Comme un EPR de Déjà vu
Il aura fallu plus de quarante ans d’expérience pour établir les plans de construction du fleuron de la filière nucléaire. Rien de moins pour certifier un niveau de sûreté optimale et de sécurité efficiente. De quoi s’assurer de la pérennité de la vitrine ambitieuse destinée à l’export. Cet enthousiasme vaudrait bien d’en passer par un véritable treizième travail d’Hercule et par quelques déboires. En croisant les doigts que le projet EPR soit mené à son terme.
(un EPR face à la mer, à côté de ses deux vieux acolytes ; source : EDF)
Le projet a débuté officiellement son émersion depuis 2007 sur le site de Flammanville. Il donnera naissance au premier réacteur de troisième génération, un chiffre supérieur à la deuxième génération, gage de supériorité, forcément. Le modèle se nomme EPR, délivrera une puissance de 1650 MW, serait d’autant plus complexe qu’il couterait moins cher. Au menu, des systèmes de sécurité révisés et supplémentaires, un chantier peuplé de 4800 personnes (dont 900 salariés d’EDF, le reste étant des sous-traitants). Mais également , en toute marge, une facture alourdie d’année en année, une accumulation de retards. Ballot que cela.
// En Bref //
• Le secteur nucléaire attend l’EPR comme le renouveau de la filière
• Il serait un réacteur amélioré, plus sûr et moins cher
• Projet européen devenu franco-français, il accumule retards et surcoûts
• Les malfaçons sont nombreuses, pas encore toutes reprises
• Dont certaines engageant la sûreté du réacteur une fois mis en fonction
• La Cour des Comptes critique ce projet, cependant qu’EDF et Orano s’exposent à des risques financiers et à une dette sans cesse majorée
• L’Etat soutient ce projet et envisage déjà malgré tout la constrcution de nouvelles unités
• Des phénomènes vibratoires restent inexpliqués et la solution technique n’est pas efficiente, avant tout démarrage
• Les derniers tests révèlent des écarts pouvant avoir des conséquences sur le dossier de mise en service
// En Bref //
Cet EPR a tout pour plaire
Le projet est engagé en fait depuis 1989 (année de création de la filiale Nuclear Power International) et s’inscrit dans le cadre d’une coopération franco-allemande de laquelle sortira finalement l’Allemagne. Dès ces années et malgré des capacités de production nucléaire suffisantes, voire parfois excédentaires (l’équivalent de 5 réacteurs est destiné à l’exportation), EDF avait en effet souhaité renouveler son parc. Une façon de maintenir ses compétences et de rester en veille technologique. C’est dès octobre 2004 qu’EDF décide d’implanter le European Pressurised water reactor, de son nom complet, dans la Manche. Le financement sera pris en charge par EDF et EnBW ; sa construction reviendra à Siemens et à Areva, réunis pour l’occasion au sein de Framatome ANP (puis d’Areva NP, etc. à la faveur de fusions de sauvetage de l’entité Areva).
Le concept repose sur une synthèse des choix technologiques français et allemand. Cette filière de réacteur à eau sous pression de haute puissance n’en reste pas moins dépendante de Westinghouse, la technologie américaine exclusive du parc existant de deuxième génération actuellement en service.
L’objectif final est (était ?) de bénéficier d’un réacteur plus puissant et plus rentable. Mais surtout vendu comme beaucoup plus sûr (par le biais d’une redondance et d’un niveau de protection des systèmes de secours, du rajout d’un radier pour récupérer le corium en cas de fusion du cœur afin de le contenir quatre jours, etc.). C’est bien simple : selon ses promoteurs, si tout le parc mondial actuel était constitué de tels réacteurs, la probabilité d’un accident majeur passerait de tous les 20 ans à un tous les 2000 ans, voire davantage.
La prétention était telle que le réacteur devait pouvoir entrer en fonction après seulement cinq années de confection, ce qui aurait représenté un record mondial sur le plan technique. Mais la France n’avait-elle pas déjà démontrer au monde entier ses compétences industrielles en matière de construction de réacteurs en si peu de dizaines d’années ?
Premier temps législatif, l’intendance suivra. Via la loi d’orientation sur l’énergie de 2005 entérinant la décision de la construction de l’EPR tout d’abord, le débat public ne débutant qu’en octobre de cette même année. Détail que ce débat quand un article est carrément bafoué : l’EPR se trouvait autorisé alors que la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire se trouvait poirtée au-delà de 63,2 GW. Ensuite, ne restait plus qu’à officialiser le tout via le décret paru en 2007, juste avant l’élection présidentielle. Un contrat d’exportation en Finlande déjà en poche avant même sa première construction finalisée, l’euphorie était à son comble et Sarkozy annonçait dès janvier 2009 le lancement d’un deuxième EPR basé sur le site de Penly.
Mais ce dernier ne verra finalement pas le jour. Il faut dire qu’entre temps, Siemens se sera retiré définitivement du projet en 2011 devant l’accumulation de déconvenues, bien loin de l’achèvement programmé à l’année 2012 et du budget de 2,8 à 3,3 milliards d’euros.
Le projet s’éternisant depuis le début des années 1990, sa pertinence technologique ne s’en trouve pas facilitée (les pré-plans datent de plus de 20 ans) : la conception date, et avec elle par exemple un contrôle commande standard connu dès 2014 comme possédant des composants à l’obsolescence avérée, obligeant à un stockage conséquent afin de provisionner les pièces pour faire face à tous problèmes sur les 40 à 60 années d’exploitation prévue.
Malheureusement pour le projet, les critiques ne s’arrêtent pas à cela. Si l’EPR devait se contenter de résister à la chute d’un avion de ligne, cela serait de l’ordre de l’accessible. Mais ce sont 34 pages qui ont failli briser sa double coque comme une vulgaire glace.
