La France veut Rester Championne du Monde

Une équipe internationale persévère dans sa volonté de produire un document unique compilant l’état détaillé de la filière nucléaire dans le monde. Sur fond de guerre en Ukraine et de gestion de la catastrophe toujours en cours à Fukushima, cette lecture est bienvenue en cette période traumatique pour le secteur en France. D’ailleurs, la France restera-t-elle le pays le plus nucléarisé dans la prochaine décennie ?

 

(source : WNISR)

Après trente ans déjà, la nouvelle mouture du rapport annuel sur l’état de l’industrie nucléaire dans le monde est parue, toujours éditée sous la coordination de Mycle Schneider et Antony Froggatt.

Au menu de cette édition 2022, comme d’habitude, les démarrages de la construction de réacteurs, les fermetures, la répartition de l’âge des réacteurs et bien d’autres éléments concernant spécifiquement 33 pays nucléarisés.

Malgré l’attrait originel et fascinant pour cette technologie, pourquoi donc a-t-elle produit moins de 10 % de l’électricité mondiale ? LA faute à la réticence de certains, aux déboires d’autres.

// En Bref //

• La production d’énergie d’origine nucléaire plafonne

• Les pays fortement nucléarisés ou exportateurs restent l’exception

• La France a connu une année exceptionnellement désastreuse, ses réacteurs suscitant le doute

• Elle souhaite s’engager dans un  nouveau programme nucléaire, en accélérer l’élan, en assurer la bonne conclusion

• Le dossier est politique puisque les aspects techniques ne sont toujours pas arrêtés, validés

• L’expertise, pro ou anti, n’est pas écoutée par le pouvoir exécutif, les choix sont enterrinés

• L’avenir de la filière est également tributaire de contingences financières de plus en plus tendues

// En Bref //

Brèves données générales 

 

Outre les nouveaux sous-dossiers consacrés par exemple à la guerre en Ukraine, nous retiendrons pour ce qui intéresse notre média que la part de l’énergie nucléaire dans la production commerciale brute d’électricité mondiale en 2022 passe pour la première fois sous la barre des 10 % (9,8 % de la production mondiale exactement, le point culminant de 17,5 % ayant eu lieu en 1996), via 437 réacteurs plus ou moins ‘en service’ (23 réacteurs n’ont pas produit d’électricité depuis au moins 2013) répartis dans 33 pays (depuis les années 2000, le nombre de fermeture de réacteurs tend à être supérieur à celui des ouvertures). C’est que le nombre de programmes nucléaires plafonne, malgré l’intérêt de nouveaux Etats  (Émirats arabes unis, Biélorussie, Pologne…), quand d’autres dans le même temps désirent les arrêter à moyen terme (Belgique, Allemagne, Suisse, Espagne…). Depuis 2000, les nouvelles capacités de production électrique installées ont été quarante fois plus importantes pour le solaire et l’éolien que le nucléaire. Malgré la croissance absolue de la production mondiale d’électricité d’origine nucléaire, cette production ne suit pas le rythme des autres sources d’énergie (éolien, solaire).

Globalement, les nouveaux réacteurs connectés au réseau se situent en Chine, le marché commercial international restant dominé par la Russie via sa puissante entreprise nucléaire militaire et civil Rosatom (Inde, Turquie et  même en Chine elle-même).

(source : WNISR)

Au 1er juillet 2022, 53 réacteurs étaient considérés « en construction », avec une moyenne de 6,8 ans, mais une grande disparité selon les cas étudiés (six réacteurs sont répertoriés comme « en construction » depuis une décennie ou plus, dont l’EPR de Flamanville FL3). L’âge moyen (à partir du raccordement au réseau et sans tenir compte de la fluence) des réacteurs en exploitation augmente depuis 1984 et se situe à 31 ans. Les exploitants envisagent des durées de vie moyennes des réacteurs allant au-delà de 40 ans, jusqu’à 60 voire 80 ans comme aux États-Unis malgré les autorisations originelles.

