Comprendre un Réac’

Nous les côtoyons depuis plusieurs dizaines d’années, ils font partie du paysage français, restent indéboulonnables dans leur posture, campent sur leurs positions vaille que vaille. Pourtant, la majorité d’entre nous ignore comment ils fonctionnent, intrinsèquement. Pas facile de comprendre un réac’. Mais nous allons prendre le temps de les ausculter, de les écouter ronronner, vous les faire approcher au plus près à les palper pour voir comment ils réagissent. Et sans doute découvrir qu’ils recèlent en eux le début d’un problème.

Comprendre le nucléaire n’est pas une mince affaire. Il faut malheureusement en passer par quelques rappels, un peu rébarbatifs. Trois fois rien. Ou plutôt, quatre articles tout au plus. Mais c’est un passage initiatique obligé. Cet article-ci apporte quelques notions concernant le fonctionnement interne des réacteurs nucléaires et leurs impondérables. Il fait partie des bases incontournables pour prétendre plonger dans cet univers dense. Aux côtés des quelques autres en ligne ou en cours d’écriture : est-ce que les radiations sont bonnes pour les gencives ? C’est quoi la radioactivitéQuelle histoire des débuts de l’épopée du nucléaire civil en France ?

// En Bref //

• Un réacteur nucléaire est bien plus qu’une vulgaire marmite

• Il existe de bien diverses techniques brevetées

• La France a choisi le brevet americain après une tentative franco-française peu performante

• Un réacteur a des besoins spécifiques qui le rendent vulnérable

• Quelques faiblesses peuvent déjà être répertoriées

// En Bref //

La comparaison trompeuse

 

Du coup, c’est quoi un réacteur ? Un genre de bonne grosse cocotte-minute d’antant.

 

Voilà…

Nous vous remercions d’avoir parcouru cet article…

Bon, vous vous doutez bien qu’un testeur d’autocuiseur n’est pas un ingénieur métallurgiste spécialiste en revêtement de liner d’enceinte de confinement. Que ces métiers ne sont pas intervertibles !? C’est donc que la situation technologique est un peu plus compliquée que cette image d’Epinal. Cet article vise justement à connaître un peu mieux le fonctionnement d’une centrale nucléaire afin de savoir, en conclusion, quels peuvent en être les dysfonctionnements éventuels intrinsèques. De ceux qui peuvent produire rapidement un incident, voire accident nucléaire.

Généalogie des réacs

 

Un réacteur est une unité (une tranche dans le jargon) d’une centrale nucléaire. Il y en a 58 répartis en 19 sites en France. Chaque réac’ est une installation permettant d’amorcer et d’entretenir une réaction de fission en chaîne. C’est lui qui fournit la chaleur permettant la production de vapeur.

Différents types de réacteurs fonctionnent dans le monde, leurs technologies différant essentiellement par leurs caractéristiques (nature du combustible, du modérateur et du fluide caloporteur). Mais le principe de base reste généralement le même : produire de la chaleur et la ‘transformer’ en vapeur d’eau. Dans le cadre d’un réacteur nucléaire, nul fioul, gaz ou charbon, le combustible est l’oxyde d’uranium ou de plutonium, à renouveler tous les 12 à 18 mois. Le combustible nucléaire n’a donc de combustible que le nom ! En effet l’uranium des barres de combustible nucléaire ne brûle pas. Il n’y a pas à proprement parler de combustion dans le nucléaire ! Pour cette raison, la réaction nucléaire ne produit pas de CO2 sur site. Et c’est l’argument principal des nucléophiles.