Comme la chute d’un Airbus A350-1000 sur l’EPR
Devant la répétition de scandales et de critiques depuis son lancement, le gouvernement a souhaité faire un point précis sur la situation de l’EPR français : le rapport Folz (du nom de son rapporteur donc, Jean-Martin Folz, président de Peugeot Citroën de 1997 à 2007) a été remis en octobre 2019 et est sans appel.
La construction aura accumulé tant de surcoûts et de délais qu’elle ne peut être considérée que comme un échec pour EDF.
Pourquoi tant de haine ? Le document avait pourtant été commandé par le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy. Et il est d’usage que les conclusions soient souvent orientées par le commanditaire.
(extrait du rapport Folz)
Quinze ans après le premier béton coulé, le quasi quadruplement budgétaire en euros constants atteint, le constat est donc cinglant. Des détails ? Prenez une bonne inspiration.
Fissuration du béton du radier dès décembre 2007, difficultés de soudage des tuyauteries en 2008, bétonnage géré par Bouygues dont les règles de confection ont été non respectées, anomalies dans les armatures en fer de la structure en béton sous le réacteur, violations de la réglementation et absence de culture de sûreté, difficultés dans le pilotage des prestataires externes et lacunes en matière d’organisation, défaillances de contrôle qualité au niveau du constructeur Areva, lignes à haute tension existantes insuffisantes pour acheminer l’électricité produite (une ligne supplémentaire a dû être projetée), difficultés d’homogénéisation du béton (présence de « nids de cailloux ») en 2011, mur endommagé de la piscine du bâtiment où doit être entreposé le combustible irradié, erreurs de ferraillage, soudures des consoles affectées de nombreux défauts en 2012, 45 pièces industrielles non-conformes (pièces de 5 tonnes situées au niveau du pont servant à placer et sortir le combustible nucléaire de la cuve), difficultés de soudage des éléments du circuit primaire principal entre tuyauteries et générateurs de vapeur en 2014, ségrégations de carbone excessives dans la cuve du réacteur, exigences de haute qualité attendue sur des soudures réalisées sur des tuyaux du circuit secondaire principal non atteintes en 2017, malfaçons dans la fabrication des tunnels permettant le passage des câbles et de l’alimentation en eau des réacteurs, défauts en 2018 sur 150 soudures de tuyauteries du « circuit secondaire principal » (circuit servant à évacuer la vapeur produite dans le générateur vers la turbine puis à ramener de l’eau vers le générateur), défauts de traitement thermique sur des soudures des générateurs de vapeur et du pressuriseur en 2019, soupapes du pressuriseur difficiles à qualifier aux conditions normales et accidentelles selon les règles françaises et qui restent préoccupantes pour le bon fonctionnement… Et tout dernièrement, selon l’ASN, des piquages entre tuyauteries au circuit primaire dont la conception laisse apparaître des écarts pouvant à nouveau mener à des risques de rupture : ce problème est pourtant connu depuis 2006 et cela va repousser le démarrage au-delà de 2023 apparemment, comme si l’EPR avait besoin de ce nouveau délais.
L’excellence française désavouée ? Quelques passages du rapport valent d’être reproduites ici, tant les difficultés de l’EPR semblent identifier bien des problèmes, à divers niveaux, sous différentes responsabilités.
[…] Une gouvernance inappropriée, des équipes de projet à la peine, des études insuffisamment avancées au lancement, des relations insatisfaisantes avec les 150 entreprises intervenantes, une perte de compétences généralisée et une estimation initiale irréaliste. […] Une perte de compétence certaine de la plupart des acteurs concernés, tant du fait du départ en retraite de spécialistes confirmés que du défaut d’entretien des expertises et savoir-faire inutilisés. […] Chez EDF d’abord, les capacités de maîtrise d’œuvre d’un grand projet ont été pour le moins érodées ainsi qu’en témoignent les errements des premières années de la construction de l’EPR ; le même constat peut être fait sur l’aptitude à gérer un très gros chantier et sur la compétence technique des bureaux d’études ; ces derniers paraissent dans plusieurs cas s’être coupés des réalités du monde industriel en émettant des spécifications irréalisables ou en tombant dans les excès de l’over-engineering. […] Chez les industriels fabricants de composants, les pertes de compétences nucléaires sont d’autant plus fortes que ce secteur d’activité a vu sa place dans ses plans de charge très fortement diminuer voire disparaître. La relance des activités nucléaires aura été d’autant plus difficile que l’évolution de la réglementation, en particulier pour la qualification des matériels, s’avèrera apporter une charge nouvelle et pesante. […] Mention particulière doit être faite des usines de Framatome et en particulier de celle de Chalon Saint-Marcel dont la longue période de sous-activité aura entraîné une profonde dégradation du savoir-faire malheureusement illustrée par une désolante succession d’incidents majeurs. […] Perte de compétence également, et dans quelques rares cas aussi perte de conscience professionnelle, chez les organismes et entités chargés du contrôle, trop souvent dépassés par les lourdes tâches administratives qu’imposent les procédures nucléaires et perdant de vue l’importance du suivi technique rapproché des opérations manuelles. Ce sombre inventaire des pertes de compétence ne saurait s’achever sans réserver une mention spéciale à la faiblesse des ressources et talents en technique et réalisation de soudage. Qu’il s’agisse de soudures « classiques », mais essentielles, comme celles des consoles du pont polaire ou de soudures « nucléaires » (soudage des adaptateurs du couvercle de cuve, des lignes primaires aux générateurs de vapeur, des mécanismes de commande de grappes, des tuyauteries du circuit secondaire principal…) les très nombreux incidents et malfaçons observés illustrent tant un certain manque de compétence des entreprises concernées que de vraies pénuries de soudeurs qualifiés. […] L’immaturité des études au lancement et les mesures de correction tardives qu’elle a entraînées auront ainsi contribué très significativement aux dérives du calendrier du projet et auront généré outre des consommations supplémentaires d’heures d’études, une instabilité des spécifications et instructions données, qui s’est parfois révélée déroutante pour les entreprises contractantes, et la nécessité de nombreuses reprises sur des montages déjà réalisés. […] S’il est d’usage de considérer que les estimations initiales d’un grand projet sont souvent affectées d’un « biais d’optimisme », celles effectuées pour la construction de l’EPR de Flamanville doivent être qualifiées, au mieux, d’irréalistes. […] La construction de l’EPR de Flamanville aura accumulé tant de surcoûts et de délais qu’elle ne peut être considérée que comme un échec pour EDF.
