Le Parlement montre ses Dents élimées 

C’est la première fois que l’Assemblée Nationale sortait un tel brûlot : un rapport d’enquête dédié aux sûreté et sécurité de nos réacteurs nucléaires dans lequel tous les sujets étaient juxtaposés. Et sans guère de pincettes, mais peut-être tout de même une petite arrière-pensée politicienne. Voilà qui changeait des travaux tout en retenue de l’office parlementaire dédié aux choix scientifiques et techniques.

(source : Assemblée Nationale)

Une Commission d’enquête parlementaire sur le nucléaire, carrément. Des investigations sur la sûreté et la sécurité nucléaire auprès de tous les intervenants, ben voyons, ne nous gênons pas. Un rapport qui fait enfin la leçon et préconise 33 mesures pour rendre les centrales nucléaires plus sûres face aux risques d’accident et de terrorisme. Mais de quoi se mêle-t-on ? La demande d’un « contrôle démocratique » efficient du complexe nucléaire hexagonal. Mais on plonge en pleine utopie !

Heureusement, les élus n’ont pas toujours été irrespectueux des nucléocrates. Et de toutes façons, ce petit bras de fer n’est qu’un jeu bien rodé entre les pouvoirs et forces en présence. En 2010, le Centre d’Etude de la Vie Politique Française (CEVIPOF) a publié une étude sur les parlementaires. L’énergie nucléaire y est toujours jugée plus positivement par les parlementaires que par le public, ce qui explique les divergences de vue et leurs appréciations sur ce secteur. Les parlementaires demeurent en effet partisans d’une poursuite du programme d’équipement en centrales nucléaires.

Alors pourquoi un tel document officiel médiatisé ?

// En Bref //

• Un rapport parlementaire dresse un tableau très négatif du secteur nucléaire civil

• Controversé, l’Office dédié aux choix scientifiques est shunté 

• Les critiques sont détaillées et acerbes pour certaines

• Ce rapport est d’abord un rapport de forces, un jeu de pouvoirs prévalant en coulisses

// En Bref //

Tu seras un député accommodant, mon fils 

 

En France, le gouvernement exécute et les élus légifèrent. Lapalissade. Parfois en des domaines que ces derniers ne maitrisent que trop peu. Alors il était bienvenu de créer une structure qui puisse les assister les parlementaires et les éclairer.

Cela a été chose faite en France en 1983, selon la loi portant création d’une délégation parlementaire. Une copie conforme du premier office de Technology Assessment né en 1972 aux Etats-Unis. Il faut dire qu’au début des années 1980, la France a connu un débat tendu sur la Recherche afin de tenter de redresser l’effort budgétaire dans les domaines scientifiques et technologiques ; dans le même temps, l’Assemblée Nationale a estimé qu’il lui fallait se doter de moyens lui permettant de nourrir sa propre réflexion sur le développement des sciences et des technologies afin de suivre leurs évolutions et de les évaluer indépendamment les lois, des politiques publiques gouvernementales. Ce type d’organisme existe de part les démocraties occidentales. En toute marge, comme il existe en Europe une diversité de modèles, d’approches et de pratiques de Technology Assessment, ces offices sont regroupés au sein du réseau européen de Technology Assessment parlementaire (EPTA) afin d’institutionnaliser et d’harmoniser leur fonctionnement respectif.

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) répond de ces objectifs mais reste encore largement méconnu de la plupart des parlementaires comme du grand public. Il se compose de 18 députés et 18 sénateurs, et est secondé d’un conseil scientifique (24 experts). A chaque législature, la délégation est désignée et élit son Président et son Vice-président (qui ne peuvent appartenir à la même assemblée), les deux postes alternant tous les trois ans entre les deux assemblées. Le nombre de commissions permanentes à l’Assemblée Nationale et au Sénat étant strictement limité à six par la Constitution, l’office ne peut lui-même prendre des décisions ; il se borne à être un espace de médiation entre les connaissances scientifiques et l’action publique, peut s’autosaisir, assiste les commissions permanentes.