(source : WNISR)

Depuis la catastrophe de Fukushima, les plus grands pays producteurs d’énergie nucléaire ne varient pas, soit par ordre d’importance quantitative les États-Unis, la Chine, la France, la Russie et la Corée du Sud. Le monde nucléaire civil se divise de plus en plus précisément entre les pays déjà nucléarisés souhaitant poursuivre la production d’énergie par le truchement de cette technologie (que cela passe par des prolongations ou des constructions) et les pays résolus à ne pas utiliser de réacteurs (soit en les abandonnant soit en continuant d’y renoncer). Quelques exceptions viennent au niveau européen refléter cet état quasi-manichéen : dix pays sont nucléarisés ou veulent faire exception à leur dernier choix politique en faisant appel au nucléaire finalement pour lutter contre la crise climatique (Suède, Belgique, Pays-Bas récemment condamné pour inaction…), dix autres conservent résolument une position anti-nucléaire.

L’Uranium se cache dans les détails 

 

Les Etats-Unis restent propriétaires de 92 réacteurs commerciaux en service. Leur parc est en vieillissement avancé (moyenne mi-2022 de 41,6 ans). La situation est telle que 84 des 92 réacteurs ont reçu des renouvellements de licence de 20 ans, faisant porter leur durée d’exploitation de 40 à 60 ans pour éviter un effet falaise à l’instar de la situation française.

En Finlande, l’EPR d’Olkiluoto (OL3) a enfin été raccordé au réseau en mars 2022, après plus de quinze ans de construction. Mais le réacteur a été rapidement arrêté à cause d’événements « inattendus » : un déclenchement intempestif des pompes d’alimentation en eau borée et des problèmes de corps étrangers détachés des plaques de guidage de vapeur et observés dans le réchauffeur de vapeur de la turbine (Siemens) ont été déplorés, et encore la découverte de quelques fissures de quelques centimètres dans les quatre pompes d’eau d’alimentation. Toutes les explications ne sont pas acquises, toutes les causes ne sont pas connues, mais ces dommages n’auraient pas d’incidence sur la sécurité nucléaire selon l’opérateur TVO. La production régulière d’électricité par OL3 n’en reste pas moins impactée à ce jour. Une estimation du calendrier doit être faite dans les prochains jours, une nouvelle bataille juridique et des pénalités surgir à l’encontre d’Areva SA dans les prochains mois. Quant au projet nucléaire d’Hanhikivi 1 pour lequel Rosatom devait participer, il a été annulé pour des raisons géopolitiques internationales. Par contre, EDF et la société énergétique publique finlandaise Fortum ont signé un accord-cadre pour étudier les possibilités de coopération dans le cadre de projets de réacteurs nucléaires en Finlande et en Suède (réacteurs conventionnels et réacteurs de petite et moyenne taille).

En Grande-Bretagne, les 11 réacteurs doivent être complétés de quatre projets : deux réacteurs toujours en construction à Hinkley Point C et deux unités à venir de Sizewell C,  de conception EPR. Hinkley Point C a connu des dépassements de coûts et des retards (11 ans malgré 7500 ouvriers à pieds d’œuvre quotidiennement), sans que cela n’a pas échaudé le gouvernement britannique pour confirmer l’investissement de 700 millions de livres aux côtés d’EDF (via un Government Investment Decision), co-actionnaires à hauteur de 20% chacun du projet final de Sizewell dont les Chinois ont été éjectés. Grands fonds de pension nord-américains ou des fonds spécialisés dans les projets d’infrastructure, des investisseurs doivent rapidement être sollicités pour détenir les 60 % restants des tranches à 25 milliards d’euros. Comme nous l’avons déjà évoqué, Hinkley Point C garantit un revenu de 92,50 livres sterling par mégawattheure pendant les 35 premières années à EDF (un prélèvement sur les factures des consommateurs), tandis que Sizewell C est encadré de tarifs réglementés mais d’engagements financiers britanniques dès le début de sa construction (ce qui suppose pour la Grande-Bretagne d’éviter les retards de mise en service).

Côté Inde, avec 19 réacteurs nucléaires opérationnels et 8 en construction, tous retardés ou susceptibles d’être retardés, la production est bien insuffisante pour couvrir tous les besoins du vaste pays (3,2 % de la production totale d’électricité en 2021). L’accord avec EDF pour le projet de Jaitapur est toujours en pourparlers mais tarde à se concrétiser depuis 2008. Le déplacement de Macron courant premier trimestre 2023 n’y changera rien : un nouveau point d’étape dit être franchi pour ce projet de l’ordre de 50 à 70 milliardsd’euros.

