveau système est promis plus performant, mieux adapté. Soit. Mais sur la seule base de l’incantation apparemment puisque rien ne permet de le jauger à la lecture de l’avant-projet de loi. Le système actuel n’est pourtant pas sorti de nulle part, n’a pas été configuré par hasard.

L’ancien système a été construit pour réactiver des liens de confiance et de transparence rompus : à la suite à l’accident de Tchernobyl d’avril 1986, le nuage radioactif qui s’était dégagé lors de l’explosion du quatrième réacteur aura contaminé l’Europe d’Est en Ouest. ‘Sauf la France grâce à un anticyclone qui aura protégé le territoire’. Un épisode mythique qui aura valu au directeur de l’Institut de radiodétection de l’époque une renommée légendaire (ledit directeur, Pierre Pellerin, s’est retrouvé face à Monique Sené, physicienne nucléaire du GSIEN dont nous reparlerons).

Une position qui n’aura pas été sans conséquences sanitaires. Les mesures d’urgence de confinement et d’interdiction de consommation des fruits et légumes potentiellement irradiés ne seront pas suivies en France, sur la base des mauvais diagnostics officiels. D’autres épisodes et diverses étapes suivront pour réviser cette gouvernance déficiente et aboutir à la structure duale ASN/IRSN que nous connaissons.

Depuis, l’IRSN publie ses avis d’expertise indépendamment de la décision de l’ASN, souvent en amont. Une transparence acquise, une mise à disposition des éléments publique devant guider les choix du gendarme du nucléaire. Des décisions qui peuvent alors être mises en critique par cette simple comparaison, ce qui n’est pas anodin comme simple mesure démocratique. Cette modalité, cette garantie, sont-elles d’ordre à interférer sur la libre gestion du parc nucléaire ?

A la lecture du rapport de l’OPECST, une certaine primauté à l’adaptabilité de la future ASN est privilégiée (ASNR donc, l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection) : ‘[la] réussite [de ce projet] porte sur la souplesse du système de contrôle de la sûreté nucléaire’.

Quel genre de souplesse ? Sur des bases objectives d’expertise, dans un monde nucléaire idéal, aucune souplesse n’est envisageable, les décisions devant donner strictement primauté à la seule sûreté, dans le but premier (unique ?) d’éviter la survenue d’incidents graves ou d’un accident majeur. Les exemples récents d’écarts techniques et les révisions/réparations consécutives exigées, afin de rétablir des standards de sûreté non respectés, laissent craindre des conséquences que pourraient avoir un tel laxisme décisionnel.

Aussi, dans ce même ordre d’idées, l’éventualité que le calendrier des publications soit révisé n’est pas moins crainte : une publication des expertises et recommandations en concomitance avec la décision de l’autorité indépendante rendrait illusoire une transparence des citoyens sur la motivation des décisions. Et empêcherait la société civile de prendre connaissances des éléments et résultats techniques, de les digérer pour prétendre éventuellement émettre un avis (via leurs structures non gouvernementales, associations…) afin de peser sur des décisions.

Les soutiens au projet ont beau jeu de souligner la pression exercée sur l’ASN avec un le calendrier de publication actuel. Seulement, c’est oublier que l’ASN existante peut déjà demander de surseoir à la publication des avis de l’IRSN, selon les cas, en vertu d’un accord-cadre existant entre les deux entités. Un tel revirement des temporalités de publications serait purement et simplement une régression des principes de participation et d’information du public (mais également un non-respect de la Convention d’Aarhus dans ses articles 4 et 6).

De l’avis de nombreux spécialistes, cette régression n’est pas souhaitable. Elle viderait de son sens la loi française de 2006 relative à la transparence et à la sécurité nucléaire qui instituait la séparation fonctionnelle et institutionnelle, justement sciemment entre la décision et les éléments techniques qui permettent de l’éclairer.

Si ‘des efforts [restaient] à réaliser pour rationaliser les implantations de l’IRSN, et pour que la communication externe soit menée de façon plus concertée avec l’ASN’, la Cour des comptes jugeait déjà en 2014 qu’une fusion serait ‘inappropriée et inefficace’.

Mais alors, pourquoi tant d’efforts à rapidement contraindre l’IRSN à se fondre dans l’ASN ? Les opposants comptent bien alerter sur les autres pans que cette réforme réviserait. Ils ont organisé un colloque pour étayer leurs propres éléments critiques, appuyés de la présence notable de quelques cadres d’EDF ou d’Orano (mais sans la présence de l’ASN volontairement absente). Cette fusion n’aura pas non plus le soutien des commissions locales d’information. Les Commissions locales d’information (CLI) ne brillent pas d’un modèle démocratique rigoureux, mais elles se rangent aux présupposés avancés par l’intersyndicale de l’IRSN.

  En quoi cette décision inattendue permettrait d’anticiper les enjeux à venir et comment [garantirait-elle] les plus hauts niveaux de sécurité face au volume considérable d’activités que les exploitants, mais aussi l’ASN et l’IRSN auront à traiter dans les années à venir ?, exprime l’une d’elles.

L’ANCCLI, qui les rassemblant toutes, rappelle pour sa part que :

la sûreté repose avant tout sur la robustesse des systèmes et des organisations […]. Bouleverser notre système robuste, […] c’est, à nouveau, nourrir le citoyen de doutes et de défiance envers le secteur nucléaire’.

Oui, beaucoup s’interrogent sur les dessous de cette farouche volonté de légiférer pour réviser un tel système dual.

Se noyer dans l’ASN

 

L’ASN est donc l’autorité administrative indépendante chargée d’autoriser, de réglementer, de contrôler la sûreté (des installations de recherche comme celles liées au CEA, de la production électrique, du retraitement et du stockage des matières fissiles, etc.) et la radioprotection nucléaires. Voire de sanctionner. Ce qui n’est pas rien dans ce contexte où les exploitants nucléaires et les opérateurs sont détenus capitalistiquement par l’Etat. Encadrer et assurer cette indépendance n’est pas un vain mot, est même crucial. Dans le même temps, l’ASN est en charge de participer à l’information du public, le vœu de transparence originel du même Etat vis-à-vis de ses administrés.