En plus de cinquante ans, il va de soi que la technologie a évolué au rythme des avancées techniques et scientifiques. Cela donne un phylum fourni.

arborescence des types de réacteurs nucléaires / source : Dominique Greneche

Le premier réacteur nucléaire a été construit durant la seconde guerre mondiale sous les gradins des tribunes du stade de football de l’université de Chicago. Si, si. Il s’agissait d’une pile atomique (empilement de barres de graphite, dont certaines évidées contenaient de l’uranium). Puis c’est la zone désertique de Hanford (Washington) qui accueillait la construction de plusieurs réacteurs. L’objectif était tout autre : produire le plutonium des premières bombes atomiques. Ce n’est qu’à partir des années 1950 qu’un programme américain lançait la filière civile afin de produire de l’électricité. Entre les années 1950 et 1970, les précurseurs des actuels réacteurs ont essaimé aux USA, en ex-URSS, en France et au Royaume-Uni en une floraison de concepts.

On n’abordera pas les subtilités du réacteur Candu développé exclusivement au Canada, des réacteurs RBMK russes (type Tchernobyl), des réacteurs à eau bouillante REB, des réacteurs à neutrons rapides RNR (comme feu-SuperPhénix)… !

Ce qu’il faut retenir, c’est que les plus de 400 réacteurs en service, répartis en une trentaine de pays et conçus pour une durée originelle de 30 à 40 ans sont dits ‘à eau légère’, les REP (PWR en anglais, 85% d’entre eux). C’est la filière la plus classique dans le monde occidental (appelés VVER en Russie). L’autre grande partie est ‘à eau lourde’, REB (10% dans le monde).

Pour cette majorité (REP), l’eau est prélevée directement dans l’environnement pour assurer le rôle de caloporteur et de refroidissement des installations, des circuits et requiert le rôle de modérateur (les réactions sont ralenties grâce à l’hydrogène qu’elle contient). Le combustible est de l’uranium naturel (238) ou enrichi (à 3-4 % en uranium 235 fissile). Parfois couplé à du plutonium (un mélange appelé Mox, mixed oxyde).

Venons-en spécifiquement à la France, où l’évolution est moins arborescente. Le déploiement du nucléaire civil a pris son essor à la suite de la crise pétrolière de 1974. Il s’agissait, en particulier pour la France d’assurer une indépendance énergétique. Mais pas technologique : nous avons privilégié les REP de Westinghouse (eau sous pression). Seuls quelques réacteurs étaient un modèle graphite-gaz, dits UNGG de technologie française aujourd’hui abandonnée (uranium naturel ne contenant donc que 0.7% d’uranium 235, modérateur par le graphite et caloporteur par du gaz carbonique).

Ce parc est alimenté chaque année par environ 1 000 tonnes d’uranium enrichi à 3 ou 4%.

source : EDF

La carte montre l’implantation géographique des centrales nucléaires françaises. Nous visualisons la répartition des 58 réacteurs et celle des onze tranches plus anciennes définitivement arrêtées (filière à UNGG de Bugey, Chinon, Saint-Laurent-des-Eaux…). Chose étonnante, il n’est fait aucune mention d’une centrale existante pourtant officiellement construite mais non référencée

Dissection d’un réac

 

Le réacteur est composé d’une partie réacteur proprement dite (le bâtiment réacteur BR) et d’un îlot conventionnel (turbine et alternateur).

source : INRS

Les 19 centrales nucléaires actuellement en fonctionnement en France ont été globalement construites sur le même modèle REP. Tous leurs réacteurs utilisent la même technologie, dans laquelle de l’eau sous pression sert à transporter la chaleur produite par les réactions nucléaires. Ils diffèrent par leur puissance théorique (900 mégawatts, 1300MW et 1450 MW actuellement).

Le principe est simple et sempiternel : de l’eau à très haute pression passe dans une cuve dans laquelle le combustible fissionne, se réchauffe (l’eau est le caloporteur, porteur de chaleur) ; cette eau réchauffée circule ensuite vers un générateur de vapeur réchauffer à son tour une autre eau qui, transformée en vapeur, va faire tourner une turbine couplée à un alternateur producteur final d’électricité.