L’office est donc une sorte de commission spécialisée au service du Parlement. Beau huilage qui vient parfaire la beauté du débat démocratique irréprochable. On en pleurerait.

Bon, vous vous en doutez, tout n’est pas si simple. Et certains dossiers s’avèrent éminemment sensibles pour se permettre de les laisser débattre et rapporter en tous sens. Parmi tous les sujets à controverse (OGM, nanotechnologies…), il en est un qui occupe une place de choix : depuis plus de vingt-cinq ans qu’il est lié et intéressé au dossier nucléaire, certaines critiques peuvent poindre à l’encontre de l’OPECST. Et il s’avère justement qu’il a joué un rôle important et non négligeable dans la politique nucléaire française et son acceptation sociale. Dans un pays aussi nucléarisé que le nôtre, il n’était pas question de laisser légiférer les représentants sur le dossier de la puissance nucléaire sans garde-fous. L’OPECST a largement servi à « éduquer » la position des citoyens au moins au sujet du nucléaire.

De ce sujet radioactif délicat à manipuler, l’OPECST a produit plus de 30 expertises sur le nucléaire. Mais avec quelle marge de manœuvre ?

Car l’OPECST a été créé dans un contexte politique et institutionnel où le nucléaire été déjà largement cloisonné : les choix stratégiques de nucléarisation ont été élaborés et arbitrés dans les années 70, la gestion des déchets radioactifs a été léguée à l’ANDRA placée sous la tutelle de trois ministres (ceux de l’Écologie, de l’Industrie, et de la Recherche) et donc sous la tutelle du Gouvernement…

Devant le poids que peu représenter un rapport ou une enquête de cet office sur les décisions législatives qui pourraient en découler, il n’est laissé encore aujourd’hui aucune place au risque. Aussi, cette petite équipe est quelque peu phagocytée par de fervents scientistes et d’ardents défenseurs du nucléaire. Nous pouvons, à titre d’énumération non exhaustive, nous attarder sur quelques exemples.

Jean-Yves le Déaut tout d’abord. Souvent élu Président de l’instance et nommé depuis 1986 en tant que député de Meurthe-et-Moselle, Le Déaut ne s’est jamais caché de son optimisme nucléaire.

  On rencontre souvent EDF, Areva ou le CEA, ou les énergies renouvelables maintenant, avec d’autres acteurs comme Suez ou Véolia. Mais même sur le nucléaire, on a eu plusieurs auditions publiques, sur les concentrations de carbone ou sur les cuves de générateur de vapeur, et on a posé toutes les questions qui s’imposaient. Quel que soit l’état de l’opinion publique, l’Office a défendu le nucléaire en France, parce qu’objectivement c’est une illusion de croire que l’on peut passer de 80 % de fourniture de nucléaire à 0 % tout de suite. […] La philosophie globale de l’Office est plutôt claire, et moi je dis après trente ans : « je n’ai pas été influencé par des lobbies ». J’ai des convictions, mais je n’ai pas été influencé par des lobbies sur ce sujet-là. A l’inverse, je pense que j’ai fait plus de chemin vers le développement des énergies renouvelables que des opposants nucléaires en ont fait pour gérer une situation qui dans tous les cas existait lorsque nous sommes arrivés au pouvoir. 