Selon la Cour des Comptes, la partie indienne souhaite une offre de financement portant sur les six unités, la direction générale du Trésor estimant qu’à ce ‘stade de la discussion, un montant de crédit export entre 10 et 15 milliards d’euros pourrait être indiqué’. Ce montant est à rapprocher de l’encours total d’assurance-crédit actuel, soit environ 70 milliards d’euros. Les durées proposées pourraient aller jusqu’à 10 ans de tirage et 18 ans de remboursement. La garantie souveraine du gouvernement indien, dont le principe a été acté […], est nécessaire, de sorte que le risque pris serait un risque souverain sur l’Inde […]. Les autorités françaises sont donc prêtes à mettre en place des conditions de financements extrêmement favorables à l’acheteur indien et  à accorder une garantie publique à des crédits d’un montant considérable, sur des durées très longues qui rendent le risque d’autant plus important.

De cette offre « extrêmement favorable aux Indiens », l’Inde la jugerait au contraire défavorablement trop chère et une garantie de la France sur le prêt du Trésor serait exigée. C’est que cegenre de montage est largement proposé pour vérouiller les financements russes visant à soutenir leurs ventes de réacteurs à l’internationale, comme déjà acté en Inde. De quoi demander équivalence aux concurents français. Le volet ‘financement’ n’est pas le seul point de crispation : la mise en conformité de l’EPR français aux normes de sûreté indiennes risque de générer des surcoûts importants. Des normes que l’Inde souhaite imposer car le pays n’entend voir les travaux s’adapter au fil des avaries, comme cela a été le cas à Flamanville ou en Finlande. Comment EDF pourrait-il actuellement proposer un réacteur finalisé et assurément fiable en fonctionnement alors qu’aucun n’est mis en service de manière complète ou avec un recul suffisant, et que l’EPR2 lui-même n’est pas finalisé (design, validations de l’ASN…) ?

Du côté des challengers de la France, les situations sont plus florissantes.

La Chine reste le pays le plus actif sur le plan nucléaire, mobilisant d’importants investissements. Le nucléaire est pourtant un modèle de production marginal dans son mix électrique dominé par les projets éoliens et solaires. Ses 55 réacteurs en exploitation sont en grande majorité jeunes de dix ans et quelques (dont 41 de dix ans au plus) et ne fournissent que 5 % de l’électricité. La Chine souhaite privilégier son marché international, via son modèle Hualong One, fruit d’un mélange de technologies russe, américaine et française.

La Russie n’a pas moins de 20 réacteurs en cours de construction sous la direction du géant Rosatom, dont 17 à l’internationale (Chine, Inde, Turquie, Bangladesh, Egypte…). La prise en charge des coûts financiers ou la proposition de prêts est pour beaucoup dans les fructueux marchés remportés. Récemment médiatisé et mis en exergue par le contexte crisique ukrainien, la spécialialité de conversion d’uranium naturle et de son enrichissement sont en cours depuis de nombreuses années : la Russie est le troisième fournisseur d’uranium naturel pour l’Union européenne (20 % des parts de marché) mais surtout est un des spécialistes de ces conversions, deux activités importantes pour constituer les barres de combustible. Respectivement, cela représente 25 % et 31% du marché européen (40 % et 46 % au niveau mondial) et est un partenaire essentiel du parc américain lui-même. Cette dépendance est complétée par celle du recyclage de l’uranium usé (celui issu de nos 56 réacteurs passe inévitablement par l’usine Rosatom de Seversk). Un commerce qui n’est pas intégré dans les sanctions internationales et pas plus soumis aux embargos : EDF, faisant suite à son partenariat vieux d’une trentaine d’années, a signé en décembre 2021 un nouvel accord de coopération à long terme avec Rosatom.

Ce type de contrats pourrait poser problème à EDF si la situation géopolitique devait s’éterniser voire se ternir. En sus, le rachat de l’activité de production de turbines Arabelle, pièces stratégiques pour le parc français, augmente les liens contractuels avec Rosatom. Car les deux tiers du carnet de commandes de GE Steam Power sont constitués par les commandes de l’entreprise russe pour ses propres projets en Turquie, en Egypte… Autant dire que le projet des nouveaux réacteurs en France sera dépendant de paramètres qui pourraient échapper à la seule volonté de l’Etat français pour son proche avenir énergétique. D’autant qu’a récemment été révélé la fourniture de composants, technologies et matières premières (pour le carburant des missiles) à l’industrie russe de l’armement, complétant le tableau d’une entreprise stratégique dont le conseil d’administration est composé de hauts responsables actuels et anciens des services de sécurité russes étroitement liés au complexe militaro-industriel russe. Bref, des velléités politiques pourraient surgir pour que Rosatom soit soumise à des sanctions. Ce qui pourrait engendrer des problèmes sérieux à la filière nucléaire française.