L’eau ralentit les particules dans la cuve pour éviter que la réaction ne s’emballe, et refroidit également le cœur du réacteur et les circuits. C’est pourquoi il est indiqué que l’eau joue à la fois le rôle de modérateur et de caloporteur. Son rôle est d’importance, car l’énergie dégagée par le combustible est énorme (une pastille de quelques grammes d’uranium enrichi peut fournir autant d’énergie thermique que cinq barils de pétrole) : si l’eau venait à fuir à la suite d’une rupture de canalisation, la chaleur ne serait plus évacuée, les combustibles fonderaient, la sécurité ne serait plus assurée et un accident nucléaire serait déclaré.

source : INRS

On vous remet un schéma. Deux valent mieux qu’un. Vous avez compris le principal ? Maintenant, rentrons dans quelques détails d’intérêt. Car de ces éléments non accessoires peuvent découler des dysfonctionnements ou incidents inhérents. C’est ce que nous découvrirons pour partie.

La petite boucle du circuit primaire

 

Le circuit primaire, confiné dans le bâtiment réacteur (BR) est composé de la cuve du réacteur en acier reliée par des tuyauteries aux générateurs de vapeur (3 à 4 générateurs selon la puissance) et à un pressuriseur qui maintient l’eau du circuit sous très haute pression afin qu’elle reste liquide (155 à 165 bars). En gros, cela correspond 165 fois la pression atmosphérique, ou encore à la pression que vous subiriez à 1650 mètres sous l’eau. Grosse contrainte donc.

La circulation en boucle s’effectue grâce à de puissantes pompes. En fonctionnement, la température du fluide primaire varie de 286° à 323°C (toujours selon la puissance). Du fait des rayonnements, l’eau primaire s’échauffant directement au contact des barres de combustibles est radioactive.

Dans la cuve, dans ce que l’on nomme encore le cœur du réacteur, des barres de contrôle mobiles (en bore ou cadmium) permettent de régler la puissance de l’énergie libérée selon qu’elles sont enfoncées entre les barres de combustible ou retirées. Les barres du combustible assemblées en fagots (des « crayons combustibles » de 4 mètres de longueur) contiennent presque 300 pastilles cylindriques (de 1 cm de diamètre et 1,3 cm de hauteur) de poudre d’uranium enrichi compactée. Chaque barre est protégée d’une gaine en alliage de zirconium, un métal très résistant notamment à la chaleur. Entre les pastilles de combustible et la gaine, il y a un espace, qui est le plus souvent rempli d’hélium, facilitant le transfert de la chaleur produite vers l’extérieur du crayon et empêchant la gaine de s’effondrer sur elle-même à cause de la pression de l’eau en dehors.

source : INRS

Le cœur d’un réacteur est composé d’environ 200 assemblages de ce type et séjournant près de quatre années dans la cuve (tout est relatif mais le combustible arrivé très faiblement radioactif en ressort très radioactif). Les crayons baignent dans un flux de 2 tonnes d’eau par seconde. Du bore (acide borique) est également ajouté dans l’eau du circuit primaire dans l’optique de cette maitrise de la réaction de fission. La concentration en bore est importante quand le combustible est neuf car il est très réactif ; elle est diminuée au fur et à mesure de l’usure du combustible. Le bore peut être injecté en quantité importante dans la cuve en cas d’accident, à condition qu’aucune rupture ne fasse fuiter trop intensément l’eau de la cuve…

source : INRS

La cuve est un véritable mastodonte. Une hauteur de 13 mètres, 4 mètres de circonférence, 400 tonnes d’acier de 20 cm d’épaisseur devant résister à ces très fortes températures et une haute pression.  Comme quoi, « on a toujours besoin d’un bon chaudronnier ! »…

La fission produit environ 400 éléments très instables (dont le plutonium 239, hautement radioactif). Ce sont des déchets nucléaires. Toujours radioactifs, ils peuvent être de nature solide (césium 134 ou 137) ou gazeux (xénon 133). La cuve ne peut être approchée en fonctionnement : seules des machines de manutention télécommandées peuvent intervenir pour retirer les crayons usés, les remplacer, fermer le couvercle…

Tous ces éléments regroupés dans la cuve du réacteur sont autant d’éléments majeurs garants de l’intégrité du réacteur. Qu’il advienne qu’un défaille et c’est la politique et le principe de sûreté qui peut être remise en doute.