Le député Christian Bataille, très régulièrement désigné rapporteur sur les questions nucléaires, a aussi été désigné rapporteur d’une loi qui finira par porter son nom (le concept de stockage réversible). Pendant les quinze années qui suivront cette loi promulguée en 1991, Bataille aura été rapporteur à cinq reprises sur les sept rapports officiels portant sur la gestion des déchets radioactifs. Cela a ouvert la voie pour le choix final de la commune de Bure afin de réceptionner le test national d’enfouissement des déchets nucléaires. S’il fallait résumer sa position sur le domaine nucléaire, nous pourrions citer son intervention qualifiant les impacts des essais nucléaires français sur la santé des personnels civils et militaires d’hypothétiques. En 1998, accompagné par Robert Galley (ancien Ministre et député du département nucléarisé de l’Aube), il prenait à nouveau une position quelque peu partisane en faveur de l’énergie nucléaire. Pour Bataille, pas d’horizon climatique radieux sans énergie nucléaire.

  Prétendre qu’il serait possible de « sortir du nucléaire » dans les années qui viennent relève de l’incantation et du vœu pieu, contradictoire avec les objectifs du sommet de Kyoto et les fondamentaux de l’économie. 

Après une évolution dans le règlement de l’OPECST, les rapports sont désormais établis en binômes afin de respecter les deux couleurs politiques nécessaires à l’équilibre théorique des débats. Evolution de façade. Les affinités se font jour à mesure que l’on prend soin de vérifier les noms des rapporteurs : à ce compte, Bataille et Claude Birraux (membre titulaire de l’IRSN) démontrent que la foi dans l’énergie nucléaire est aussi bien partagée à gauche qu’à droite. Birraux a été régulièrement désigné rapporteur sur les questions de sûreté nucléaire, puis sollicité par le Gouvernement pour l’élaboration du projet de loi programmatique de 2006 sur les matières et déchets nucléaires. Birraux, lui aussi ancien Président, participa à l’office presque sans interruption depuis sa mise en place en 1983 jusqu’à sa retraite.

Le sénateur Henri Revol, ancien ingénieur du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), a été par deux fois rapporteur officiel.

Citons encore parmi les représentants du département le plus nucléarisé, redoublant d’effort pour défendre l’industrie nucléaire, pourvoyeuse d’emplois locaux, Claude Gatignol (député de la Manche) uui aura mené un gros lobbying pour accueillir sur le site de Flamanville le premier EPR français.

Beaucoup de députés et sénateurs se retrouvent en dehors de l’Assemblée Nationale et du Sénat au sein d’associations plutôt orientées. Pas une nouveauté. Mais si nous devons nous concentrer sur ceux de l’office, quelques exemples suscitent l’étonnement. La Fédération Environnement Durable fait se côtoyer Marcel Boiteux (ancien PDG d’EDF) et Claude Gatignol… Jean-Yves Le Déaut, Michel Destot se réunissent quant à eux dans le collectif Sauvons le Climat, créé en 2004 pour informer ‘impartialement’ et scientifiquement sur le changement climatique aux côtés de la Société Française de l’Energie Nucléaire (SFEN), de l’association des retraités du CEA, de l’association des écologistes nucléaires… Sauvons le Climat où nous retombons sur Marcel Boiteux… Voilà pour le survol superficiel et rapide.

Les sénateurs meusiens Gérard Longuet et Christian Namy, respectivement Président et membre de l’OPECST, furent également initiateurs en 2016 de la proposition de loi précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.

Bref. Tout ce petit groupe restreint se connait de longue date, se connait bien au sein de l’Office et en dehors. Affiche les mêmes intérêts pour le nucléaire. Partagent des convictions de même ordre sur ce secteur.

(source : Assemblée Nationale)

Sachant que les rapports produits par l’OPECST préparent la fabrique de la loi, il est inutile de souligner l’importance que revêt leur préconisation par exemple de prolonger du fonctionnement des réacteurs jusqu’à 50 voire 60 ans (rappelons qu’à l’aube du programme
électronucléaire français, s’il était projeté que les centrales fonctionnent 30 ans, la filière PWR était conçue comme une solution transitoire ; il s’agissait d’anticiper le pic uranique avec la surrégénération et la fusion, filières en mal devenir). Ni plus que de valider un projet d’enfouissement des déchets nucléaires prépondérant pour l’économie du département concerné et représenté, ô surprise, par  Bruno Sido et Christian Namy. Etc.