Un petit tas en vrac 

 

En Allemagne, une prolongation de quelques mois de trois réacteurs restants en activité a été décidée, mettant en suspens la volonté gouvernementale d’abandonner la production nucléaire sur son sol. Au Japon, la gestion de l’accident se poursuit. Dans un mouvement politique majeur, le gouvernement nippon prévoit de maximiser l’utilisation des centrales nucléaires existantes, d’allonger leur durée d’exploitation, de construire des réacteurs de nouvelle génération. Dans le cadre du programme ‘2050 Carbon Neutral’ et afin de maintenir le ratio de production d’énergie nucléaire au niveau souhaité, 20 à 40 nouveaux réacteurs seront nécessaires à construire. L’avenir dira la part d’illusion dans cette stratégie. Les Pays-Bas et la Suède viennent d’annoncer de nouveaux projets de construction de centrales nucléaires, loin de leurs volontés affirmées de rompre avec la production électro-nucléaire et de se consacrer à une électricité produite exclusivement par des énergies renouvelables. Le partenariat franco-suédois récemment  médiatisé arrive au meilleur moment pour démontrer l’intérêt international de l’EPR2 et asseoir la pertinence de ce modèle de réacteur sur le territoire français dans le cadre du programme énergétique. En Pologne, l’abandon du nucléaire était acquis. Mais depuis 2018, la construction de quatre réacteurs est envisagée et le site vient tout dernièrement d’être retenu, près de la mer Baltique (et proche de l’Allemagne, ce qui vaut quelques tensions avec les landers limitrophes). En concurrence avec l’EPR français, l’AP1000 américain de Westinghouse a été préféré. La Belgique a dû poursuivre longuement et ardemment des négociations avec Engie (via ses filiales Electrabel et Synatom) concernant le montant des provisions décidées par la Commission des provisions nucléaires (CPN) belge pour le démantèlement des centrales et la gestion des déchets nucléaires, provisions réévaluées à hauteur de 3,3 milliards d’euros. Mais le point névralgique concerne la prolongation jusqu’en 2035 des deux réacteurs encore en fonctionnement (les plus récents que sont Doel 4 en Flandre et Tihange 3 en Wallonie, sur les sept que compte le pays), centrales nucléaires qui devait a priori être à l’arrêt en 2025. Cette prolongation nécessitera des travaux sous moins de quatre ans (d’ici novembre 2026), dont la prise en charge financière est à détailler ; cela nécessitera de revenir sur la ‘rente nucléaire’ négociée en 2015 et stipulant l’interdiction de modification des règles a posteriori de l’accord (une taxation des surprofits nucléaires pourrait coûter 300 millions de plus à Engie en 2022 par exemple). Apparemment, une structure juridique commune à Engie et l’Etat sera chargée de la gestion des deux réacteurs prolongés, permettra de partager investissements, risques et bénéfices. La Hongrie espère toujours ses deux réacteurs financés par la Russie sous forme de prêt, malgré les actions juridiques de l’Autriche en vue de contester ces constructions, Autriche finalement déboutée. Ce projet de 12,5 milliards d’euros fait partie des contrats passés avec GE Steam Power (voir supra). La Korea Electric Power Corporation (Kepco) est en pourparlers avec la Turquie pour développer quatre réacteurs nucléaires de technologie sud-coréenne (APR1400). La première centrale du pays est pour mémoire construite par Rosatom depuis un contrat signé en 2010 (soit quatre unités VVER-1200, la premier réacteur devrait être mise en service en 2023 et une autre unité commençant chaque année par la suite). Des négociations existent également avec la Chine pour construire quatre autres réacteurs près de la frontière avec la Bulgarie. Justement, la Bulgarie a annoncé un partenariat de dix ans avec Westinghouse (de même type que ceux contractés avec la République tchèque et l’Ukraine) pour la fabrication de combustible nucléaire à destination de sa centrale à deux réacteurs de Kozloduy (un des deux est à l’arrêt en raison d’une fuite). Cet accord se conjugue avec celui concernant la gestion du combustible nucléaire usé envoyé en Russie pour traitement et stockage.