En 1973, cependant que le programme nucléaire est en cours en France et entame son rythme effréné, le contrôle de la sûreté nucléaire relève du Service central de sûreté des installations nucléaires (SCSIN), rattaché au ministre de l’industrie. Même pas les prémisses d’une indépendance. En 1991, l’ASN est constituée au niveau national par la Direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN, rattachée aux deux ministres chargés respectivement de l’industrie et de l’environnement) et régionalement par les Divisions des installations nucléaires (DIN).

Ce n’est qu’en février 2002, faisant suite en amont au travail de confection de Benjamin Dessus et Bernard Laponche (la conception de cette autorité administrative indépendante remonte au gouvernement Jospin, soit entre 1997 et 2022), que la mission de l’ASN s’étend à la radioprotection (sous l’autorité des ministres chargés de l’industrie, de l’environnement et de la santé). Puis la loi de juin 2006 relative à la ‘transparence et à la sécurité en matière nucléaire’ transforme définitivement le statut de l’ASN en AAI, autorité administrative indépendante (un statut révisé et élargi en marge parfois depuis).

Mais de quel genre d’indépendance parle-t-on réellement ?

D’abord d’une indépendance vis-à-vis des exploitants. Evidence que cela. Depuis la directive européenne du 25 juin 2009 transposée dans la loi française, il est de toutes façons fait obligation aux Etats membres d’instituer une autorité de réglementation compétente dans le domaine de la sûreté nucléaire, forcément ‘séparée sur le plan fonctionnel de tout autre organisme ou organisation s’occupant de la promotion ou de l’utilisation de l’énergie nucléaire, y compris la production d’électricité, afin de garantir son indépendance effective de toute influence indue dans sa prise de décision réglementaire’. Cela tombe bien vu les intérêts croisés de l’Etat français dans l’opérateur historique EDF, Orano…

Mais indépendante de quelle manière de l’Etat justement ? L’ASN est constituée d’un collège de cinq membres, inamovibles et nommés pour une durée de six ans : trois par le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et par le président du Sénat. Les possibilités de capture de l’ASN par le pouvoir exécutif ne sont donc pas inexistantes.

Autre point. Son indépendance fonctionnelle dépend en sa totalité des moyens mis à disposition pour garantir son fonctionnement, via un budget général octroyé par l’Etat, encore lui. Les lignes budgétaires sont en baisse conséquente depuis quelques années, faut-il le souligner. Cette dépendance budgétaire est directement soumise à la signature du gouvernement, ce qui ajoute encore à la relative indépendance. Actuellement, ledit budget global est de moins de 100 millions d’euros, permettant d’employer environ 500 personnes (fonctionnaires, ils bénéficient donc des protections afférentes).

D’ailleurs, curiosité, si l’ASN dispose des pouvoirs classiques conférés aux AAI en France, cela n’est pas en leur intégralité puisque les sanctions administratives pécuniaires n’apparaissent pas précisément dans ses prérogatives. Cela explique que les pouvoirs de contrôle de l’ASN ne soient suivis que de prescriptions ou de retrait temporaire/définitif ou encore de la suspension du fonctionnement d’un réacteur.

Plus croustillant, contrairement à ce que chacun pourrait comprendre de cette indépendance factuellement inscrite dans les textes, le pouvoir réglementaire de l’ASN est comme limité : l’ASN doit carrément soumettre ces décisions à l’homologation des ministres. Chacun aura compris que l’Etat, à travers ses ministres, est en situation de conflit d’intérêts dans la mesure où il est à la fois interventionniste sur le marché nucléaire mais aussi par diverses subtilités organe de surveillance de la sûreté nucléaire. Malheureusement, le principe d’impartialité de l’action publique n’est explicitement pas reconnu en France… Via le droit international, le droit de l’Union européenne, cette situation est manifestement évitée chez d’autres Etats membres sur lesquels la réforme n’a pas prévu de prendre exemple.

De ces observations, il est permis de s’interroger : que vaut alors une indépendance édictée par la loi si une décision politique permet d’y mettre fin unilatéralement, d’en imposer la reconfiguration par simple volonté gouvernementale ?

Pour ne rien arranger des discrètes contraintes existantes, ajoutons que les nominations ne sont pas vierges de liens plus subtiles. L’ancien président de l’ASN a suivi son cursus au sein de l’Ecole polytechnique puis des Mines, hauts lieux privilégiés des pronucléaires. Pour ne pas déroger à la règle tacite, l’actuel président, Bernard Doroszczuk, est aussi un ancien élève de l’Ecole polytechnique, ingénieur général du corps des Mines. En toute marge donc, au sortir de telles filières formatrices, la présomption d’impartialité mériterait d’être mise en doute dans le cadre du contrôle des activités nucléaires civiles en France.

Concernant une autorité que d’aucuns attendent non-susceptible d’être influencée par des considérations financière, politique ou industrielle, il existe de prime abord schéma que les mêmes pourraient envisager plus rigoureux. Si les cinq commissaires ne reçoivent aucune instruction du gouvernement ni d’aucune autre institution, les contraintes structurelles pèsent indubitablement sur l’instance quand il s’agit de prendre des décisions conjoncturelles. En tout cas, la suspicion est à portée de configuration.

En interne, notons que l’ASN n’est pas dénuée d’expertise : elle reçoit l’appui technique de son Comité scientifique et surtout de ses sept groupes permanents d’experts (GPE, experts provenant d’horizons scientifiques et techniques divers, retraités d’EDF ou de l’IRSN, scientifiques). Ces six GPE conseillent et donnent des recommandations à l’ASN dans leur domaine de prédilection respectif (déchets, démantèlement, équipements sous pression nucléaires, réacteurs nucléaires, transports, laboratoires et usines).