Carrément ! A part cela, tout va bien. Sans doute pourra-t-on s’étonner tout de même que le rapport n’ait fait aucune mention écrite du piano superfétatoire en un tel lieu…
Quelle conclusion croyez-vous qu’il puisse ressortir d’un tel constat officiel ? Que le choix de l’EPR était éminemment le bon, pardi.
En tout premier lieu, il faut constater que la mise en service industrielle et le bon fonctionnement des réacteurs de Taishan ont apporté la preuve de la pertinence du concept et du design de l’EPR, qu’il faut certainement éviter de remettre substantiellement en cause. […] Des progrès observés au cours des récentes années doivent être confortés, et amplifiés, [tels] les derniers choix d’organisation faits par EDF : la mise en place d’une équipe de projet puissante, disposant de moyens propres importants et d’effectifs pérennes, clairement indépendante des entités d’études et d’ingénierie auxquelles elle fait appel à son initiative, recourant aux techniques les plus modernes de gestion de projet et relevant d’une supervision hiérarchique de haut niveau. Il s’agit concrètement d’afficher des programmes stables à long terme de construction de nouveaux réacteurs en France et d’entretien du parc existant qui donnent aux entreprises concernées la visibilité et la confiance nécessaires pour qu’elles engagent les efforts d’investissement et de recrutement indispensables.
Circulez, y a rien à voir ?
Deux cas critiques pourtant
En matière de niveau de sûreté nucléaire inégalé, il faut avouer que l’EPR fait déjà fort. Et le rapport met en lumière de graves dysfonctionnements que les inspecteurs de l’ASN chargés du contrôle du chantier ont parfois du mal à faire valoir, tant les pressions sont fortes.
Je constate qu’EDF Flamanville ment et nous dissimule volontairement des informations relatives à la radioprotection. Je prévois un rappel à l’ordre. Et je dois défendre (une nouvelle fois) mot pour mot mes observations et justifier ma position vis-à-vis de ma hiérarchie et donc y consacrer un temps et une énergie non nuls. Bilan : EDF ment et nous offre même les preuves écrites. Est-il envisagé un rappel à l’ordre écrit par l’ASN ? Non. Qui s’en prend plein la g… ? L’inspecteur du travail qui projette de rappeler par écrit à EDF que le mensonge aux autorités administratives et judiciaires est un délit , selon le témoignage d’un des inspecteurs entendus rendu dans l’article de Médiapart
Les contrôle de la construction du réacteur EPR par l’ASN ou l’IRSN sont donc nécessaires mais pas suffisants. Pourtant, parmi tous les manquements, deux sont d’importance pour la sûreté à venir du réacteur en fonctionnement.
Il y a d’abord le cas des fameuses soudures défectueuses, une centaine dont certaines sont quasi inaccessibles, car situées entre les deux enceintes de confinement de l’EPR. Ce sont des écarts de qualité, un manque de maîtrise des opérations, constatés lors du soudage des tuyauteries principales d’évacuation de la vapeur (circuit VVP).
Si EDF s’était engagée à remettre à niveau les nombreuses soudures concernées, c’était devoir intégrer les huit soudures très difficiles d’accès, ces huit soudures étant jugées suffisantes dans le dossier d’instruction remis par le constructeur pour résister à des essais à chaud « sans risque pour la sécurité du personnel et l’intégrité des équipements concernés ». L’ASN a jugé qu’il n’en était rien et EDF a finalement admis devoir inspecter chaque soudure, les contrôler radiographiquement et par ultrasons, pour ensuite les refaire afin de tout remettre en conformité avant le démarrage du réacteur (second semestre 2021 vraisemblablement). De nouvelles conséquences sur le planning et le coût de l’EPR, car la technologie du robot qui va procéder à la reprise des soudures doit être en amont validée, et cette homologation peut être longue. Avec le problème ajouté des piquages révélé, le planning de mise en service pour fin 2022 auquel l’exploitant est pourtant contraint est sans grand doute compromis.
Le report des opérations de réparation après la mise en service du réacteur soulèverait plusieurs difficultés, notamment au regard de la justification de la sûreté du réacteur durant la période transitoire.
Mise à jour (octobre 2021) : pour respecter l’agenda déjà largement mis à mal, EDF va préférer mettre en place des colliers de maintien sur ces raccordements de tuyauterie, solution sans doute plus rapide que de refaire les soudures, réparations plus complexes et techniques. L’ASN attend qu’EDF finalise ce dossier et fasse la démonstration « de l’efficacité du dispositif, les exigences de conception, de fabrication et d’exploitation applicables aux colliers et la qualité des soudures d’implantation autour desquelles ces colliers seront montés ».
Le deuxième cas critique concerne couvercle de la cuve (fabriquée entre septembre 2006 et décembre 2007), déjà installé dans le réacteur. Comme évoqué ci-dessus, il a été mal usiné et présente des faiblesses, comme la cuve d’ailleurs livrée par Areva à la Chine pour le chantier de Taïshan. Quand le problème a été connu par EDF, les responsables ont évité de devoir repousser la mise en service de l’EPR français et de devoir verser des indemnités aux chinois.
La débâcle des falsifications des certificats de conformité notamment des générateurs de vapeur, des malfaçons de milliers de pièces depuis des décennies par Creusot Forge a été largement médiatisée dès 2005 (le sous-traitant japonais Japan Casting and Forging Corporation JCFC dont Areva est actionnaire minoritaire est également concerné).