Le culte de l’exception française

 

Nul n’ignore plus les défauts détectés, des corrosions sous contraintes plus rapides que prévu (le Canada doit aussi faire face à des détériorations avancées précoces). Personne ne méconnait désormais les nombreuses pièces à devoir remplacer, les soudeurs expérimentés à trouver au-delà de nos frontières pour rapidement finaliser les chantiers. Cela, conjugué à une maintenance reprogrammée faute de crise sanitaire, aura tenu sous tension l’industrie nucléaire française et la production électrique ces derniers mois, sans qu’une issue soit encore jugée rassurante et pérenne. Bref, l’indisponibilité des tranches nucléaires n’aura que rarament été aussi forte (ces problèmes persistants et génériques font que le ‘facteur de charge’ des réacteurs français, qui mesure si une centrale tourne à pleine capacité, oscille autour de 60 %, contre plus de 90 % aux États-Unis).

Ce phénomène contextuel ne devrait pourtant pas surprendre : l’ASN alertait depuis des années sur l’hypothèse d’un risque systémique pesant sur un parc nucléaire construit en série, la découverte d’un défaut générique pouvant mener à l’arrêt d’un grand nombre de réacteurs.

(source : WNISR)

Actuellement, les projets gouvernementaux et d’EDF sont tournés vers la proposition du nouveau programme des EPR2, soit des EPR révisés dont la conception détaillée n’est pas encore disponible et la validation des design pas plus effectuée par l’ASN (des millions d’heures d’ingénierie restent encore à effectuer pour ne simplement qu’atteindre l’étape de conception détaillée).

(source : Ministère de l’écologie)

Il n’empêche, la construction de ces EPR2 est déjà mise au débat. EDF se veut rassurante car son projet serait complété des retours d’expériences des autres EPR pour justifier l’amélioration de son nouveau programme ‘PNNF’. Rex en France ? Toujours  pas en fonctionnement et handicapé de nombreux problèmes. A l’étranger, comme en Inde ? Pas encore vendus. En Grande-Bretagne ? Pas encore finalisés ou branchés au réseau. En Chine à Taishan ? Arrêtés précipitamment pour des raisons de problèmes de flux hydraulique et neutronique. Rex depuis la Finlande ? Oui ! Par contre, la mise en service commercial d’OL3 (Olkiluoto 3) à pleine puissance a été reportée en raison d’anomalies constatées (voir supra). Après treize ans de retard, faute de béton poreux, de microfissures dans le circuit de refroidissement, de soudures défectueuses sur la couche métallique de l’enceinte entre autres, le petit surplus de délai ne devrait pas plus impatienter.

Pour des raisons d’urgence (financière, de construction…), afin de respecter les vœux de Macron d’une coulée de béton avant la fin de son ultime quinquennat, le projet de loi concocté sur mesures par le Sénat devait faire fi encore un peu plus de quelques règlementations environnementales (loi littoral entre autres). Il est question de passer outre les décrets d’autorisation de création du réacteur et de permis de construire pour les seules parties non nucléaires, ce qui contrevient au droit en vigueur concernant ce type de bâtiment industriel bien spécifique. Bref, les sénateurs souhaitent minimiser les contentieux et donc éviter les retards administratifs, ce qui dans le même temps augmente fortement la réaction des opposants, et fera probablement tiquer le Conseil d’Etat.

Plus inquiétant, la volonté se confirme d’assurer la prolongation des durées d’exploitation des réacteurs jusqu’à 60 ans (remettant en cause  la fermeture des réacteurs planifiée), un objectif déjà envisagé à peine officieusement via le projet de reconfiguration d’EDF toujours en cours via une OPA. Aussi, la loi proposée par le Sénat votée telle quelle permettrait à l’exploitant de se contenter d’une déclaration pour faire fonctionner son réacteur dix ans de plus au sortir de la réglementaire visite décennale (cette dernière restant une obligation gérée par l’ASN).

Le projet de loi du Sénat ne cache plus sa vision politique.