Si sur certains sujets l’ASN possède des capacités d’expertise propres, c’est généralement l’IRSN qui lui fournit, sur la base d’importants moyens de recherche, une expertise technique pour rendre ses arbitrages.

Comment comprendre ce projet de réforme et considérer les conséquences éventuelles sur l’ASN ? Le président de l’ASN paye-t-il en coulisses les libertés qu’il s’est offertes d’alerter antérieurement sur les défectuosités du parc nucléaire français devant le Sénat, de critiquer les promesses de nouveaux chantiers nucléaires voulus par Macron jugées ‘illusoires par manque d’une politique énergétique cohérente’, de redouter l’accumulation à venir des déchets nucléaires et la difficulté à les traiter, d’évoquer la saturation des piscines ? Car si l’état des lieux du parc nucléaire français devant les sénateurs s’est d’abord voulue rassurante sous prétexte d’une ‘sûreté des installations nucléaires maintenue à un niveau satisfaisant’, le ton aura très vite changé. Les critiques ne sont pourtant pas nouvelles puisque nous en retrouvons trace jusque dans le dernier rapport annuel où ‘les fragilités industrielles qui touchent l’ensemble des installations nucléaires’ ont été mises en exergue.

Cela serait injuste car l’ASN a parfois su se montrer conciliante envers l’exploitant EDF. Lors des nombreux aménagements post- Fukushima, chaque réacteur devait être équipé d’un groupe d’ultime secours (DUS) supplémentaire (l’IRSN en espérait deux). L’échéance et la date butoir du 31 décembre 2018 n’ont pas été respectés par EDF, mais l’ASN a décidé de modifier le calendrier de mise en service de ces énormes groupes électrogènes compte tenu ‘des difficultés rencontrées’ par l’exploitant, a proposé un rééchelonnement étendu jusqu’au 31 décembre 2020 (finalement repoussé à nouveau de deux mois…). Henri Proglio, ancien PDG d’EDF, avait beau qualifié l’ASN de ‘fossoyeur du nucléaire’, la réalité est plus nuancée.

De sanctions indirectes envers l’ASN à travers cette réforme, il n’y a point. Désormais, faisant fi des divergences et désaccords, le président de l’ASN est même convaincu que la structure unique, organisation resserrée, est seule à même de faire face aux défis nucléaires industriels à venir. Ce projet aurait ‘du sens’, sur la base des configurations internationales où l’expertise est intégrée, pour obtenir l’accélération des processus d’instruction et d’expertise avant que les décisions soient réalisées. De toutes façons, pour mieux faire adopter ce projet, il est précisé qu’aucune règle de l’AIEA ni plus internationale ne ferait prévaloir la primauté de notre système dual sur les autres systèmes existants majoritairement dans les autres pays nucléarisés.

Mais peut-être sanctions sont-elles destinées au seul IRSN ? L’institut n’aurait qu’à accepter son absorption sans autre difficulté que celle de faire migrer les contrats de droit privé des salariés.

Des tests de malléabilité menés sur l’IRSN chauffée à blanc

 

Rappelons que l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire mène les actions concernant les rayonnements ionisants et la protection des matières nucléaires (installations et transports), étudie les conséquences radiologiques d’incidents ou accidents potentiels, via un rôle d’expertise maintenant largement reconnu et médiatisé.

De ce lointain petit service au sein du ministère de l’Industrie, expert technique aux côtés du CEA (Commissariat de l’énergie atomique) et du ministère de la Santé, il acquiert un rôle autonome dès 2001 (par la fusion entre l’Office de protection contre les rayonnements ionisants créé en 1994 et l’Institut de protection et de sûreté nucléaire du CEA créé en 1976). Il s’agissait de sortir de la crise de confiance de 1986 (voir supra) et sur la base du rapport de Le Déaut (1998).

La séparation originelle de l’expertise technique de la fonction de contrôle a donc été impulsée par le gouvernement. Cette nouvelle situation d’expertise visait à protéger l’IRSN des opérateurs, notamment EDF.

Mais désormais, retour en arrière, l’IRSN indispose. Cette latitude à publier ses expertises, bien qu’issue d’une convention valable jusqu’en 2026, et à les médiatiser n’est plus vraiment acceptée. Une critique qui était déjà latente cependant que Sarkozy prévoyait lui aussi de relancer la construction de réacteurs nucléaires à la fin des années 2000. En ligne de mire, la volonté serait d’amoindrir la pression pouvant peser sur l’ASN par exemple d’une décision technique ou sur des enjeux d’une faisabilité industrielle : dans l’organisation actuelle, si un avis technique de l’IRSN diverge d’une décision prise par l’ASN, le public peut s’en rendre compte en consultant en ligne les avis différents des deux organismes.

Objectivement, l’IRSN pousserait-elle l’ASN à prendre des décisions plus sévères envers l’opérateur ? L’ASN serait-elle plus faible que son expert technique ? Pour EDF, cela est indiscutable, l’épisode contesté des quatre réacteurs de Tricastin arrêtés (2017) en étant le prégnant révélateur. Rien des épisodes saillants ultérieurs n’arrangeant ce point de vue depuis : en 2018, l’IRSN émet un avis d’alerte face à la série de problèmes rencontrés sur le chantier de l’EPR de Flamanville (béton malfaçonné, cuve aux impuretés de carbone, soudures défectueuses…), conduit à révéler les falsifications de Creusot Forge (fabricant de gros éléments du circuit primaire) ; en 2020 un rapport éclaire les taux de tritium présent dans les eaux destinées à la consommation humaine ; puis en 2021 l’IRSN émet des réserves sur les solutions prônées pour réparer les fissures décelées sur l’EPR, promis comme fleuron français de l’industrie nucléaire à l’internationale… Autant de scandales pourtant confirmés dans le rapport Folz. Bien que l’ASN se soit finalement montrée quelque peu conciliante avec EDF sur certains dossiers, ces faits d’arme auront eu un impact sur la livraison de l’EPR et sur les finances de l’exploitant (les mises à l’arrêt des réacteurs occasionnent 30 milliards d’euros de perte). De quoi sceller définitivement l’avenir de l’IRSN aux yeux de l’administration et du gouvernement ?

