L’Epreuve des débats Parallèles

Dans une certaine cacophonie de débats, l’avis des citoyens est sollicité, tendance consultatif. Puis, décisifs, les parlementaires se saisiront de la question énergétique en général, de l’avenir du nucléaire civil en particulier. Parmi la petite partie de la population informée de tels événements, l’insatisfaction gagne sur le fond et la forme et le pessimisme se diffuse concernant les conclusions. Motivés, d’autres encore décident de créer leur propre moment démocratique.

 

Les débats sur le programme nucléaire français auront toujours fait défaut. Depuis 1981, de grands moments de délibération auront toujours été promis, mais la faillite démocratique n’aura cessé sur ce dossier, hormis une demi-journée parlementaire parfois accordée sous la contrainte politicienne.

En pleine crise climatique, pour ne parler que d’elle dans ce cadre, un tel examen populaire que d’aucuns attendaient sur l’avenir du nucléaire civil est noyé dans diverses sollicitations gouvernementales, telles la concertation nationale sur le mix énergétique (du 20 octobre 2022 à janvier 2023) pilotée directement par le gouvernement. Les amalgames et confusions règnent, de façon totalement volontaire selon les détracteurs.

// En Bref //

• Derrière le débat, la décision semble prise

• Les enjeux sont majeurs, politiques à économiques

• Les moyens pour médiatiser le débat, éclairer les citoyens, sont limités

• EDF ne tarit pas d’éloges pour son EPR2, vraie vitrine enfin de son savoir-faire

• Des révisions de dessins de certains éléments pourraient remettre en cause sérieusement le calendrier

• La CPDP a obligé chaque partie à argumenter les controverses, mais rien n’est tranché. Le citoyen est supposé se débrouiller

• Les conclusions du débat ne semblant d’aucun poids politique, les dés pipés, un autre genre de mobilisation est rêvé par quelques opposants

// En Bref //

Du pain et des débats 

Du projet d’enfouissement récemment déclaré d’utilité publique aux piscines de combustibles usés de La Hague bientôt saturées, en passant par les réacteurs arrêtés en urgence pour cause de fissures engendrées par de la corrosion sous contraintes… les vastes sujets ne manquent pas pour prétendre interroger ce choix de production d’énergie électrique. Mais le gouvernement semble vouloir accélérer les échéances d’une décision qu’il aurait déjà prise, voire rendre floue la possibilité que chaque citoyen aurait de faire entendre son opinion éclairée.

Une accélération n’a pas été du goût du Conseil d’État pour qui les EPR2 ne répondent pas à la qualification de ‘raison impérative d’intérêt public majeur’. Bref, un passage en force peu apprécié par les Sages de la rue Cambon, une ‘consultation démocratique’ ne pouvant être obérée de quelque élément que ce soit. Un ralentissement juridique passager au demeurant, une nouvelle mouture ayant été présentée dans la foulée. Les simplifications procédurales y demeurent, le but affiché résidant de la réduction d’au moins deux ans du chantier de construction des futurs EPR, permettant que des travaux préparatoires tels le terrassement (dès juin 2024 ?), la préparation de la plateforme supportant l’ouvrage  ou la construction de bâtiments annexes (non destinés à recevoir des substances radioactives) soient effectifs avant tout décret d’autorisation de création, comme cela est le cas pour le site d’enfouissement Cigéo.

 

(source : SDES)

C’est bien simple, plusieurs éléments révèlent que le gouvernement n’a jamais envisagé de limiter la production énergétique d’origine nucléaire. Parmi les dépenses publiques de recherche et développement (de l’ordre de 1,725 milliards d’euros en 2021), le nucléaire en constitue 56 % des financements publics et reste entre 2002 et 2021 le principal domaine financé (en 2021, sa dépense atteint 962 millions  d’euros dont 80 % sont consacrés à la fission nucléaire).

Fort de ces financements de recherche et développement (Iter…), de ces investissements à Flamanville (EPR) et Bure (Cigéo), de ces participations actionnariales, de ces placements à l’étranger… le gouvernement aurait-il la témérité de suivre des préconisations qui ne valideraient pas ses convictions ?