Installé en janvier 2014, les tests sur la composition de l’acier se sont révélés finalement négatifs : des ségrégations de carbone de 0.3% au lieu des 0.2% attendues. Cette différence de 30% de qualité suffit pour modifier les propriétés mécaniques de l’acier et, en particulier, pour influencer la température à laquelle il devient moins souple et plus cassant. Le plus symbolique et frappant car cela touche la structure au sein de laquelle se dérouleront les plus fortes sollicitations (des neutrons, de pression, de température). Ces excès en carbone dans l’acier des cuves ne concernent pas moins des dizaines de réacteurs, risquant de ne pas résister en cas de surchauffe. Une fraude internationale qui s’étend sur une trentaine d’années.
Fin de l’actualisation (octobre 2021)
Les pièces n’ont pas été rejetées et EDF a choisi consciemment d’ignorer les avertissements (on pourrait se demander d’ailleurs comment Bureau Veritas, mandaté par l’ASN, a certifié les pièces malgré tout) : la cuve a été chargée dans le réacteur et une dérogation à la procédure normale a été obtenue opportunément en décembre 2015 (une dérogation en cas de « difficultés particulières »).
[…] en cas de difficulté particulière et sur demande dûment justifiée, assurant notamment que les risques sont suffisamment prévenus ou limités, l’Autorité de sûreté nucléaire peut, par décision prise après avis de la Commission centrale des appareils à pression, autoriser l’installation, la mise en service, l’utilisation et le transfert d’un équipement sous pression nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des exigences [de la réglementation en vigueur dans le code de l’environnement] , selon son article 9
Cela tombe bien : la cuve de l’EPR se trouve dans cette situation. Non conforme, elle est donc autorisée, le couvercle de la cuve devra être remplacé au plus tard en 2024. Surcout de 1,5 milliard d’euros.
Ces équipements ne sont pas anodins et sont considérés comme essentiels à la bonne tenue de l’installation en fonctionnement. Les exigences de sûreté ont donc été revu à la baisse. Ces soudures et cette cuve sont attendues « de haute qualité ». Selon une conformité au référentiel dit « d’exclusion de rupture ». Un renforcement des exigences de conception et de fabrication suffisant pour considérer normalement que la rupture de ces tuyauteries par exemple soit, avec un haut degré de confiance, « extrêmement improbable », selon l’ASN et l’IRSN ( les détails sont accessibles dans le document CODEP). Bref, la défaillance et la rupture de tels éléments ne sont pas postulées dans la démonstration de sûreté.
Renoncer à ce référentiel, à ces exigences strictes, c’est devoir rebâtir toute ou partie de l’installation afin qu’elle soit capable de résister à un accident de rupture que les soudures ou la cuve sont supposées devoir empêcher justement avec une forte probabilité.
Parallèlement, courant juin/juillet 2019, une mission dite « pre-OSART » (Pre-Operational Safety Review Team) s’est déroulée sur le chantier. Ce type de missions est organisé par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur demande de l’ASN dans ce cas présent. Une dizaine d’experts examinent alors en profondeur l’organisation, les pratiques et la mise en œuvre de la sûreté du réacteur avant sa mise en service et en tire un rapport.
Les propositions d’amélioration formulées par cette équipe ? L’amélioration des dispositions et des pratiques visant l’intégrité des barrières coupe-feu et l’extinction rapide des incendies. Tout va bien donc.
Laisser le temps au temps
Le savoir-faire en matière de bétonnage est pourtant largement maitrisé, et quatre ans aurait dû suffire à la réussite de cette confection. Bouygues aura failli. Quant aux soudures d’acier sur des tuyauteries épaisses et des pièces très importantes, comme nous l’avons constaté, l’affaire n’est toujours pas résolue.
En avril 2007, en accordant dix ans à EDF pour construire l’EPR et le charger en combustible, le premier miniprout de Villepin pensait certainement avoir fait preuve de prudence, EDF ayant la prétention de construire le réacteur en seulement quatre ans et demi. Mais les malfaçons succèdent aux défectuosités, les retards s’accumulent, les reports sont incessants et le chantier approchait la date limite du 10 avril 2017.
En toute hâte, afin d’éviter la catastrophe législative que ce chantier ne verse dans l’illicéité de se poursuivre sans autorisation, un décret rectificatif est publié le 23 mars 2017 remplaçant simplement « le mot : « dix » par le mot : « treize » ». D’un seul coup d’un seul, la prolongation du chantier était repoussée à 2020…
Cette fois, il a fallu agir pendant le confinement, en mars 2020, le dernier décret repoussant de quatre nouvelles années la mise en service maximale du réacteur. Soit 2024 en lieu et place d’avril 2020 : année critique pour EDF qui devra procéder au remplacement du couvercle de la cuve du réacteur. Sauf nouveau report à cette échéance. Suspense. Sauf que les associations antinucléaires soulèvent un lièvre : la prolongation a été faite sans enquête publique, et sans nouvelle évaluation environnementale. L’affaire juridique ne serait donc forcément aussi rondement menée que prévue.
Le temps, c’est de l’argent
Qui dit investissements publics dit rapport de la Cour des Comptes (CC). Ce n’est pas la première fois que cette dernière est cruelle avec le secteur nucléaire et ses dérives financières. Il est ici question de passer la livraison retardée de l’EPR au crible de son financement. Estimations initiales irréalistes, mauvaise organisation de la réalisation du projet, manque de vigilance des autorités de tutelle et méconnaissance de la perte de compétence technique des industriels de la filière auront conduit à de lourdes conséquences financières qu’il est bienvenu de chiffrer précisément.
La facture s’élèverait d’ailleurs à un montant supérieur aux 12,4 milliards d’euros annoncés par EDF. Oui, selon la Cour, il ne fallait pas omettre d’ajouter près de 4 milliards de frais financiers et 2,5 milliards de coûts supplémentaires. Total ? Déjà près de 19 milliards d’euros, soit cinq à six fois le budget initial, répartis sur huit principaux contrats (représentant plus de 70 % du total).