Distinctement, un point de non-retour aura été franchi à la suite de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Devenu officiellement de l’ordre du possible, l’IRSN a mené en 2013 une étude sur le coût d’un accident en France qui aura définitivement scindé ses soutiens inconditionnels des opposants à ses libres recherches et expertises.

Rien à voir officiellement. Il est seriné que l’objectif est de viser l’accélération des procédures pour la relance du nucléaire.

Mais rien n’est détaillé du devenir des multiples services de l’IRSN. Quel avenir pour les grandes études épidémiologiques sur les conséquences de l’exposition radiologique des travailleurs du nucléaire ? Pour la conception de traitement contre les irradiations sévères et la prise en charge par traitements des irradiés en relation avec des services hospitaliers ? Les 1700 salariés (ingénieurs, médecins, pharmaciens, vétérinaires, techniciens, experts, chercheurs…) sont priés de patienter en toute confiance.

D’ailleurs, le gouvernement semble découvrir l’ampleur du travail à mener sur les statuts des personnels. En effet, pour une autorité administrative indépendante telle que l’ASN, une dérogation au droit commun va devoir être appliquée pour lui permettre de recruter des salariés de droit privé (le statut des salariés de l’IRSN). Le maintien du statut et des acquis sociaux de ces salariés au sein d’une autorité administrative indépendante, la cohabitation des deux statuts au sein de l’ASNR ne sont pas réglés.

Mais l’important serait ailleurs. La fluidification des procédures doit être privilégiée. Toutes les contraintes possibles doivent être levées pour laisser place au nouveau programme nucléaire français, désengorger le secteur de tâches tatillonnes.

Par exemple, tous les dix ans, l’exploitant doit démontrer que sa centrale est sûre et apte à fonctionner (les réexamens de sûreté des visites décennales). Cette longue phase d’instruction (150 à 180 jours pour une visite décennale, plus de 20 000 actions) nécessite que les experts de l’industriel et ceux de l’IRSN se mettent d’accord. Aussi, la durée d’un arrêt de tranche est de 35 jours pour un rechargement du combustible (4 000 à 5 000 actions à mener), 100 à 120 jours pour visite partielle (12 000 actions). Etc.

EDF veut en finir avec la tendance aux arrêts courts à s’allonger lors de ces dernières années, faisant perdre d’autant production électrique et recettes financières. A été mis en place un programme d’amélioration de la productivité autour de la maintenance et des arrêts (programme START 2025). Depuis, certains travaux sont passés de 18 à 11 semaines. Avec quelles conséquences sur la qualité des interventions et sur la sûreté ? Une phase de déploiement généralisé va être effectuée, l’exploitation prévaut.

Autre projet d’EDF pour augmenter sa productivité, celui d’augmenter la puissance des réacteurs 900 et 1 300 MW. Respectivement en remplaçant le corps basse pression de la turbine sur les 900 MW. Et en changeant les caractéristiques du combustible MOX (à base de plutonium recyclé) sur des cycles plus longs pour les réacteurs 1300 MW sans que cela n’ait jamais été testé. Quelles seront les conséquences sur le système de protection des réacteurs ? Nul ne le sait.

Malgré tous les dossiers en cours et à venir, sur ordre de Macron, retour à la case départ : la séparation des missions de recherche et d’expertise doit être annulée. D’un côté l’expertise rejoindrait l’ASN, et de l’autre la recherche serait dévolue au Commissariat à l’énergie atomique. La séparation était pourtant préconisée dans le domaine nucléaire militaire pour des raisons de conflits d’intérêts. Mais surtout, une telle scission avec la recherche affaiblirait sans doute d’autant l’expertise. Pourquoi ? Selon les salariés concernés, il est délicat de scinder recherche et expertise, l’acquisition de connaissances dans le cadre de l’expertise étant par lui-même facteur de sûreté.

C’est aussi oublier que la priorisation des recherches à l’IRSN est orientée de manière pluraliste (associations, syndicats, élus, État, industriels) via le comité d’orientation des recherches (COR). Tout à son opposition, à l’instar de son Conseil scientifique, le COR vise d’amples enjeux qu’il pense ne plus pouvoir tenir si cette réforme est adoptée. C’est omettre le regard transversal, entre sûreté et radioprotection, qui ferait défaut à l’IRSN (services d’expertise spécialisée, dans les domaines de l’incendie, de confinement, etc.).

En général, cette réforme démembrera des laboratoires, disjoints et éclatés qui à EDF, qui à Orano, qui à l’Andra. La crainte portée d’une soumission aux préoccupations des exploitants reste fondée, une précarisation salariale des jeunes chercheurs la rendra même plus inéluctable. A moyen et long termes, les dégâts seront plus profonds, la différenciation entre recherche et expertise étant prépondérante à comprendre. Certaines formes de collaboration seront susceptibles d’entraîner des formes de censure ou d’auto-censure, des cas encore trop rarement étudiés empiriquement. Enfin, l’orientation de la recherche en faveur d’intérêts particuliers prévalents pourrait satisfaire la seule production de l’ignorance, la fabrique du doute.