Un grand débat qui pourrait tomber de haut 

 

La CNDP (commission nationale du débat public) a été saisie par EDF, obligation légale au demeurant compte tenu du projet industriel d’envergure présenté sur le site de Penly. Désignée par la CNDP, une  commission particulière (CPDP) est chargée de prendre en charge la totalité du débat durant les quatre mois. Forte d’un budget de 2 millions d’euros, la CPDP enchaînera onze rendez-vous, en toute discrétion faute d’une publicité des débats conséquentes et compte tenu des lieux choisis, peu prétentieux de prime abord à accueillir un public en nombre et motivé par l’attrait de faire entendre sa voix.

(source : dossier de Presse de la CNDP)

Réunis en ce 8 novembre 2022 dans une petite salle effacée du 13è arrondissement, sur un site banlieusard mal desservi de Saclay dès le 25 novembre au soir, la motivation et la rapidité d’inscription doivent habiter chacun pour prétendre rejoindre les lieux et avoir une place au sein des jauges de 120 à 200 sièges respectivement prévues.

Voilà bien les premiers reproches pouvant légitimement être adressés à la CPDP. Si le gouvernement rechigne à donner visibilité, hormis pour des débats qu’il maitrise de bout en bout, que la commission ne se donne-t-elle pas les moyens de ses ambitions ? Faute de valoriser cette ‘opportunité historique et unique’, est proposé un programme limité géographiquement, sont envisagés des thématiques restreintes pour balayer un sujet si vaste, est imposé un temps limité à quatre mois pour aborder un domaine dense et technique… Comme des airs de paradoxe.

Voilà bien les écueils insolubles auxquels se confronte la CPDP, malgré la conviction sans doute sincère de ses membres et de son président de bien œuvrer. Aussi, responsable mais peut-être pas coupable, la CDPD s’en remet à différents prestataires, scrupuleusement sélectionnés dans le cadre de procédures de marchés publics, attribués fin 2021 et début 2022. Loin d’organiser elle-même les débats, des prestataires habitués de ce genre de barnums, qui sur des missions d’animation, qui de communication et de logistique événementielle des débats publics.

Charge à eux de mobiliser le grand public, d’animer le débat ‘et de permettre de s’approprier le sujet en définissant un périmètre de questions qui seront présentées et débattues dans ce cadre’. C’est là que les reproches les plus virulents se font jour.

Prenons la société Eclectic Experience, qui ne fait d’ailleurs pas grand cas elle-même de son travail professionnel actuel. Spécialisée dans l’accompagnement et l’animation des rencontres (dont d’autres débats dont la CNDP avait la charge), ces salariés sont rompus à l’exercice de la bonne tenue des concertations sur des projets urbains et industriels par toujours acceptés de prime abord par les populations locales. Si la CPDP est décisionnaire final, Eclectic propose et oriente les formats. Au final, tout à une définition particulière du terme ‘débat’, les discussions et échanges se limitent à quelques questions que le public doit savoir tenir en deux minutes chrono, microphone fermement conservé par les collaborateurs répartis dans la salle… tout cela sous l’arbitrage/patronage de l’intransigeant maître de cérémonie David Prothais, assez au fait de la façon d’orienter voire cadenasser, influencer lesdits débats et formats, comme le reproche lui est fait par d’anciens et actuels membres de la CNDP. Voilà pour la libération de la parole, notifications et règles strictement appliquées.

Pour quels résultats ?