Si bien que la nomination de François Brottes, ancien député méritant qui aura aussi soutenu à sa manière la filière, au poste de Président du directoire de RTE, après avoir soutenu et défendu de nombreuses positions nucléaires, ne semble étonner personne.

Rien de bien original donc : il existe une porosité des rôles, importante à prendre en considération pour comprendre l’influence des évaluations réalisées par l’Office. Il convient encore de relever que les rapporteurs sollicités pour évaluer le dossier des déchets nucléaires sont souvent identiques (Bataille par exemple). Que le nucléaire allait autrefois au duo Bataille/Revol, ou Bataille/Sido systématiquement. Grossièrement, si le gouvernement a besoin de construire des centrales, un rapport soulignant l’importance de prolonger la vie des réacteurs pour 15 ans, l’office sera toujours bienvenu. Les règles encadrent, mais il y a comme de l’élasticité…

A cela, soulignons qu’environ un tiers des membres de l’OPECST varie peu fréquemment, et qu’il n’est pas rare de constater que certains parlementaires enchaînent de nombreux mandats au sein de l’office. Ce qui n’arrange rien au vœu pieu de pluralisme et d’objectivité tant les membres ont leurs habitudes et consolident certains liens étroits à mesure qu’ils exercent sans discontinuer. Pour n’importe quel lobby, c’est un avantage que d’avoir les mêmes interlocuteurs.

De tout cela, il n’est pas suprenant de constater que l’indépendance de l’OPECST sur les questions liées au nucléaire aura longtemps été mise en doute. L’engagement dans les évaluations par certains membres directement intéressés par tel projet, ce manque de renouvellement des rapporteurs chargés d’évaluer la thématique, les prises de position partisanes en faveur du projet Cigéo en particulier ou du nucléaire en général sont autant d’éléments qui contribuent à interroger la fonction évaluative de l’office. Pour ce domaine qui nous intéresse ici exclusivement, a minima.

Le consensus au sein de l’instance est rendu visible par l’adoption unanime très fréquente par le Parlement des ses rapports. Son rôle devait viser à produire de la connaissance ; il joue d’abord largement celui de médiateur entre la société civile et les experts ; enfin sert souvent à débloquer une situation. Tout dernièrement, le mouvement politique de Macron aura profondément modifié la composition de l’OPECST dans lequel aucun des membres parlementaires « historiques » n’a été réélu dans le collège de l’AN. Au Sénat par contre, l’ouvertement pro-nucléaire Longuet reste en terrain conquis, ce qui n’est pas un mince signe de nouveaux débats biaisés.

(source : Sénat)

Nous aurons donc compris que cette volonté d’encadrer et d’éviter les liens d’intérêts est maigrement soutenue. Et retenu que les rapports se voient largement instrumentalisés. Anciennement, l’usage sélectif qu’a fait la ministre Alliot-Marie du rapport sur les effets sanitaires des essais nucléaires, en est un représentatif exemple : Alliot-Marie avait choisi un passage ‘rassurant’ alors qu’il était mentionné l’importance de continuer les recherches sur le sujet. Aussi, pourrait être cité Areva (devenu Orano) intervenant pour imposer la date de fin des débats afin de ne pas interférer sur la vente de l’EPR à la Finlande…

Le gouvernement peut alors trouver bien utile que l’OPECST s’occupe de certains rapports, au gré des demandes implicites, des liens entre industriels et groupes politiques, des rapprochements d’intérêt. Et, sous prétexte de publier quelques centaines de pages documentées, emplies de descriptions et de détails, affirmer au détour d’une conclusion qui sera amplement reprise que « le nucléaire est l’avenir unique et la seule énergie ».

Prends ce rapport dans ta cuve ! 