Prenons l’exemple d’une activité propre à l’IRSN. Le découpage prévu pourrait devoir faire externaliser les activités de dosimétrie. Cette fabrication des petits appareils capables de mesurer les niveaux de radiations dans l’environnement revient à l’IRSN et les ventes aux grands exploitants nucléaires et dans le monde médical sont une recette budgétaire qu’il faudra combler (ces ventes complètent la partie budgétaire issue de la recherche publique), car une autorité indépendante ne peut pas faire commerce avec ses clients exploitants. Les enjeux stratégiques (ses missions pour la période 2023-2027) édictés par ses ministères de tutelle recommandaient pourtant à l’IRSN de ‘lancer sans tarder l’instruction des besoins en dosimètres en vue de la constitution d’un stock national et du maintien de production’. L’épisode des masques aura laissé des traces, le gouvernement voulant se garder d’un manque de matériels alors qu’un accident majeur en France est désormais de l’ordre du possible.

Le budget de l’IRSN s’élève à environ 280 millions d’euros, pour partie issu de subventions étatiques, le reste venant de ressources propres. Comment compenser cela ? La perspective d’un budget majoré pour mener les grands chantiers à venir n’est pas d’actualité : les ressources publiques ont diminué de 10% depuis 2013, ce qui n’est pas le meilleur signe de bonnes volontés de développer ce secteur de sûreté. Deux rapports parlementaires pointent également l’insuffisance des moyens dévolus à l’IRSN en particulier (les deux tiers de la hausse accordés en 2023 ont en fait été absorbés par l’inflation).

Cette réforme est menée dans l’urgence. Les contours ne sont pas définis. La question du rapprochement de l’IRSN avec l’ASN n’en reste pas moins relativement ancienne et a déjà suscité des rapports. Celui du député Le Déaut en 1998 préfigurait la création de l’IRSN et avertissait ‘qu’un lien organique trop fort entre l’autorité de sûreté et le pôle expertise reviendrait à limiter la capacité d’expression de ce pôle d’expertise’. Et en 2014, un rapport cosigné par l’ASN et l’IRSN confirmait que ‘la principale force du dispositif actuel réside dans le fait que la décision ne pèse pas sur l’institut qui est en charge de l’expertise, [… que]le dispositif dual avait démontré son efficacité et devait être renforcé’. Pendant cette même année, la Cour des comptes a également donné son avis. Ses conclusions ?

  Les multiples difficultés [sont d’ordre] juridiques, sociales, budgétaires et matérielles. […] Les gains en efficience seraient probables mais dans des proportions limitées. […] Bien que des efforts aient été accomplis par l’ASN et l’IRSN pour développer leur coopération […], la dispersion des ressources budgétaires, les actions de communication non concertées, l’absence d’orientations communes dans le domaine de la recherche réduisent les marges de progression de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.

Que d’accords unanimes. Un principe de base de la gestion des risques est fondé sur le principe de séparation des activités de gestion et d’évaluation. C’est suffisamment important et essentiel pour l’avoir inscrit dans la loi :

  l’institut organise, par voie électronique, la publicité des données scientifiques résultant de ces programmes de recherche. […] Et contribue à la transparence et à l’information du public en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, notamment en élaborant et en rendant public un rapport annuel d’activité.

Même s’il existe quelques dispositions particulières en ce qui concerne les activités et installations nucléaires intéressant la défense nationale, l’esprit de la lettre reste valable.

La disparition de l’IRSN aurait donc pour effet immédiat de supprimer cette information systématique et préalable à la prise de décision par l’ASN. Mais la fusion se heurterait également au droit communautaire puisque l’article 5 de la directive du 8 juillet 2014 fixe des règles précises :

  il convient que les décisions réglementaires et les mesures de police dans le domaine de la sûreté nucléaire soient prises sur la base de considérations techniques objectives en matière de sûreté et sans influence externe indue de nature à compromettre la sûreté, comme par exemple des pressions indues associées à des changements en matière politique, économique et sociétale.

Clairement, aucune compétence d’expertise de recherche ne saurait être confiée à l’organisme de contrôle.

Certes, le modèle d’organisation actuel français n’est pas universel. D’autres pays nucléarisés ont des organisations différentes. Soit des autorités de sûreté pouvant disposer d’expertises intégrées (comme avec la Nuclear Regulatory Commission NRC américaine ou au Japon), soit des entités séparées mais où l’expertise est placée sous la tutelle de l’autorité (comme en Belgique), soit enfin une séparation clairement définie entre l’autorité et plusieurs experts, dont l’autorité est commanditaire (le cas de la Grande-Bretagne). Mais c’est omettre quelques détails parfois. Prenons la NRC : elle cumule décisions et expertises, mais selon des formalités extrêmement rigoureuses et différentes des modalités françaises ; le responsable du collège qui prend les décisions et celui des experts qui mène les évaluations n’ont pas le droit de se voir, n’ont jamais le droit d’être dans la même salle, et n’assistent pas aux mêmes réunions ; toutes les réunions sont publiques et filmées, tous les messages électroniques sont publics, etc.

Cette réforme vise-t-elle les mêmes garde-fous ? Rien ne le formule.

Evalué, l’INRS avait pourtant bénéficié de beaucoup de satisfécits, son expertise en appui aux politiques publiques était considérée comme un atout majeur et reconnu.

  Tirant profit de sa dynamique d’expert public reconnu aux niveaux français, européen et international, de son modèle spécifique couplant expertise et recherche, de ses infrastructures de pointe et de son ouverture forte à la société, l’IRSN a su légitimement et de façon pertinente anticiper et intégrer les nécessaires transformations afin de s’adapter. Dans son projet 2022-2026 présenté dans le RAE, l’IRSN affiche l’ambition d’être un Institut scientifique, responsable et citoyen ; il a de nombreux atouts pour y parvenir. […] En conclusion, l’IRSN est un organisme unique en France et en Europe. Ses compétences, déployées sur un large spectre avec les grands industriels et les autorités, sont reconnues en France, en Europe ou à l’international. L’IRSN assume au meilleur niveau ses missions en liaison avec l’État dans un domaine stratégique pour la France […].