Les représentants d’EDF ne tarissent pas d’éloges et de qualificatifs flatteurs concernant ce projet industriel national. Les EPR2 seraient une ‘version optimisée, grâce à une prise en compte des retours d’expérience des réacteurs de Flamanville, de Finlande, de Chine et de Grande-Bretagne’. Peu importe que la plupart n’aient pas encore démarré ou que les autres aient dû être arrêtés pour des considérations techniques voire de sûreté dont les causes ne sont pas entièrement révélées et/ou cernées. Tout est sous contrôle. ‘La performance de sûreté de la chaudière et du couple turbo-alternateur est optimale, la construction est rendue plus simple sans remise en cause aucune des meilleurs standards de sûreté, la probabilité de survenue d’une fusion de cœur combustible étant rendue extrêmement faible comme jamais’ (divisée par dix par rapport aux réacteurs de deuxième génération, la probabilité d’un tel événement serait de 1/100 000 par an et par réacteur). Mais encore ? L’enceinte de confinement est ‘plus simple mais aussi robuste, une simplification des maintenances est obtenue, réduction de 30% de soudures, renforcement des préfabrications, améliorations de construction via l’intégration des équipes sous-traitantes, évolution des organisations et procédures, digitalisation performante’… N’en jetez plus. Une véritable revue publicitaire voulue convaincante. Même le syndicat CFE-CGC présent sur place tiendra à confirmer sa conviction par deux fois du bien-fondé du projet.

Tous les voyants sont au vert, EDF ne semble craindre aucun bâton dans ses turbines jusqu’à l’autorisation de création (DAC) visée pour 2026, se gargarise ostensiblement de la possibilité de travaux préparatoires sur ce site dès la mi-2024, se féliciterait déjà de la réussite d’une mise en service assurément prévue à l’horizon 2035-2037. Les objections de Bernard Laponche, seul sceptique de la table ronde, ne terniront pas les pages glacées du dossier  de maître d’ouvrage.

Pourtant, derrière ce tableau idyllique, des questions persistent. Les ennuis de l’EPR de Flamanville ont-ils été tous résolus ? Les causes des vibrations trop élevées qui fragilisent la ligne d’expansion du pressuriseur ont-elles été trouvées ? La mauvaise distribution du flux d’eau dans la cuve responsable des vibrations qui détériorent les assemblages combustibles est-elle solutionnée ? A ces problèmes sérieux, l’IRSN ne compte pas accepter la solution temporaire de l’amortisseur adjointe sur la ligne de l’EPR FLA3 pour de futurs réacteurs voulus efficients et irréprochables.

Mais alors, le design du répartiteur de flux dans la cuve va-t-il être révisé ? Et le dessin des canalisations de secours sujettes à des fissures issues de corrosion sous contraintes précoces ? Quand nous interrogeons les représentants d’EDF présents, responsables des programmes EPR2 depuis plusieurs années et en charge de mener à termes ce dossier sur le plan industriel, les réponses se font évasives et beaucoup moins assurées. Car de telles modifications demanderaient de nouvelles études, des simulations poussées, des tests sur maquette… a fortiori du temps supplémentaire. Et les impacts calendaires sur le programme en cas de corrections conséquentes sur la ligne d’expansion pour éviter les vibrations ne seraient pas négligeables, au point de remettre en cause le programme industriel et son intérêt dans le cadre du scénario bas carbone gouvernemental.

Il n’y a aucun problème. Le design est finalisé. Il n’y a pas de raisons de modifier quoi que ce soit, puisque tout fonctionne comme attendu. On ne peut pas savoir combien de temps cela mettrait éventuellement puisque cela n’est pas à l’ordre du jour . 

Bref, silence radio mais malaise. Car le sujet est hautement polémique, cette possibilité largement envisagée par les directions à EDF. Autant dire que la pression politique et technique est lourde sur l’ASN et l’IRSN. Cette dernière, par l’entremise de son chef de service préposé aux nouveaux réacteurs, n’en fuyait pas moins les réponses sur ce sujet, celui des exclusions  de rupture (des circuit primaire et de vapeur notamment) étant déjà source de tension.

Alors comment un simple citoyen pourrait prétendre s’y retrouver ?

Devant l’avalanche de données techniques des documents à destination des citoyens, devant tant d’affirmations spécialisées avancées en séance, la CDPD a entrepris de procéder à une clarification des controverses. Plusieurs associations, institutions et entreprises ont été sollicitées pour répondre à sept sous-thématiques et selon un cahier des charges strictes. L’ACRO, Global Chance, la CRIIRAD, France Nature Environnement, Greenpeace, le Groupe Scientifique d’Information sur l’Energie Nucléaire (GSIEN), Negawatt ont été invités à répondre, aux côtés de l’ANCCLI, l’ANDRA, du CEA, du CNRS, de  l’IRSN, de la Société Française de l’Energie Nucléaire (SFEN), bien entendu d’EDF, et du syndicat professionnel de l’industrie nucléaire (GIFEN) qui aura intervenu hors de toute liste initiale dressée par la CPDP.