 

Il n’est donc pas nouveau de produire un rapport sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires. L’office en avait déjà écrit un. Et même, la catastrophe de Fukushima n’aura-t-elle que peu soulevé de critiques au sein de l’AN. Si ce n’est le thème, c’est donc son contenu qui aura choqué tant les récriminations y sont répertoriées nombreuses à l’encontre de l’exploitant et les remarques jugées agressives sur la gestion de ce secteur. Un véritable pavé dans la piscine de refroidissement.

(cliquez sur le rapport)

  Le moindre incident peut avoir des conséquences catastrophiques pour des millions de personnes pendant des dizaines de milliers d’années 

Les intentions sont implicitement contenues dans le préambule. Et malgré le manque de coopération déplorée de la part d’EDF, le refus d’être entendue de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), Barbara Pompili et Paul Christophe rapportent sans concession les détails d’un secteur jugé déliquescent. La commission d’enquête débute son travail en février 2018 et fait le point durant cinq mois sur les enjeux de sûreté et de sécurité. Nous vous avons décortiqué ledit rapport.

Incidents et accidents

Le rapport débute sur une fausse constatation : le nombre d’incidents sur des installations nucléaires de base ne cesse d’augmenter en France même si, depuis 38 ans, ils n’ont jamais dépassé le niveau 2 sur l’échelle INES. Nous nous étonnons qu’un tel document jugé comme exhaustif sur l’état de la sûreté et de la sécurité du parc commence par une telle omission : la France a connu deux incidents nucléaires, classés respectivement 4 et 5 à Saint-Laurent-les-Eaux en 1969 et 1980 (deux événements dont nous reparlerons). Pourquoi nier encore dans un rapport officiel deux faits largement documentés maintenant par la communauté internationale ? S’il est entendu qu’aucune autre activité ne génère un risque d’une telle ampleur, il est bien inconcevable de taire les faits.

Travaux post-Fukushima

La catastrophe nippone a obligé à des évaluations complémentaires. Ces dernières ont révélé des besoins d’investissements colossaux toujours en cours pour prévenir les réacteurs d’agressions externes. Cela passe par la mise en place d’une force d’action rapide nucléaire (FARN), l’installation de groupes électrogènes d’ultime secours (DUS). Mais il n’est pas fait référence aux doses maximales d’irradiation pour les hommes intervenant sur les sites accidentés.

Sous-traitance

Elle est largement étendue, et en cascade, comprend près de 2500 entreprises et 160 000 salariés. Outre que ces chiffres mélangent emplois de sous-traitance directs et indirects, il est un fait indéniable : la sous-traitance (de l’ordre de 80%) concourt à des pertes significatives de compétence et de maitrise technique pour certaines opérations, engendre des problèmes communicationnels (barrière des langues). Depuis, il a été proposé de limiter à deux ces niveaux de sous-traitance pour l’exploitation et le démantèlement des unités. Mais encore faut-il définir ce que le législateur entend par ‘exploitation’ ?

Cette sous-traitance omniprésente impacte donc directement l’exploitant : une diffuse banalisation des interventions inhérentes à la gestion du personnel de ces entreprises est soulignée. Les conventions collectives de toute cette myriade de sociétés est bien différente de celle des agents statutaires d’EDF ; sans doute une harmonisation serait-elle bienvenue. Enfin, il s’agirait de vérifier les montages statutaires complexes mis en place parfois pour contourner la réglementation limitant le nombre de niveaux, à toutes fins d’éviter des abus au mieux, des fraudes au pire.

Le rapport souligne, en outre, le manque d’effectifs pour assurer ces tâches de contrôle par l’exploitant, évoquant la simultanéité de plusieurs dizaines de chantiers en parallèle et même « jusqu’à 50 chantiers en même temps, sur certaines périodes ».