Ces surcoûts incessants auront donc douché les velléités allemandes, mais aussi italiennes. Après un nouveau dépassement de plus de 2 milliards en 2012, l’opérateur ENEL arrivé en 2007 (via la participation à hauteur de 12,5% du capital) se sera désengagé, gagnant au passage 690 millions d’euros.
Il faut s’y préparer, ce chiffre maousse n’est sans doute pas le coût ultime. Sans compter tout nouveau report, EDF réclame des dédommagements conséquents pour la fabrication des pièces défectueuses que Framatome (ex-entité d’Areva) aura effectuée en connaissance de cause. Avec le risque majeur d’entrainer au passage la faillite de l’entreprise détenue à 100% par l’Etat lui-même. Rappelons que ce dernier a déjà déboursé 4,5 milliards d’euros pour sortir la société du scandale Uramin (Areva avait alors été démantelé plus rapidement qu’une centrale pour la sauver), mais également 3 milliards au capital d’EDF (afin qu’EDF puisse contrôler l’activité réacteurs de l’ex-Areva NP, devenue Framatome).
Du fait de l’ampleur des réclamations en cours ou potentielles d’EDF à [l’encontre d’Areva SA], le risque de défaillance financière ne peut être totalement écartée.
Ce rapport est aussi l’occasion de revenir sur le processus, les méthodes, les financements et même les capacités techniques de la filière nucléaire et d’EDF. Finalement, alors que la durée moyenne de construction d’un réacteur nucléaire est de l’ordre de 121 mois dans le monde nucléarisé (moyenne issue des données internationales relevées entre 1996 et 2000), la durée programmée théorique de 54 mois semblait par bien trop optimiste, voire totalement fantaisiste.
Depuis, les choses ne s’améliore pas et EDF elle-même reconnait que » le projet n’a plus aucune marge, ni en termes de calendrier ni en termes de coûts [et que] le risque relatif au calendrier et au coût à terminaison est donc très élevé « . Rien de moins.
Au regard de ce risque financier national, EDF étant endetté à hauteur de 33 milliards d’euros et ne bénéficiant plus de fonds disponibles, la CC dénonce dans le même temps le projet EPR de « Hinkley Point » lancé en Grande-Bretagne. Une situation suffisamment critique qui n’avait pas échappé au Directeur Financier d’EDF qui aura préféré démissionner plutôt que de cautionner cette politique.
Si les choses avaient mal tourné, cela aurait été une faute professionnelle. Et je ne pouvais pas cautionner une décision qui risquait un jour d’amener EDF dans la situation d’Areva , selon Thomas Piquemal
Tout cela a, au final, un impact sur le prix de l’électricité qui sera délivrée : de 110 à 120 euros le mégawattheure selon la Cour. Soit près du double du prix issu des réacteurs obsolètes en fonctionnement (et à titre comparatif, l’éolien français permet une production d’un montant de 35 euros/kWh).
Derniers préparatifs hâtifs
Des essais à froid puis à chaud sur l’ensemble des circuits de l’EPR FLA3 ont été conduits en février dernier. Malgré tous les déboires énumérés, le réacteur ne semble plus qu’à quelques étapes d’entrer en service.
Le chargement du combustible nucléaire et le démarrage ne dépend plus apparemment que de la réparation des huit soudures. Après, il sera comme neuf pour résister aux 155 bars et 310°C imposés dans le circuit primaire…
Dès cette fin d’octobre 2020, l’autorisation de mise en service partielle acquise, afin de préparer au chargement final, il faut acheminer ledit combustible à raison de deux camions par semaine pendant 4 mois. Des transports routiers qui vont traverser la France en diagonale depuis Tricastin, Marcoule et Romans-sur-Isère.
Une fois toute cette matière radioactive entreposée dans les piscines, EDF ne fera que souhaiter que la mise en service touche à son terme et que les plaintes pénales déposées ne fassent pas l’objet de poursuites. Sinon, la nouvelle problématique devra seulement résider dans la gestion de ce stock arrivé sur site pour rien.
Mise à jour (novembre 2023) : à l’étranger , l’image d’EDF n’est pas seulement écornée par les déboires de construction et des dépassements de coûts que la France n’ignore plus elle-même sur son territoire, l’entreprise EDF Energy sur le sol britannique est considérée comme quelque peu laxiste concernant sa cybersécurité (problème de gouvernance, risques et conformité, contrôles techniques et mise à jour informatique non réactive). Elle y subit depuis une surveillance accrue de la part des autorités.
En France, les problèmes seraient derrière nous d’après EDF. D’ailleurs, toujours selon la communication officielle, l’EPR semble donner des signes de finalisation de son éreintant processus de construction. Depuis le 1er octobre 2023, les essais d’ensemble de son réacteur FLA3 doivent signer la dernière étape préalable au chargement du combustible puis au couplage (raccordement au réseau prévu au premier trimestre 2024). Sous prétexte de milliers de vérifications en cours, EDF espère afficher une rigueur unanime afin de prétendre à son autorisation de mise en service et son démarrage commercial soumis à l’autorisation de l’ASN.
C’était apparemment sans compter la mauvaise série qui n’en finit pas. L’ASN et l’IRSN ont souligné des manques, loin des prévisions optimistes de l’exploitant à tenir son rang. Il s’agit d’écarts qui auraient ‘des conséquences sur le dossier de mise en service du réacteur’, écarts tels le risque de formation d’atmosphère explosive dans le système de traitement des effluents gazeux (TEG, soit un système de dégazage pour limiter la concentration en hydrogène et empêcher la formation de mélanges explosifs).
À la suite de la réévaluation du risque d’explosion dans le système TEG, EDF a estimé, en raison d’un grand nombre de singularités, que la fréquence de formation d’une atmosphère explosive dans ce système est trop élevée pour respecter l’exigence d’exclusion du risque d’explosion interne aux systèmes fluides figurant dans le [rapport de sûreté] de l’EPR , reprend l’IRSN
La solution mise en avant par EDF (modification du contrôle-commande) devra être validée par de nouvelles études. Une phase d’essais de requalification que l’ASN juge conséquente à préparer en amont, laissant présager un nouveau délai avant le processus de démarrage si attendu par EDF et son actionnaire étatique.