Si tous n’ont finalement pas contribué, tous étaient contraints à formuler leurs arguments en 4000 signes, ce qu’EDF n’a pas toujours pris soin de respecter, au grand désarroi de la CDPD… Une compilation synthétique en a été opérée par les membres de la commission afin de faciliter la lecture des profanes. Exercice de haute voltige pour que celui d’élaguer tant de proses techniques. La CPDP y reprend les positions saillantes de chacun des participants en prenant soin de ne tirer aucune conclusion, même si certains échanges parlent d’eux-mêmes : notamment les retours d’expériences non terminés et restreints (concernant par exemple justement les fluctuations de débit dans le fond de cuve), les incidents de corrosion imprévus et actuellement étudiés, la référence au rapport Folz

Pour Michel Badré, président de la commission CPDP, l’opportunité de nouveaux réacteurs ne pouvait être débattue sans intégrer l’intérêt de l’énergie nucléaire, de la politique énergétique. Sans inévitablement interroger toute la filière et ce choix sociétal.

Mais, encore une fois, son rôle aura été déjoué. La CNDP peut pourtant se prévaloir d’une certaine expérience en ce domaine de concertation. Déjà, en 2005, lors du débat public sur le projet EPR de Flamanville, une loi d’orientation de l’énergie en cours de discussion parallèlement au débat actait le principe même de l’EPR, non sans obliger le président de la Commission particulière d’alors de  parler de ‘l’ingérence répétée du politique dans le débat en déclarant que la décision de réaliser l’EPR était déjà prise, au mépris de la démocratie participative et en générant l’incompréhension, voire une légitime contestation de l’opinion et des acteurs’.

Depuis sa création, la CNDP aura déjà organisé pas moins de onze débats sur le nucléaire en dix-sept ans et en aura tiré selon ses propres dires un sentiment pas seulement diffus mais constant que les décisions sont prises sans tenir compte des citoyens :

Les opposants ont eu le sentiment, fondé ou non, que les décisions étaient déjà prises et que le débat n’avait donc plus de raison d’être. [… Aussi,] la question des impacts environnementaux et sanitaires […] est constante. [Enfin,] l’énergie nucléaire est-elle nécessaire à la transition énergétique ? C’est un débat dont le public n’a jamais pu se saisir. Les questionnements éthiques reviennent très régulièrement dans les débats publics nucléaires, qu’ils portent sur la prise en charge des déchets radioactifs ou le risque de catastrophe majeure. Le nucléaire est plus qu’un choix industriel, c’est un choix de société. 

La ‘plus grande bienveillance’ dont veut faire preuve le président de la CPDP pourrait n’y pas suffire. Tout cela pourrait être amené à décevoir, notamment les opposants, porter à l’énervement parfois, pousser même au boycott.

Le petit débat qui voudrait devenir grand 

 

Pour pallier l’inanité des débats officiels, un petit groupe utilise actuellement un outil documentaire pour ouvrir à leur façon le débat sur le nucléaire et le choix de société que la filière impose finalement. L’angle antinucléaire est assumé. Mis en branle en 2021 hors de toute projection programmatique à moyen terme, ce télescopage calendaire révèle à leurs yeux toute l’opportunité de proposer ce film comme base du débat démocratique espéré.

Présenté sans rougir devant près de 100 personnes le  9 novembre, ‘Notre terre mourra proprement’ retrace l’histoire des projets d’enfouissements des déchets radioactifs à travers le territoire métropolitain, déni originel compris. De la plupart des stratégies pour faire advenir des centres de stockage desdits déchets, quelques-uns s’imposeront, notamment à Soulaines, La Hague et dernièrement vers Bure.