Dans le même temps que les soutiens se multiplient en faveur du maintien d’un IRSN distinct, certains salariés indiquent ne pas devoir considérer aveuglément cet organisme comme un parangon d’indépendance, d’excellence, de rigueur scientifique. Pourrait être rappelée la validation en 2002 d’un rapport sur les retombées de Tchernobyl en France sur la base de simulations numériques. Ou encore la remise en cause de l’étude Viel menée sur les leucémies infantiles autour de La Hague. Aussi les programmes et recommandations post-accidentels effectués sur la base de tests grandeur nature en Belarus et à Fukushima.

La critique de ce duo bicéphale peut aussi résider dans la dilution des responsabilités. Dans le cas de la cuve de FLA3, une validation très temporelle a été accordée : si la cuve ne répondait pas au cahier des charges en termes de taux de carbone, elle sera autorisée à être utilisée quelques 18 mois avant d’être la voir remplacée pour partie.

Le maintien de ce système trouve en tout cas le soutien du directeur général de l’IRSN, non consulté en amont de cette décision de projet d’ailleurs. Une position critiquée. Son avenir est définitivement acté depuis que la ministre de la transition écologique a appris à son tour de façon impromptue qu’il avait eu recours à un cabinet de conseil privé (cabinet de lobbying ?) dans le cadre de ce dossier de fusion. Lors de son audition, Niel revient sur cette fausse bonne idée :

  des travaux sont engagés avec l’ASN pour définir les conditions de fonctionnement de cette nouvelle autorité. […] La loi de 2015 prévoit la publication des avis de l’Institut en concertation avec les demandeurs de cette expertise. Les modalités de publication des expertises sont régulées par une convention entre ASN et IRSN [dernière signée   2021, ndlr] : les avis sont publiés quinze jours après que l’IRSN les ait élaborés sauf cas particulier à l’initiative de l’un ou l’autre des acteurs [également quand les avis sont soumis aux groupes permanents d’experts de l’ASN, ndlr]. L’IRSN respecte très scrupuleusement cette procédure. […] La publication simultanée des avis [de l’IRSN] avec la décision [de l’ASN] ne nous pose pas de problème. […] Un rapport explique qu’expertise et décision doivent être séparées, condition d’une bonne gestion du risque. Dans cette nouvelle structure, il faudra être particulièrement attentif à cette séparation. [Il faut] éviter que l’expert intériorise ce qu’il pense être le souhait du décideur et l’intègre dans son expertise, c’est cela le sujet de fond. […] Je rappelle que c’est une réforme d’importance, il faudra plusieurs années pour que le nouveau système soit mis en place.

Comment comprendre ce projet alors qu’un calendrier d’expertises denses est prévu dans les trois prochaines années : demande d’autorisation de création de la paire d’EPR2 à Penly, ceux dans la foulée du site de Gravelines, réexamens périodiques de sûreté dont les tranches de 1300 MW pour les prolonger au-delà de quarante ans, perspective de prolonger les centrales après soixante ans, vers quatre-vingt ans…

Pour l’ancien président de l’OPECST, Claude Birraux, plutôt favorable par défaut au nucléaire, la nouvelle organisation prévue traduit ‘une méconnaissance grave de l’organisation de la sûreté’ et précise que le système actuel ‘fonctionne bien, avec fluidité’. Cette organisation duale protège les experts et les décideurs tandis que le risque, en cas de décision intégrée à l’expertise, est bien que l’expert soit orienté. Les anciens présidents de l’ASN et de l’IRSN ne décèlent pas moins l’inutilité d’une telle réforme :

  cette décision est opaque, brutale et précipitée. Les explications données sur la suppression se résument en un seul rapport qui n’est pas public. Aucun élément n’explique pourquoi cette décision – si ce n’est les éléments donnés par la Ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, qui a indiqué qu’il fallait ‘fluidifier les procédures’. Deuxièmement, la décision est brutale, car l’IRSN a été supprimée par un communiqué. Un système dual résiste mieux à la pression. Même indépendante par ses statuts, l’ASNR va prendre de plein fouet la pression, le nouveau système sera moins robuste, explique Thierry Charles, ancien directeur adjoint de l’IRSN.

De fait, l’exploitant aurait un interlocuteur unique, l’influençant plus aisément : selon plusieurs salariés, il est à craindre que des pressions soient exercées pour ne pas investiguer sur les dossiers susceptibles de poser des problèmes structurants, comme cela a été le cas sur les soudures de l’EPR par exemple. Si bien que le travail de l’expert doit être guidé par le seul critère de sûreté, loin des préoccupations des exploitants.

Une réforme maintenue sous pression

Plus de six mois après avoir échoué à faire adopter au Parlement ce projet de fusion/absorption, le gouvernement n’est pas moins motivé à imposer ses objectifs, comme ceux de la relance du nucléaire civil, aux forceps s’il le faut, quitte à choquer jusqu’au Sénat. Beaucoup ne se font aucune illusion sur l’objectif véritable : faciliter et accélérer la construction de trois paires d’EPR2.

Controversé, un nouveau projet de loi sera soumis aux débats parlementaires, programmés pour février 2024, avec le soutien du président de l’ASN. Sa réalisation, attendue au 1er janvier 2025, ne sera peut-être pas facilitée par le conflit maintenant larvé avec le DG de l’IRSN.

Résident de nombreuses interrogations, règnent beaucoup d’incertitudes. L’étude d’impact n’y fait part d’aucune réponse, d’aucun bénéfice tangible, d’aucune comparaison entre une fusion et une simple amélioration du système existant. Cette amélioration pourrait par exemple passer par un renforcement des moyens financiers et humains de l’ASNR (ceux de l’IRSN et de l’ASN réunis et amplifiés) …

Pourquoi donc aucune étude approfondie n’est entreprise pour juger objectivement de la situation actuelle et des conséquences d’une telle modification structurelle ? Les difficultés d’EDF étant pour quelques dirigeants et responsables politiques les conséquences évidentes d’exigences de sûreté considérées comme ‘déraisonnablement élevées’, la pointilleuse IRSN devrait selon les mêmes être enfin soumise à quelques garde-fous.