[…] Les inspecteurs attirent votre attention sur le reste à faire important en amont de la mise en service et notamment au cours de la phase d’essais dite de ‘préparation au chargement’. De nombreuses activités, identifiées initialement comme préalables à la phase de requalification d’ensemble, ont été reportées faute de temps à une phase d’essais postérieure. […] Les nombreux reports conduisent à mettre en tension la phase d’essais suivante. Cette situation fragilise la phase de requalification d’ensemble en privant, par exemple, l’installation de certaines redondances matérielles indispensables à la conduite des essais en cas de fortuits , détaille l’ASN
Mais comme souvent, rien ne semble dérouter l’exploitant qui se persuade que ‘tout se déroule correctement’ à défaut de convaincre de moins en moins au regard des détails du dossier EPR. Et encore, peut-être de nouvelles péripéties émailleront-elles les sept semaines d’essais restantes.
De toutes façons, rappelons que ce démarrage se voudra de courte durée puisqu’une première ‘visite complète’ sera effectuée 15 à 18 mois après pour checker à nouveau l’état de toutes les installations mais surtout procéder au changement du couvercle de la cuve de son réacteur (il présente des anomalies de fabrication telles que des ségrégations de carbone qui le rende plus fragile).
Pour ne pas être pris au dépourvu lors du chargement du combustible dans la cuve du réacteur (qui précédera donc la connexion au réseau électrique national), les assemblages combustibles ont été renforcés. Pour rappel, les retours d’expérience des ont clairement mis en évidence ‘un phénomène de corrosion accélérée et de desquamation à la surface externe de la gaine des crayons’, expliquant aisément que les combustibles acheminés ont été renvoyés dernièrement à l’usine de confection pour échange. En sus, une révision du plan de chargement et un programme de surveillance spécifique des assemblages ont été actés.
Tout cela, pour mémoire, sera donc complété par la pose d’un réflecteur en fond de cuve (plénum inférieur) pour une meilleure répartition d’eau (une fois démontrée son efficacité), d’une reprise de nombreuses soudures (jugée difficile et avec un risque de masquage des défauts), de réponses attendues sur les interrogations sur la tenue de certaines soupapes, etc.
Bref, l’EPR est ‘prêt’ à fonctionner. Les solutions pérennes et définitives sont à ce point disponibles (pour éviter les vibrations des gaines de combustibles, etc.), qu’elles sont sujettes à doute et expliqueraient que le passage à la puissance nominale de l’EPR a été décalé de 2028 à 2035. Pendant ce temps, le service commercial tente de vendre son ex-vitrine nucléaire à de nombreux pays européens (la nouvelle vitrine étant l’EPR2). Fusse en limitant sa puissance à 1200 MW…
Fin de l’actualisation (novembre 2023)
La tension sur ce dossier EPR est importante. Dès septembre 2019, il fallait d’ores et déjà rendre une « analyse des capacités de la filière nucléaire » à construire trois paires de nouveaux réacteurs nucléaires, afin que le gouvernement puisse d’ici la mi-2021 décider de la suite à donner à un éventuel programme de construction de réacteurs neufs de type EPR, soit six unités selon les fuites non radioactives orchestrées. Une fuite ne suffisant pas, des documents récemment récupérés laissent encore entrevoir la perspective de plus en plus appuyée que six réacteurs de nouvelle génération vont sortir de terre sur la période 2035/2044 : nous y apprenons que le budget de près de 50 milliards (soit 8 milliards l’unité finalement ?) sera pris en charge pour moitié par l’Etat (l’endettement d’EDF évoqué plus haut l’y pousse, mais la commission européenne n’invaliera-t-elle pas un tel scénario de subventionnement direct ?), à condition que les construction de Flamanville et d’Hinkley Point soient menés à terme et que les surcoûts éventuels soient plafonnés à 30% pour le seul exploitant (l’Etat devant renflouer la différence). Et enfin que ‘les citoyens français se prononcent favorablement’ selon la miniprout Pompili (un référendum est envisagé au final ?). Peu importe apparemment puisque les commandes et la construction de matériels usinés sont déjà en cours et que des sites sont déjà candidats…
Alors qu’aucune décision officielle définitive n’est prise, il faudra donc prendre comme pure circonstance hasardeuse qu’EDF soit déjà en train de procéder à l’achat de terrains à proximité des certaines centrales, qui dans la vallée de la Loire, qui proche du Tricastin, qui de Cattenom. Une situation qui inquiète la population avoisinante cependant que d’autres seraient déjà volontaires. Finalement, deux sites semblent retenus : Penly en Seine-Maritime et Gravelines dans le Nord ; la troisième paire d’EPR 2 (un peu différente en fait de la tête de série test puisqu’une seule enceinte de confinement serait conservée, ce qui change toute en terme de temps de construction mais surtout de sûreté renforcée…) pouvant être réservée à Tricastin ou Bugey.
Une chose est certaine, la France va être confrontée à un « effet de falaise » si aucune solution n’est anticipée (baisse de la consommation, développement d’énergies renouvelables…) : la perspective de fermer 14 réacteurs d’ici 2035 et d’abaisser la part de l’énergie nucléaire dans le mix électrique à 50% laisse augurer des projections et échéances d’importance qui ne paraissent pas relever d’un débat démocratique urgemment mis en place.
Le fond de l’EPR est frais
La France maîtrise-t-elle encore toute la chaîne du nucléaire ? Ses compétences sont-elles optimales pour prétendre gérer un parc aussi étendu alors que la dernière mise en service sur le territoire remonte déjà à 1999 ? L’EPR va-t-il même démarrer un jour ? L’EPR a-t-il un avenir commercial, national ou mondial ? EDF pêche-t-elle par optimisme ? Nationalement, elle semble faire de plus en plus cavalier esseulé, l’Allemagne s’étant désengagée du projet EPR. Internationalement, la construction de deux unités en Grande-Bretagne et en Finlande connaissant les mêmes types de déboires qu’à Flamanville.