Soutenus depuis sa sortie par Attac, GreenPeace France, la Confédération paysanne, le Cedra (un collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs), le Réseau Sortir du Nucléaire, tant médiatiquement que logistiquement, ce film documentaire est le fruit de la volonté de Catherine Fumé et François Guerroué de réactiver la mémoire des résistances rurales face aux projets nucléaires de stockage, d’enfouissement. Avec la volonté affichée de ‘réveiller les esprits antinucléaires’.

Nous nous sommes rencontrés lors de l’opposition au projet de piscine d’entreposage centralisée [à Belleville-sur-Loire]. […] Nous avons fait depuis un gros boulot tous les deux, nous avons lu, fait des recherches, on est allé rencontrer des gens, à La Hague notamment et avons nourri nos connaissances […]. Nous n’avons pas fait un film sur la dangerosité des déchets mais sur la lutte contre les déchets. […] Ce qui m’a intéressée c’est la force des militants qui ne voulaient pas que l’on touche à leur territoire, que leur point de vue soit considéré comme négligeable. […] Petit-à-petit, la lutte antinucléaire a été abandonnée et il faut la réanimer. […] Nous n’avions pas la vision de faire une tournée mais cela permettait de toucher des réseaux différents. […] J’ai envie que la tournée et le film fassent sauter la peur, de l’autorité, de la répression. Que partout sur le territoire cela suscite des concertations autogérées, que les gens s’organisent pour parler de tout cela. […] On s’est dit qu’on voulait essayer de faire quelque chose. […] Etre radical, c’est être à la racine , précise Catherine Fumé

Le point de vue narratif ne se soustrait absolument pas à la position antinucléaire revendiquée. Serti de pièces historiques, de témoignages d’époque entrelacés de paroles fraichement recueillies, il faut avouer que le procédé technique amateur fait écho aux apparences des documentaires d’antan, que certaines anecdotes procurent une émotion vivace, que l’inventivité sans limite des citoyens rebelles, parfois délicieusement potache, force le respect. Avant que les confrontations ne se fassent plus vigoureuses.

Il n’y a plus aucune culture antinucléaire. En même temps, je baigne dans un milieu de potes où on est amené à jouer ce rôle d’enquête et de transmission. On a cette soif, un appétit de savoir, de comprendre. Nous sommes beaucoup à vouloir nous engager, en connaissant l’histoire. Nous voulons jouer le rôle de ceux qui prennent la relève. […] L’affaire Tarnac a eu un rôle essentiel dans le court-circuitage, la France a été mise sous cloche après cette affaire, ciblant le réseau de luttes. […] Une nouvelle génération reprend le flambeau après un passage à vide, avec un travail d’enquête sur les territoires, sur le foncier. Beaucoup disent qu’ils ne veulent pas s’enfermer dans la connaissance de cette industrie mais qu’ils veulent l’empêcher de continuer, que l’expertise est contre-productive en alimentant le système. […] Nous avons une sensibilité à une écologie populaire, la lutte antinucléaire étant une lutte contre le système industriel dans son ensemble, comme dans les années 1970. […] Réveiller les esprits antinucléaires c’est réveiller les esprits de la terre. […] Etre radical, c’est être à la racine , nous confie François Guerroué

Bilan politique de 70 ans d’une telle gestion démocratique ? Comme la CNDP le déplore à sa manière, rien n’a guère changé. D’où la volonté des deux réalisateurs de « déborder la concertation et le débat public en faisant une démonstration de force par la publication » de milliers de prises de parole, qu’elles soient sous forme écrite, vidéo… Bref, d’initier des débats en tout lieu, via ce support cédé en libre diffusion, comme le CPDP met lui-même à disposition des kits prêts à l’emploi à destination d’hypothétiques débatteurs. Au final de la tournée nationale de cette conférence-débat qui s’échelonne de novembre 2022 à janvier 2023 en rien moins que 40 dates, ils procéderont à la remise d’un cahier de doléances aux parlementaires dans le cadre du débat sur la loi qui doit se tenir en 2023.