Pourtant, comme un paradoxe, Doroszczuk avoue que l’ASNR va faire face à ‘un contexte hors norme, sans précédent depuis le début de l’épopée nucléaire, pour lequel le système actuel n’a pas été conçu’.

Et pour résoudre cette équation à inconnus multiples, dix-huit articles liminaires y suffisent. Et encore y inclut-on ceux du Titre III, quatre articles sans rapport avec l’objet direct du rapprochement ASN/IRSN : cette partie vise à permettre aux maîtres d’ouvrages de projets nucléaires, en particulier EDF, de passer leurs marchés selon des modalités plus adaptées à leurs contraintes industrielles.

Dans l’exposé des motifs, qu’est-il détaillé des phases qui seraient à optimiser ? Qu’est-ce qui ne serait pas tenu pour efficace dans le système actuel ? Quelles seraient ses limites ? Quel règlement intérieur pourrait maintenir objectivement ce dualisme promis oralement à être conservé ? Etc. Aucune réponse n’est apportée. Faute de temps pour prétendre réformer dans les meilleurs délais apparemment. Faute d’arguments ? N’est-ce pas beaucoup d’improvisations pour des choses si sérieuses ?

Si le problème de la sûreté nucléaire nécessite de larges investissements indispensables, les exploitants ne sont pas insensibles à ce qui leur permettrait de faciliter la gestion de leur parc nucléaire. L’indépendance stipulée est contredite par les procédures nominatives, les autonomies budgétaires, etc. Et la réforme ne vient pas la renforcer, au contraire. Seules les promesses orales sont supposées convaincre des bonnes intentions gouvernementales.

De nombreuses consultations formelles sont lancées, autant d’avis obligatoires d’instances (conseil national de la transition écologique, conseil supérieur de l’énergie…). Déjà, beaucoup de spécialistes ne sont pas dupes. Trois anciens présidents de l’OPECST, Claude Birraux, Jean-Yves Le Déaut (qui a préconisé en 1998 ce système de contrôle, avec l’expertise séparée de l’autorité) et Cédric Villani, également d’anciens dirigeants de l’IRSN et les responsables de trois grands syndicats alertent jusqu’aux parlementaires sur le grave danger de cette réforme, pressentie comme ‘une dérive technocratique dangereuse’ pour une bonne gouvernance de la sécurité nucléaire.

(extrait du rapport du Sénat / 2023)

Une réforme qui arrive au moment où la charge de travail, à la fois pour le contrôle et l’expertise, va s’accroître dans les prochaines années de manière considérable, comme cela va être le cas pour les industriels du secteur (le défi est tel que la projection de recrutement est à hauteur de 10 000 emplois par an sur dix ans dans l’optique des conceptions, constructions et des maintenances).

Côté parc nucléaire, quatrièmes réexamens de sûreté en cours, passage au-delà de 50 ans, instruire la possibilité d’exploiter au-delà de 60 ans, construction de nouveaux EPR, demande d’autorisation de création de Cigéo, mise en place de nouvelles capacités d’entreposage et de stockage de déchets, nouvelles usines de fabrication et de retraitement des combustibles, adaptation des installations au réchauffement climatique, etc.

En fin de mandature, auditionné, le président de l’ASN est convaincu du bien-fondé de l’évolution nécessaire du mode de gouvernance de la sûreté nucléaire, de l’intérêt de changer d’échelle et resserrer les rangs :

  si les perspectives ambitieuses de développement du nucléaire sont confirmées, dans les vingt ans qui viennent, quel que soit le système qui sera mis en place, celui-ci devra affronter un contexte hors norme, sans précédent depuis le début de l’épopée du nucléaire en France, pour lequel le système actuel n’a pas été conçu. Un contexte hors norme à la fois en termes de volume d’expertises, d’instructions, de décisions et de contrôles à réaliser. […] Le système de contrôle actuel va devoir faire face à l’arrivée de nouveaux acteurs, vendeurs de technologie, exploitants ou fabricants de combustible, à de nouvelles conceptions de réacteurs innovants comme les SMR. […] La période qui est devant nous est la fin du modèle français du trois fois un : une seule technologie de réacteur [réacteurs à eau sous pression], un seul exploitant et un seul usage du nucléaire, la fourniture d’électricité à un réseau interconnecté. Le modèle français va profondément évoluer dans les années à venir. La période […] fera intervenir des acteurs non rompus à la réglementation et aux mécanismes actuels d’expertise et d’instruction avec qui il faudra développer de nouveaux modes de dialogue technique, moins séquencés qu’actuellement, adaptés à leurs besoins d’une phase de maturation de projet, de validation d’option technologique envisagée, de relations avec leurs financeurs. Des modes d’instruction et de contrôles nouveaux devront être mis en œuvre pour s’articuler davantage avec la gestion en mode de projets des programmes de la filière nucléaire. […] Le système de contrôle devra faire face à une somme d’enjeux inédits en termes de conception, de construction et de mises en service d’installations nucléaires nouvelles, y compris possiblement en dehors des sites nucléaires existants. 

Cette audition sera l’occasion imprévue de jauger également de l’avenir de la sûreté nucléaire devant être mise en place pour les SMR. Soutenu par le programme France 2030, ce secteur sera géré directement par les sociétés privées, producteurs et exploitants, en nombre important et ‘non rompus à la réglementation et aux mécanismes actuels d’instruction, dont le niveau d’excellence reste à consolider’. Rassurant. Surtout pour des réacteurs apparemment répartis dans tout le pays, au-delà du périmètre actuel existant, c’est-à-dire les sites de production existants.