La grande boucle du circuit secondaire

 

Cette chaleur véhiculée par l’eau est récupérée dans les générateurs de vapeur, qui vaporisent l’eau du circuit secondaire. Elle passe en fait à travers un échangeur de chaleur (une technologie complexe et onéreuse) où elle transfère sa chaleur à de l’eau maintenue à une pression plus faible, qui bout donc et se vaporise. L’eau de ce circuit subit un cycle thermodynamique continuel fermé appelé ‘cycle eau-vapeur’ (phases liquide à gazeuse en alternance).

Il n’y a donc pas de contact entre les fluides primaire et secondaire. Ce dernier est officiellement isolé de la radioactivité mais peut être contaminé en cas de fuite des générateurs de vapeur. Il est donc attendu que l’eau secondaire ne soit pas radioactive.

La vapeur issue des générateurs de vapeur sous pression (58 à 77 bars) alimente une turbine qui entraine elle-même un alternateur. La vapeur s’échappe ensuite vers le condenseur composé d’un ensemble de tubes parcourus par de l’eau froide prélevée au milieu aquatique le plus proche. C’est pour cela que de nombreuses centrales nucléaires ont été construites en France le long de fleuves, rivières ou proche de la mer. L’eau redevenue liquide est recyclée et réinjectée au niveau des générateurs de vapeur. Le panache de vapeur qui s’échappe de la tour de la centrale provient d’un troisième circuit d’eau tertiaire qui refroidit le condenseur.

Lors de la condensation, il y a une énorme perte d’énergie au condenseur : le rendement réel d’une centrale nucléaire est alors considéré comme médiocre puisqu’il est de l’ordre de 32 à 33%. Donc les deux tiers de l’énergie sont évacués à l’extérieur au niveau du condenseur (la grande cheminée et son panache blanc). Au final, comme pour une centrale thermique, environ un tiers de l’énergie de réaction est réellement convertie en électricité, les deux tiers restants se perdent dans l’environnement.

Le contrat de sécurité qui propose qu’aucune radioactivité ne se trouve rejetée dans l’environnement repose sur ces constats techniques : un produit radioactif devrait franchir trois barrières, de la gaine de zirconium qui enserre les pastilles de combustible à l’eau primaire, de l’eau primaire à l’eau secondaire, de l’eau secondaire à l’eau tertiaire. Voilà qui doit rassurer chacun. Nous verrons que cela peut être remis en doute.

 

Sûreté nucléaire théorique

 

  Dans un réacteur nucléaire, [il existe] un ensemble de dispositifs étanches interposés entre les sources de rayonnements et le milieu extérieur afin d’isoler les radionucléides du combustible de l’environnement. […] Le principe de défense en profondeur a conduit à mettre en place des barrières successives pour limiter la dispersion des produits radioactifs dans l’environnement. , selon l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN)

Ces dispositifs sont, comme évoqué, de trois niveaux. Au niveau du REP, une première barrière métallique (le zircaloy en zirconium, tube de 0,57 mm d’épaisseur). Le circuit primaire radioactif isolé du circuit secondaire. Et l’enceinte de confinement devant retenir les éléments radioactifs libérés en cas d’accident (un bâtiment étanche en béton ferraillé, armé, de simple ou double paroi, renfermant la cuve, le cœur du réacteur, les générateurs de vapeur et le pressuriseur, soit le réacteur et le circuit primaire).