Le collectif assume un discours qui ne se limite pas au seul débat sur le nucléaire. Compte tenu des conséquences que tient l’énergie nucléaire sur la société, il considère qu’elle ne doit pas être débattue sur le seul plan de la technique, ce choix étant hautement politique et idéologique, révélant une forme arbitraire de société.

Qui pour conclure ?

 

Sans commune mesure budgétaire, le débat officiel ne parcourra pas la France, contrairement au débat amateur lancé plus amplement.

Mais cela n’a pas l’air de perturber la bonne marche gouvernementale, l’exécutif restant entièrement tourné vers l’avenir nucléaire avec une conviction génétique. Première entorse parmi  de suivantes ? Le projet de loi visant à accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires est présenté avant même la présentation du projet de loi de programmation pluriannuelle de l’énergie. Tout dernièrement, une délégation de programme interministérielle au nouveau nucléaire aura été créée et référera directement à la Première ministre (quinze collaborateurs doivent être nommés auprès de ce nouveau directeur d’administration centrale). Cette délégation supervisera la réalisation de ces programmes industriels que sont les six nouveaux réacteurs promis par Macron et qui ne font plus mystère de leur matérialisation finale. Mais surtout, cette délégation doit prendre soin d’assurer « le pilotage des procédures de participation du public » d’un débat que le  gouvernement aura pris ‘en même temps’ de décrédibiliser par diverses annonces et procédures parallèles variées.

En attendant ces mises en fonctionnement lointaines, la France va devoir composer avec 22 réacteurs encore stoppés sur les 56 qu’elle compte. Et cette nouvelle révision à la baisse de la production nucléaire aura obligé le gouvernement à demander à EDF et aux autres énergéticiens de majorer leurs capacités dans les énergies renouvelables pour répondre à la demande d’électricité durant l’hiver, au-delà des autorisations initiales voire en faisant fi de certains bridages. C’est qu’il y une urgence politique à court terme, situation tendue que le gouvernement ne souhaite pas voir se renouveler dans les dizaines d’années à venir. Selon RTE, il existe bel et bien un risque ‘élevé’ de tensions sur le réseau électrique français en janvier 2023, pouvant obliger à d’éventuels délestages tournants.

Ces débats ont-ils encore un sens ? Les enquêtes publiques ont toujours été contestées. Comme le souligne Frédéric Graber (chargé de recherche au CNRS sur l’histoire environnementale des mondes contemporains et plus spécifiquement sur les outils administratifs du développement industriel et infrastructurel), les autorisations environnementales et enquêtes publiques ouvrant la voie à des aménagements comme celui des mégabassines sont fortement biaisées. Face à la légitimation par les pouvoirs publics, de multiples résistances s’organisent pour faire valoir leur inutilité.

Selon ce chercheur, […] aux yeux de l’administration, l’utilité publique ne renvoie pas à l’idée générale de bien commun, mais prend un sens bien plus spécifique : c’est un principe au nom duquel il est juridiquement possible de transformer l’état du monde, y compris si certaines populations doivent en subir les conséquences. Et la conformité ou non d’un projet à ce principe résulte d’une procédure administrative aussi précise que méconnue : l’enquête publique, mise en scène par excellence du consentement. 

L’utilité publique autoproclamée ne ferait que favoriser certains intérêts, participant de l’illusion croissante de cette défiance généralisée. L’enquête publique serait tout bonnement ‘par excellence l’outil administratif qui permet de manifester l’utilité publique sans jamais en débattre’, un outil qui permet de refermer la critique. Une simple contrainte légale à rapidement évacuer, une conclusion du débat public de rigueur rendue sans fleurs ni couronne.

En cela, EDF ne devrait pas tarder à déposer au printemps 2023 son dossier de demande d’autorisation pour la création des deux nouveaux EPR (auprès de l’ASN), puis celui du permis de construire à Penly.

Tout cela fleure la précipitation à outrance, ne facilitant pas la compréhension des quelques milliers de citoyens qui auront été intéressés par le sujet. Et quelle logique réside dans ce calendrier, les parlementaires s’exprimant lors du second semestre 2023 sur la stratégie énergie climat de la France une fois statué le devenir du ‘nouveau nucléaire français’ ?