Tout cela pourrait être un risque accru tant le facteur humain est important dans l’approche de la sûreté nucléaire et risquerait d’aggraver les conséquences en cas d’accident nucléaire, sous prétexte de « recherche du moins-disant économique ». Il faudrait en outre réintégrer les compétences au sein des exploitants, ce qui engendrera par conséquent une diminution de la dilution des responsabilités.

Il faut tenir l’accident pour possible. Donc planifier la place de chacun. Cela débute au niveau de la centrale : il faut, toujours selon le rapport, définir la place du sous-traitant dans la procédure d’urgence accidentelle. Car compte-tenu de l’implication générale de la sous-traitance dans l’exploitation d’un réacteur, ne pas l’intégrer à la gestion de crise reviendrait à augmenter les contraintes pour l’exploitant.

Normes techniques

Le rapport s’étonne que certains matériels soient exclus de la prévision d’une rupture, de la multiplicité des non-conformités techniques et donc que l’éventualité d’un accident soit minimisée par ces dérogations aux normes.

La contrepartie à l’exclusion de rupture est une « tolérance zéro » vis-à-vis des défauts de fabrication, malheureusement existants au regard des derniers scandales (ségrégation en carbone supérieure dans la confection des cuves, malfaçons de soudures, falsifications de documents de production, fraudes…). Se révèle ici le problème du risque acceptable puisque les calculs probabilistes se trouvent faussés par ces anomalies génériques diverses et multiples.

L’accident se trouve potentiellement plus envisageable que jamais compte tenu des pièces vitales du réacteur affectées. Une baisse significative des marges de sûreté et de sécurité ne peut être écartée.

Vieillissement du parc

Cuves et enceintes de réacteur sont des équipements non remplaçables. Les années passant, le vieillissement est de plus en plus significatif et réduit la marge de sûreté, du fait des corrosion, altération et fragilité s’accélérant. Il en est de même pour les câbles et tuyaux sur des milliers de kilomètres, en partie surveillée mais rouillant inlassablement.

L’exploitant voit dans la prolongation des réacteurs l’intérêt de leur rentabilité. La poursuite serait le meilleur investissement (grâce à une opération de grande carénage). Rentabilité économique contestée d’ailleurs.

Aléas climatiques

Le changement climatique pourrait interférer au bon fonctionnement des centrales : approvisionnement en eau de refroidissement par exemple, lié à la canicule ou à des tempêtes.

Accident

Nous le savons maintenant plus que jamais possible. La question de catastrophes multisites est d’importance compte tenu des capacités d’intervention (nombre d’acteurs, situations géographiques…). En sus, la chute d’avion, de drone, des attaques endogène ou exogène, des menaces informatiques mériteraient des tests plus poussés pour mesurer l’efficacité des mesures de protection existantes.

Les préfectures ont documenté des plans particuliers d’intervention (PPI). Mais le périmètre s’avère trop restreint (distribution de pastilles d’iode, mise à l’abri et évacuation…). Le retour d’expérience de la catastrophe de Fukushima a montré en effet que des effets significatifs ont été ressentis dans un rayon beaucoup plus grand, et des évacuations ont été organisées jusqu’à 45 kilomètres pour les zones situées sous les vents dominants. Y a-t-il sous-dimensionnement des plans français ?

Des révisions sont souhaitées. En outre, l’information du public peut être considérée comme perfectible. L’ignorance des populations, mal référencées, aggrave le risque de sûreté et de sécurité et la gestion des personnes vulnérables se posent. Enfin, peu d’exercices associent la population et la préparent à de potentielles évacuations de masse.

Transports de matière radioactives

Ce sujet ne vous est plus inconnu. En gros, un nombre impressionnant de trains et camions traversent notre territoire chaque année chargés de produits radioactifs. En dehors des dangers que cela fait courir aux populations, leurs trajets et horaires sont trop prévisibles pour ne pas craindre quelque agression externe. Il faut les rendre « imprévisibles ».