Le suivi de conception des SMR est pourtant un problème particulier et sensible. En ce domaine novateur, recherche et développement s’y façonnent en parallèle de la conception, ce qui n’arrange rien quant à la difficulté de les configurer. La règlementation française aujourd’hui à l’œuvre a été bâti sur la base du modèle considérant un seul exploitant de centrales (EDF donc) et se révèle inadaptée pour ces nouveaux entrants. Et l’ASN de préciser que ‘la démonstration de sûreté attendue doit pour les SMR se doubler d’un souci fort de sécurité en termes de dispositifs physiques mis en place, non pas a posteriori comme dans le cas des réacteurs actuels mais des dispositifs intrinsèques au SMR’. Les optimisations de design sont attendues comme compliquées pour les concepteurs de SMR cependant que leur capacité d’ingénierie est bien moindre par rapport à l’opérateur historique.

Toute cette période en cours et à venir va demander un grand renforcement en termes de recrutements. D’autant que les démissions ont augmenté de 50% à l’IRSN dans le cadre de cette réforme programmée à marche forcée. La revalorisation de la grille salariale, inférieure de 30%, est attendue pour tenir les objectifs que le président de l’ASN tient pour indispensables, cependant qu’il vise dans le même temps ‘à éviter les doublons’ inhérents dans ce genre de fusion-acquisition entre organismes de même secteur.

  Face à ce nouvel environnement, l’autorité actuelle du contrôle ne pourra pas assurer sa mission avec efficacité sans un renforcement substantiel de ses moyens, de ses compétences et sans une évolution de son organisation et de ses modes de fonctionnement, a affirmé le président de l’ASN.

Doroszczuk a bon espoir que le gouvernement ne s’en tiennent pas aux seules économies d’échelle. Le renforcement des effectifs était pourtant déjà une demande récurrente. Le rapport de l’OPECST mentionnait lui-même cet impératif par comparaison :  l’ASN française compte 550 personnes pour 56 réacteurs nucléaires, l’autorité canadienne 670 personnes pour 19 réacteurs.

Un espoir qui pourrait être douché avec lucidité devant les difficultés que le président de l’ASN éprouve à obtenir légitimement 12 salariés supplémentaires. Une difficulté qui le pousse à supplier les parlementaires de le soutenir activement.

Doroszczuk doit donc convaincre le président de l’ASN du futur budget préservé et majoré afin de tenir les objectifs de développement et de renforcement visés. Pendant ce temps, le CEA reste en attente des 150 ETP supplémentaires promis et dont les postes sont rattachés au programme France 2030…

Si les demandes de recrutements n’étaient exhaucés, si des démissions devaient perdurer, c’est une ‘perte de compétence en sûreté et radioprotection à court et moyen termes’ qui peut être redoutée.

Les enjeux liés au renouvellement du parc électronucléaire français et à la prolongation de la durée de vie des centres d’exploitation électronucléaires auraient dû conduire à renforcer les moyens alloués à l’indépendance et à la compétence de ce dispositif. Au lieu de cela, la crainte réside dans la déstabilisation totale de ce système au moment le moins opportun. Le moins opportun pour la pérennité des activités de sûreté. Mais les intérêts politiques sont-ils identiques ?

Une chose est sûre : cette mise en œuvre prendra un an à quinze mois. Cela sera d’autant perturbant dans le cadre des activités de sûreté qui se poursuivront et deviendront plus denses, plus intenses.

 

Mise à jour (mars 2024) : c’est fait, après plus d’un an de votes défavorables, de débats houleux, les députés ont voté la fusion des instances de sûreté nucléaire. L’histoire retiendra que le gouvernement aura imposé sa volonté malgré l’échec initial des parlementaires en 2023, après la décision votée en commission de rejeter l’article clé de la réforme portant fusion début mars, au prix d’une tentative de manipulation grossière : cette réforme très controversée est donc adoptée aux forceps, la nouvelle entité sera active au 1er janvier 2025.

L’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) n’aura que peu de soutiens, politiques, scientifiques, nucléocrates même puisque tout dernièrement l’ancien directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) Jacques Repussard se sera manifesté à son encontre comme tant d’autres avant lui.

Compte tenu des échéances à venir, de la mise en service de l’EPR de Flamanville à la mise en construction des EPR2, en passant par les visites décennales visant à prolonger une grande partie du parc nucléaire actuel, l’avenir dira rapidement la pertinence ou les conséquences négatives d’une telle révision de la doctrine de la sûreté nucléaire française, de la volonté assumée de ‘fluidifier’ les prises de décisions. Une efficacité accrue des procédures, une amélioration de la réponse en cas de crise, un haut niveau de transparence au moins équivalent à celui d’aujourd’hui… autant de vœux non étayés d’une quelconque étude d’impact ou d’arguments tangibles, faisant fi des raisons justifiant cette précipitation, aucunement appuyés de moyens techniques comme le reproche le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sûreté nucléaire (HCTISN).

Certains points risquent […] d’être en retrait par rapport au droit en vigueur, […] d’autres sont laissés en suspens ou ont vocation à être précisés ultérieurement par le règlement intérieur [de la nouvelle entité].

L’originalité et la valeur du système français ne sera plus, à savoir l’existence d’une expertise technique qui base sa compétence sur le contact avec les développeurs, et qui joue le rôle de soutien de l’administration qui détient, elle, le pouvoir. Un modèle dialogique, permanent et continu entre expert, autorité et exploitant, le dénommé ‘french cooking’, originellement critiqué pour son absence de prise en considération explicite d’objectifs quantifiés et des coûts associés

Certains travaux ont pourtant largement souligné que le dialogue à trois est un puissant garde-fou face aux risques d’excès de zèle du binôme ASN/IRSN ou, à l’inverse, de sa ‘capture’ par les intérêts industriels. Il ne faut pour autant être naïfs et croire que le modèle repose entièrement sur un sage équilibre et une stable gouvernance : les décisions les plus quotidiennes se règlent par consensus ou compromis à différentes étapes d’un dialogue pas que technique.

Une telle réforme sera-t-elle le bouleversement d’ampleur du paysage industriel nucléaire français que certains espèrent pour sa prospérité, que d’autres redoutent pour des raisons de risque radiologique accidentel ?