L’EPR est un « réacteur d’ingénieurs », bien conçu sur le papier mais dont la construction se révèle plus compliquée que prévu. EDF a péché par excès d’optimisme : le calendrier initial n’était tout simplement pas réaliste. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un prototype. En France, les délais de livraison des réacteurs précédents, de 1 450 MW, avaient atteint plus de cent cinquante mois. […] De nombreuses non-conformités ont aussi été rencontrées, comme le manque d’armatures dans certaines parties du radier en béton de l’îlot nucléaire. Plus récemment, l’excès de carbone décelé dans l’acier des calottes de la cuve a montré une insuffisante maîtrise des procédés de fabrication , selon Thierry Charles, directeur général adjoint de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
Compte tenu des 20 milliards investis, EDF ne peut plus abandonner le projet. Une telle décision serait politiquement difficile à tenir, sans parler de la banqueroute qui pourrait se précipiter subséquemment. En attendant, au regard de l’évaluation des surcoûts la question de la compétitivité de l’EPR pose également question ? La conclusion de l’Ademe interroge en tout cas sur ce point économique : « le développement d’une filière EPR ne serait pas compétitif pour le système électrique français d’un point de vue économique ». En tout cas, ce manque de compétitivité avait déjà obligé EDF a abandonné son projet d’EPR dans le Maryland (Etats-Unis) dès 2012.
Quant aux difficultés rencontrées pour l’élévation de l’EPR, elles semblent donc confirmer que le chemin de la technologie nucléaire en est jalonné de tout temps. Encore, pour ne rien arranger au tableau général, que les difficultés liées aux aléas naturels soient mal évaluées et n’en affecterons pas moins ces réacteurs attendus plus robustes. Comme un air de déjà vu…
Mise à jour (septembre 2022) : L’EPR de Flamanville, FLA3 de son petit nom, entamerait sa dernière phase d’essais avant démarrage. En cette période d’arrêts plus ou moins inopinés et programmés, autant dire qu’il se fait attendre, et pas seulement depuis de nombreuses années. Il s’agit d’essais dimensionnants, permettant de tester la centrale dans les conditions les plus proches de conditions normales d’exploitation. Tout dernièrement, les quatre diesels de secours ont été sollicités, des essais dits « piscine pleine » sont en cours depuis juillet 2022 (la piscine du bâtiment réacteur est remplie en eau borée pour l’occasion), les machines de manutention du combustible testées pour acheminer des assemblages fictifs de la piscine de stockage du bâtiment combustible au cœur du réacteur… Enfin, un chargement de barres de combustible dans le cœur du réacteur doit être opéré après autorisation durant le second trimestre 2023 et une production est espérée envoyée dans le réseau électrique courant fin 2023 (jusqu’à pleine puissance utile par paliers).
Le gouvernement, accaparé en ce moment à actionner tous les leviers pour s’assurer un hiver tranquille, souhaite contraindre EDF à s’engager sur un calendrier de démarrage. Ce calendrier tient-il compte des propres contraintes fonctionnelles, techniques, de sûreté que le PDG de l’exploitant national à lui-même précisées, non sans souligner les contradictions dans les ordres dictés par l’Etat actionnaire.
Que FLA3 respecte son propre agenda, rien n’est moins sûr, tant les marges sont réduites. Il va falloir s’assurer que les multiples soudures à reprendre, plus ou moins accessibles, sont de qualité optimale (une soixantaine doivent être révisées, dont huit des tuyauteries principales d’évacuation de la vapeur du réacteur vers les turbines ; voir infra).
Mais la série des déboires est-elle close ? Nous connaissions donc les fissures dans le béton des enceintes de confinement, dans la dalle sous le réacteur, dans des piliers, les couvercle et fond de la cuve du réacteur atteints de ségrégations de carbone (couvercle que l’ASN considère ne pas pouvoir ‘être utilisé au-delà de 2024’), etc. Les négligences et autres non-conformités ont succédé à certaines incompétences et autres désinvoltures voire quelques falsifications. L’installation bénéficiera-t-elle de la requalification requise après la remise en conformité des soudures du circuit secondaire principal ?
Entre temps, est apparue qu’une partie des systèmes de pilotage de l’EPR aurait connu des dysfonctionnements. EDF aura indiqué que cette panne était connue depuis 2019 et ne remettait pas en cause le calendrier de mise en service de l’EPR en ce que la résolution de cette ‘défaillance structurelle’ était simple. Forcément et fort heureusement. Mais ces « problèmes de connexion » au niveau de deux systèmes de pilotage du réacteur n’ont pourtant pas eu la publicité attendue pour ce genre de soucis de connexions de bons fils à aux bons endroits, problèmes dignes d’une 7è compagnie s’il est maintenant permis d’en rire. Il ne s’agissait rien de moins que d’un système de mesure de la puissance nucléaire (appelé RPN) « constitué de quatre capteurs de mesure situés autour de la cuve, qui permet de connaître en continu le niveau et la distribution de puissance le long des assemblages de combustible et autour du cœur, ainsi qu’un deuxième système d’instrumentation interne du cœur (appelé RIC) qui permet de mesurer de façon plus précise la répartition de la puissance par insertion temporaire dans le cœur du réacteur de capteurs mobiles à l’intérieur de canaux prévus à cet effet ».
Bref. Tous les problèmes de l’EPR vont être solutionnés. Le réacteur neuf sera comme attendu selon le cahier des charges. Vraiment comme neuf ?
C’est que des vibrations affectent depuis le début le LEP, un équipement essentiel du circuit primaire.
Lors des essais menés sur des réacteurs EPR hors de France, des vibrations importantes d’une tuyauterie, appelée ligne d’expansion du pressuriseur (LEP), ont été observées. Les vibrations maximales sont atteintes lorsque la température du circuit primaire est proche de 300 °C (conditions dites « à chaud » caractéristiques du fonctionnement normal), selon l’IRSN
Lors des essais à chaud du réacteur FLA3, EDF a aussi ‘mis en évidence un niveau de vitesse vibratoire de la LEP supérieur au critère d’acceptabilité, […] une valeur proche du double du critère a été enregistrée’.