Déchets

Le nucléaire génère des combustibles usés mais le démantèlement également, dans les années à venir. Plusieurs options de gestion des déchets doivent être envisagées en plus de celle de l’enfouissement : le refroidissement à sec (en surface ou subsurface) et le refroidissement en piscine pour les moins radioactifs.

La Commission a demandé à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) un rapport sur les mérites et inconvénients de deux méthodes d’entreposage. Il apparait que l’entreposage à sec serait plus sût et moins cher. Les piscines quant à elles répondent à une logique de retraitement toujours privilégié par l’exploitant et Orano, dont la pertinence économique n’est plus certaine, la faisabilité toujours pas validée et la sécurité non optimale.

Un projet d’enfouissement (Cigéo à Bure) des déchets les plus radioactifs permet d’étudier cette solution. Mais quelques problèmes de sûreté et de sécurité à long terme se font jour. De plus des interrogations subsistent quant à sa réversibilité tandis que son coût à largement explosé.

Démantèlement des réacteurs

EDF est toujours en phase d’apprentissage sur cette partie finale de la vie des réacteurs : Brennilis n’a fonctionné que 18 ans et son démantèlement pourrait s’achever vers 2032, soit 47 ans après sa mise à l’arrêt. Il en est de même pour Superphénix (réacteur de Creys-Malville) et des six réacteurs UNGG (uranium naturel graphite-gaz) de la génération qui a précédé les REP.

En plus de ne pas le maîtriser techniquement, ce démantèlement par réacteur a un montant (compris entre 350 et 500 millions d’euros au maximum selon EDF) semblant trop sous-évalué. Et dont le provisionnement inconséquent pourrait poser problème.

Contrôles

Des autorités de contrôle telles l’ASN, en charge de s’assurer qu’une centrale atomique fonctionne dans des conditions optimales pour que la population et l’environnement soient protégés de la radioactivité, doivent voir leur indépendance élargie (le gendarme du nucléaire n’a pas son mot à dire sur la manière dont sont protégées les centrales nucléaires). Et être complétées de l’intervention d’experts extérieurs. Cela ne pourra que favoriser sa pertinence et ses actions. Les sanctions éventuelles qu’elle a à imposer doivent enfin être facilitées par plus de moyens financiers et humains, sinon l’ASN court le risque de passer à côté de certains défauts ou d’occulter certaines fraudes que l’actualité n’a pas manqué de mettre en lumière ces dernières années.

Quant aux Comités locaux d’information (CLI), supposées œuvrer pour recueillir et informer dans l’intérêt des populations, leur efficacité est peu opérante.

Les rapporteurs regrettent, et leurs actions en est un parfait exemple, que le Parlement ne puisse avoir accès à toute information relative au nucléaire, certaines étant classées au nom de la défense nationale. Un accès est souhaité plus large afin de faire valoir le devoir de transparence des autorités et de contrôle des parlementaires. A ce titre, la création d’une délégation dédiée est envisagée et a été portée comme projet de loi par la rapporteuse. Il est vrai qu’en terme de compétence en matière de nucléaire, le Congressional Research Service (CRS) du Congrès américain, composé de 600 personnes dont 400 chercheurs, analystes, avocats et autres experts, est autrement plus efficient et peut se permettre de produire de l’expertise fine à la demande des parlementaires.Risques économique et financier

Risques économique et financier

Les difficultés économiques des deux grands groupes que sont EDF et Orano sont évoquées. Des restructurations ont eu lieu pour Orano (ex-Areva) et sont sans doute à envisager pour EDF. La projection à moyen et long termes est négative. D’autant qu’un accident majeur devenu envisageable n’est pas suffisamment provisionné. Ce qui fait beaucoup pour un seul groupe puisque c’est sans compter avec le défaut de provisionnement des démantèlements, les charges relatives à la gestion des déchets.