En sus, cette enceinte est posée sur un radier (une dalle de 3 à 4 voire 6 à 8 mètres d’épaisseur, sauf à Fessenheim, supposée ne pas être transpercée par un cœur en fusion afin d’éviter que ce dernier ne contamine le sous-sol).

Ces trois barrières prévalent qu’il ne peut pas y avoir de retombées radioactives significatives pour la population depuis un réacteur en fonctionnement normal. Mais pourquoi l’ASN parle-t-elle donc de limiter la dispersion ?

Faiblesses pratiques des réacs

 

Les réacteurs en service en France actuellement ont été conçus pour une durée de trente à quarante années. Intrinsèquement, leur conception revêt quelque potentielle faiblesse structurelle.

  Toutefois, dans les centrales existantes, les accidents graves n’ont pas été considérés lors de leur conception , selon un rapport de l’IRSN et du CEA de 2006

Oui, il faut se soucier du choix historique des matériaux utilisés, du conditionnement chimique, du comportement des éléments des réacteurs dans de telles conditions de pression, température et sous rayonnements. Conditions particulièrement agressives entraînant de la corrosion dans les circuits primaires de ces réacteurs. Tout cela a fait l’objet de nombreuses études depuis la fin des années 50, mais théorie et pratique se révèlent après toutes ces années bien distinctes. Y est en effet relevée une corrosion généralisée, ce qui ne serait pas sans impact sur l’exploitation des réacteurs ainsi que la contamination des circuits par les produits de corrosion et de fission. A telles points que des mesures officielles sont adoptées pour limiter ces effets néfastes de la corrosion.

Reprenons point par point. En débutant par la cuve par exemple. Sous l’effet des intenses radiations, l’acier de la cuve se fragilise progressivement. Avec les premiers réacteurs UNGG (abandonnées depuis en France), il a été découvert que le plutonium diffusait rapidement à travers les gaines et polluait le liquide de refroidissement. Mais aussi que certains métaux étaient déformés sous irradiation, que le combustible et les gaines pouvaient gonfler à cause de l’accumulation des bulles de gaz produites par la fission, fragilisant les structures en fonctionnement normal.

Aussi, les bombardements de particules modifient la structure de l’acier. L’irradiation induit des dommages au sein du cristal et conduit à un vieillissement du matériau, par exemple une dégradation de ses propriétés d’usage (résistances mécaniques, conductivité thermique…).

Il existe donc depuis longtemps un caractère imprévisible de ces effets des radiations. Oui, les produits radioactifs, par leurs radiations, produisent des gaz et de la chaleur et provoquent de la corrosion qui rend poreux les matériaux. Aussi, l’hydrogène présent lors de la fabrication de la cuve en acier est responsable d’une petite partie d’apparition de fissures, l’autre a été générée par l’hydrogène présent dans l’eau de la cuve. Plus la cuve est utilisée, plus le risque de fissures générées par l’hydrogène présent dans la cuve augmente, soit la potentialité qu’un accident se déclare.

Nous pouvons également aborder un point technique de comportement de l’acier : sa température de casse. L’acier casse à -20°C dans des conditions normales. Sous l’effet de la fission, la température de casse évolue avec le temps (elle passe à +30°C, voire +60°C au bout de 40 ans de service). Pour éviter qu’il ne casse, les ingénieurs s’assurent donc de le chauffer au-delà de ces limites frontières avant chaque redémarrage pour éviter un choc thermique à l’arrivée d’eau (un arrêt de tranche est programmé tous les 12 à 18 mois pour retirer un tiers du combustible et le remplacer par un neuf, arrêt après lequel il faut procéder à cette remise en eau).

La fragilité de la cuve au temps n’est donc pas une mince remarque. D’autant que cette structure vitale est la seule irremplaçable après une mise en fonctionnement de réacteur car elle s’avère hautement radioactive et donc impossible à démonter, changer, etc.