Ces vibrations avaient pourtant été signalées dès 2018 par la compagnie d’électricité finlandaise TVO et l’autorité de sûreté STUK, suite à des tests sur le réacteur EPR d’Olkiluoto (OL3) en construction. Des vibrations loin d’être anodines en ce qu’elles pourraient entraîner une rupture par fatigue de la tuyauterie au niveau de cet équipement et donc engendrer un accident grave.
D’abord, les causes de ces vibrations restent inconnues. Ce qui est problématique pour ce projet colossal d’ingénierie, empêchant de résoudre ledit problème à sa source. Justement, faute de solution à proposer annihilant la causalité originelle, un amortisseur a été envisagé par EDF pour pallier et remédier à cet écart. Cet amortisseur dynamique est appelé « tuned mass damper » (TMD).
(source : EDF)
Le TMD est une structure mécanosoudée circulaire fixée sur la LEP et comportant une masse mobile en périphérie ; constitué d’un support fixe attaché de manière rigide à la ligne et d’une masse mobile reliée à ce support fixe par le biais de ressorts-amortisseurs à câble. Voilà pour les curieux.
Rafistolage ? Pas pour l’IRSN qui a validé en mai 2022 cet objet confectionné exclusivement, visant à limiter l’impact des secousses trop élevées. Problème : cette solution ne résout pas en totalité.
[Si cela empêche bien la rupture redoutée], un léger dépassement du critère du niveau vibratoire [reste] observé malgré [sa] présence. […] De faibles contraintes alternées associées aux vibrations restent présentes dans la ligne d’expansion lorsque le TMD est en place et actif ; elles devront être prises en compte dans le dossier d’analyse du comportement de la LEP. […] Pour l’IRSN, le dépassement du critère du niveau vibratoire reste acceptable sous couvert de la mise en place d’un suivi en continu des vibrations.
Comme la cuve (validée en son temps malgré ses taux de carbone supérieurs de 33% au cahier des charges attendus comme scrupuleux), l’IRSN n’en valide pas moins le TMD « en acceptant la proposition d’EDF de mettre en place un régime renforcé de surveillance et de mesures ».
Sauf que la mise en place du TMD impose des modifications locales du calorifugeage de la LEP. L’impact fusse-t-il négligeable sur le bilan thermique de celle-ci, selon les simulations thermiques réalisées (des calculs informatiques supposés fiables), la conception initiale promise comme efficiente pour cette nouvelle série de réacteurs s’en trouve modifiée. Avec les problèmes de turbulences des fluides dans la cuve qui auront dégradé les crayons de combustible, cela fait beaucoup de malfonctionnements non résolus avant tout démarrage effectif.
Aussi, certains ressorts du TMD vont subir des températures élevées de l’ordre de 340 °C pouvant conduire à une altération de leur fonction de supportage de la masse mobile du TMD. L’IRSN considère alors qu’EDF devrait compléter son dossier en justifiant l’absence de relaxation pour ces ressorts du TMD à ces températures, cette relaxation pouvant engendrer un amortissement moindre des vibrations… Que d’effets dominos.
Les mesures in situ et en conditions de fonctionnement ne seront effectuées qu’à la faveur d’une inspection dédiée réalisée seulement à la fin du cycle en cours, selon les propres recommandations d’EDF. Une maintenance du TMD consistant en un graissage des liaisons glissières à chaque arrêt de tranche (moment lors duqeul le réacteur est rechargé avec du combustible neuf) et un remplacement des pièces mobiles (notamment tous les ressorts) à chaque visite décennale. Ce qui devrait intervenir après dix- huit mois d’exploitation en ce cas d’espèce.
En mars 2021, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire recommandait :
les origines des vibrations élevées de la ligne d’expansion du pressuriseur observées sur différents réacteurs EPR [doivent être identifiées et doivent être présentées], à un stade précoce de la conception, les évolutions nécessaires sur les futurs réacteurs EPR2 pour pallier cette problématique de vibrations.
Le dessin des quelques EPR en service ou en construction étant le même, ce défaut devait inévitablement se retrouver sur les deux réacteurs de Taishan en Chine (mais aucune information n’a filtré encore à ce sujet), sur celui en construction à Hinkley Point en Angleterre, ainsi que sur l’EPR français. Que le problème concerne tous les EPR est quasi reconnu. Que ce problème soit résolu pour les hypothétiques EPR2 est souhaité vivement, nécessitant une révision des dessins et concepts qu’il faudra de nouveau modéliser et tester. Cela impactant inévitablement le calendrier de construction attendu ardemment par l’Etat.
De la haute ingénierie selon certains. Du rafistolage selon d’autres. Assistera-t-on à une diminution de nos exigences de sûreté (en sus de nos exigences environnementales) pour faire face aux défaillances de notre parc nucléaire ? L’avenir énergétique que d’aucuns prédisent comme hautement compliqué va-t-il nous obliger à revoir à la hausse nos prises de risques ? L’avenir permettra à tous de juger si les niveaux d’exigence auront été abaissés aux dépends de la sûreté pour permettre à la France de répondre à ses besoins énergétiques et de commercialisation…
Décidément, la taille et la puissance majorées des réacteurs EPR semblent occasionner des complications techniques au-delà de toute proportionnalité.
Fin de l’actualisation (septembre 2022)
Avec une telle documentation continuer leur projet de nucléarisation relève ou bien d’une bêtise crasse ou d’un mépris incommensurable mais peu importe ce qui est grave c’est que malgré cette accumulation de preuves rien ne change dans le discours, l’histoire que (se) racontent les techonnuk
Alors, comme dans bien d’autres lieux de démesure ,d’excès il est devenu nécessaire de les arrêter, sans chercher à les convaincre qu’ils devraient …