Bras de fer entre chamallows 

C’est le jeu. Les industriels ont largement réfuté certaines failles du rapport. Erreurs factuelles, choses non comprises… EDF en aura déploré les conclusions. Les élus Les Républicains de la commission se seront carrément désolidarisés du texte, qu’ils jugent « malhonnête intellectuellement » et qu’ils accusent d’être « un procès contre la filière nucléaire ».

 

  A la lecture du document que vous nous avez soumis, madame la rapporteure, j’ai été à la fois très déçu par le résultat et, en même temps, plus que chagriné. En multipliant les titres catastrophistes et les analyses non étayées, j’estime que ce rapport nuit à la qualité générale de notre commission d’enquête, qui a beaucoup travaillé, et dont on pouvait penser qu’elle pourrait aboutir à un résultat plus construit. J’estime que, s’il devait être publié, ce rapport nuirait aussi à la réputation du Parlement. […] Au total, nous [aboutissons] à un texte qui vise à systématiquement justifier le postulat selon lequel il y a un problème de sécurité et de sûreté nucléaire. […] En conclusion, je crois que ce rapport est intellectuellement malhonnête, précisait en ce sens le député Julien Aubert

Le rapport aura été réceptionné comme une attaque directe au secteur et n’aura pas manqué de défenseurs thuriféraires. Les analyses rapportées, les préconisations avancées ont semé la zizanie jusqu’au sein des rangs de la commission d’enquête. Les critiques n’en ont été que plus acerbes de ce texte jugé à charge.

Mais il convient de replacer dans son contexte politicien cette parution : en 2018, cependant que Macron tenait à assoir son pouvoir en toutes administrations et domaines, ce rapport a été au contraire une forte manière d’imposer le leadership du président nouvellement élu dans ce secteur très généralement unifié. Il convenait de reprendre la main sur icelui et d’imposer la crainte.

Mais qui croyez-vous qui appartienne à l’OPECST et qui voyait par ce rapport déconsidérées les positions qu’il défend dans son propre office ? Voire qui pourrait se retrouver débouté d’une future participation dans une commission parlementaire dédiée au nucléaire civil ? Julien Aubert, ci-devant membre de l’office parlementaire si décrié plus haut. Ce dernier ira d’ailleurs jusqu’à accuser la rapporteure d’avoir pour parties plagier ses propres rapports écrits pour l’OPECST… Et de finir par le coup de pied de l’âne à l’encontre de Pompili.

 

  Alors que le rapport est à charge, les recommandations tranchent : elles sont plutôt douces. Il y a une sorte de hiatus, car on pourrait s’attendre à ce qu’après un tel rapport, vous recommandiez de fermer illico presto quasiment toutes les centrales du pays. Ce n’est pas du tout ce que vous proposez.

Ces échanges sont le symbole du jeu de pouvoir qui s’est déroulé en ce début de quinquennat. Il n’empêchera pas par la suite Macron d’appuyer de ton son poids en faveur de la filière. Et son premier ministre Philippe n’était pas plus engagé à rompre avec le nucléaire (lui qui savait déjà en tant que directeur de la communication et des affaires publiques d’Areva se rapprocher des députés d’importance tel Marc Vampa pour faire valoir les intérêts de sa boîte dans les pays uranifères…).

 

Ce rapport aura été rédigé avec une prégnante arrière-pensée politicienne. Dans l’optique de réaffirmer que le pouvoir politique devait s’imposer au nucléaire en France. Dans des jeux d’influence que les habitués maitrisent bien.

De la photographie qui aura été faite de la situation nucléaire de la France, nous en retiendrons que le développement de ces négatifs laisse apparaitre un avenir bien sombre du secteur. Aussi les rapporteurs se piquent-ils de préciser qu’il n’était aucunement question « d’inquiéter inutilement les citoyens ».

C’est marrant, mais nous jugeons que c’est justement au citoyen de s’affirmer inquiet ou pas de la situation. Au regard des articles indispensables que notre enquête va vous révéler.