Evoquons également la gaine en zirconium : elle peut réagir avec l’eau et dégager de l’hydrogène sous l’effet de la chaleur et s’autoentrenant, cette température augmente. D’où l’importance primordiale du refroidissement permanent des barres de combustible afin que la réaction avec l’eau ne s’emballe pas. Ensuite, les gaines perdent de leur épaisseur originelle de 0,57 mm à mesure de la formation de corrosion, plus importante en pratique que les études théoriques et tests de conception menés.

Mais l’hydrogène n’est pas le seul gaz présent dans les barres. Originellement, nous vous en avons informés, de l’hélium est présent dans les gaines pour des raisons d’efficacité pour le transfert de chaleur. Cet hélium présent dans le combustible, formant de très petites bulles, va conduire à un gonflement du matériau. Des calculs forcément savants doivent pouvoir estimer le plus précisément possible ce gonflement car il peut induire des comportements divers des crayons et qu’il faut donc pouvoir prédire correctement.

Mais heureusement, les gaines sont étanches… Mais alors pourquoi donc des produits de fission (gazeux tels le xénon, ioniques tels le césium et l’iode) sont pourtant repérés dans le circuit primaire ? Apparemment, ils ont migré des crayons de combustibles vers le fluide primaire. Car cette corrosion affecte la tenue mécanique des gaines métalliques, si bien que les fuites ne sont pas rares dans le circuit primaire et que le problème de corps étrangers présents est récurrent. Cette contamination externe des gaines et dissémination proviendraient de défauts d’usinage ou des agressions affectant l’étanchéité des gaines. Car, oui, les gaines peuvent aussi être affectées de micro-fissures (un endommagement générique), voire subir des ruptures dans certaines exploitations.

Le fluide primaire doit alors nécessairement subir une purification de ces résidus de fission par un système de contrôle chimique et volumétrique. Cette usure des gaines est bien connue de l’ASN sous le nom de ‘fretting’ : elle résulte d’une usure vibratoire des gaines de crayons.

La présence de produits de fission n’est donc pas exceptionnelle dans le circuit primaire. Ce sont parfois carrément des petits matériaux et parties d’ustensiles que l’on peut y déceler mais qui sont laissés faute de pouvoir les en retirer.

Autre point d’importance : les fuites d’eau du circuit primaire. Tant le refroidissement du cœur en toute circonstance est primordial. Vital même si l’on doit considérer les conséquences que la surchauffe du coeur peut entrainer. A cette fin de vérifier l’état de ce circuit, le débit de fuite fait l’objet de mesure. Ce qui sous-entend que l’étanchéité n’est pas totale. Les fuites sont quantifiées, classées : de l’acide borique (le bore servant comme nous l’avons vu d’accepteur de particules afin de maitriser la réaction de fission) se retrouve alors dans le circuit secondaire, ce qui n’est pas sans poser problème au regard de la nocivité de cette substance.

Autre élément structurel pouvant faire l’objet de détérioration à l’usage, donc hors champ exceptionnel (incidentel ou accidentel, d’origine humaine ou pas…) : la tuyauterie en acier dont les épaisseurs sont minces et qui se trouvent attaquées par ce fameux acide borique présent dans l’eau primaire.

Ces fuites ne sont pas sans impact éventuel. Avec l’étanchéité relative entre les circuits primaire et secondaire, la vapeur faisant tourner la turbine peut être radioactive.

Respirons au-dessus d’un bon grog aux vapeurs aromatisées de rhum. Une pause s’imposait.

Reprenons.

L’enceinte de confinement, ce gigantesque sarcophage en béton protégeant la partie névralgique, perd de son étanchéité au fil du temps. Supposée étanche selon l’ASN, elle est malheureusement l’ultime barrière fondamentale de confinement assurant la limitation ‘à des niveaux acceptables’ de dispersion de produits radioactifs dans l’environnement en toute circonstance (fonctionnement normal à accidentel).  Pourtant, EDF admet elle-même qu’une mise en pression de cette forteresse bétonnée est propice à faire passer l’atmosphère interne de ce bâtiment réacteur dans l’environnement à cause de porosités du béton.

Que l’enceinte soit à simple paroi ou double n’y change rien.

Dans une simple paroi, l’enceinte est doublée d’une peau métallique de 6 mm d’épaisseur devant être résistante et étanche, mais malheureusement la peau subit encore en ce cas des phénomènes de corrosion. Et dans les deux cas, le béton peut être aussi être affecté d’un retrait, lors du séchage (car la confection de béton est strictement définie selon des proportions d’eau et de ciment précises), ce qui se traduit par une diminution de son épaisseur. Des fissures, fragilisant l’ouvrage, peuvent apparaître à cause de ces phénomènes irréversibles de retrait et également de déformation lente.

Pression, malfaçons (nids de cailloux), contraintes de traction, porosité… Le béton de l’enceinte se voit parsemé de fissures multiples, de l’ordre de quelques centimètres à 11 mètres, réparées annuellement par des traitements de surfaces (des peaux composites en résines époxy de tailles variables sont posées) ou par injections dans la masse du béton.

En pratique, certains réacteurs présentent des résultats plus importants de fuite que ce qui était attendu par calculs. Comment le sait-on ? Car des épreuves officielles et réglementaires de l’enceinte sont pratiquées sur deux jours pour arriver à des conditions artificielles de pression forte imposées à l’intérieur de l’enceinte (une surpression de 1 bar produit une poussée de l’intérieur du bâtiment vers l’extérieur d’1 tonne par mètre carré, soit 1 kg/cm2). Ces tests permettent de mettre en évidence que l’étanchéité évolue défavorablement dans le temps, va diminuant sous l’effet de la déformation du béton. Le taux de fuite est alors constaté parfois supérieur aux résultats théoriques et aux normes existantes. Ces observations sont bien insuffisantes, car en cas d’accident grave, pression et température augmentent de conserve brutalement, en quelques secondes ; si bien que le comportement véritable de l’enceinte reste en pratique totalement inconnu.

Tous ces points évoqués ci-dessus sont relevés dans les dossiers d’aptitude à la poursuite des exploitations. Ils permettent de constater que tous les bâtiments réacteurs sont fissurés, certains beaucoup plus que d’autres. A cela s’ajoute la corrosion des armatures bien plus délicate à solutionner.

Enfin une conclusion

 

Suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima Daiichi, des évaluations ont été menées et des préconisations formulées par l’ASN pour éviter l’écueil japonais. Seulement, nous venons de constater qu’il n’est nul besoin d’éléments extérieurs, d’erreurs humaines internes, etc. pour occasionner quelque contamination ou envisager un accident. De tout cela, il en découle des conséquences, des gestions quotidiennes pour pallier, des impacts logistiques et techniques pour réparer… Eau primaire contaminée par les produits de fission, corrosion affectant les gaines de combustible, la cuve, fissures de l’enceinte de confinement, étanchéité non totale, fuites contrôlées et parfois supérieures aux taux de fuite autorisés pour l’exploitation

Ce constat a déjà fait l’objet d’un rapport en 1989, resté interne à EDF.

En attendant, en France, ce sont quelques centaines d’incidents qui sont répertoriés chaque année, pas seulement liés à l’usure et au vieillissement des installations (erreurs humaines…). Nous aborderons également cet aspect quotidien de la gestion du parc nucléaire.

La technologie du nucléaire se révèle tel quel extrêmement fragile par essence en ce qu’elle met en œuvre une infinité de procédés plus complexes les uns que les autres, s’exposant à la détérioration des matériaux, à l’usure inexorable des éléments, rendant les sources d’accidents multiples et imprévisibles. Et encore, compte tenu de la conception à la chaîne de notre secteur nucléaire civil, faut-il souhaiter qu’aucun défaut de fabrication ne se révèle sur l’une des installations, les autres pouvant être potentiellement concernées au même ordre…