(source : Ministère de l’écologie)

Eminemment politique. Positions clairement établies. Le gouvernement ne souhaitera pas s’en tenir aux seuls éléments techniques, se contraindre de lois et réglementations en vigueur (et pourtant faillibles en l’état…) : via cette proposition de loi sénatoriale et en bien d’autres exemples, l’élan prime pour une révision du mix énergétique en dehors du débat dédié, programmé et à venir. Il est question d’abandonner l’objectif de 50% de la part nucléaire dans la production électrique (soit le renoncement en la fermeture de douze réacteurs après ceux de Fessenheim, déjà par ailleurs reportée de 2025 à 2035). Le plan pluriannuel énergétique en vigueur depuis 2020 devra s’adapter aux nouvelles contingences. La ministre de l’écologie peut vouloir se faire rassurante sur les objectifs gouvernementaux qui respecteraient le rythme des débats publiques et parlementaires, le gouvernement est peu ou prou totalement en phase avec la commission des affaires économiques du Sénat : le gouvernement avait d’ailleurs déposé un amendement qui visait à supprimer dans les mêms termes l’objectif fixé par la loi de transition énergétique de 2015.

Encore un coup porté au débat en cours sur le programme de futurs réacteurs que les CNDP et CPDP goûtent peu :

  la loi actuelle prescrit [alinéa 5] de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50% à l’horizon 2035 [… et] indique aussi que ces objectifs […] relèvent d’une loi de programmation énergétique dont la prochaine version devrait être votée par le Parlement à l’été 2023 puis révisable tous les cinq ans. La Constitution prévoit [… en son article 5] que pour de telles questions, qui ont des incidences sur l’environnement, toute personne a le droit de participer à l’élaboration des décisions publiques.

Cette révision de la part relative du nucléaire dans la production d’énergie électrique ne pourrait pourtant se dévêtir de sa part d’analyse technique. De nombreuses interrogations et observations, largement détaillées sur notre site, valent que la question de l’avenir nucléaire soit étudiée au-delà du seul prisme idéologique. De tels choix engageant pour les soixante ans de fonctionnement et autant de laps de temps au moins consacré aux démantèlements et à la gestion des déchets.

Hors de tout problème générique, de tout incident imprévu, petit exemple de données purement théoriques qui devraient être plus profondément étudiées. Des règles de sûreté sont fixées par les ingénieurs. Malgré la faillibilité des simulations et données, il est prévu que les réacteurs EPR2 ne puissent être soumis à plus de 36 000 variations de puissance (suivi de charge) pendant leur durée de vie du réacteur, soit pendant ces 60 ans (contre quarante ans pour les REP de génération 2). Cette flexibilité, justement revendiquée comme un avantage par les pronucléaires (ils parlent de pilotabilité du nucléaire), fragilise les gaines de combustible, accroît les contraintes thermiques et mécaniques de la cuve du réacteur, subséquemment augmente les besoins de maintenance, nécessite des remplacements plus fréquents des grappes de contrôle. Cette flexibilité n’est pas sans impact pour la production d’électricité dans le cas d’une part importante du nucléaire dans le mix énergétique.

L’EPR de Flamanville n’est plus la vitrine espérée par la filière. Les déboires y ont été légion. Et encore aujourd’hui, beaucoup d’interventions sont en cours et attendues avant de prétendre pouvoir démarrer le réacteur.

Selon l’ASN, d’importants travaux et examens restent encore à effectuer avant la mise en service du réacteur. Cela concerne notamment la conception et la fiabilité des vannes du circuit primaire, la réparation des soudures du circuit secondaire principal, avec des anomalies sur trois tubulures du circuit primaire principal et le traitement thermique après soudage des équipements sous pression nucléaires, les performances du système de filtration sur un réservoir d’eau interne de l’enceinte, et les différentes anomalies détectées sur les cœurs des réacteurs EPR de Taishan, dont les ruptures de gaines combustibles constatées en 2021.

L’EPR était trop gros, trop compliqué.

Selon l’ancien PDF d’EDF,  l’EPR est un engin beaucoup trop compliqué, quasi inconstructible. Enfin… on en voit aujourd’hui les difficultés. Les grands patrons du nucléaire d’EDF l’avaient anticipé, mais la dérive d’organisation du système nucléaire et la prédominance d’Areva dans ce dispositif pour des raisons non techniques et absurdes fait que c’était le seul outil disponible […]. J’avais pesté en étant administrateur indépendant contre les avenants au contrat de construction d’entreprises de construction… on était au quinzième avenant, […] tous les trois mois on avait un avenant [alors que c’était un contrat au forfait]. [Les entreprises] sont dans une situation relativement confortable en disant ‘si j’ai pas d’avenant j’arrête les travaux, parce que je ne peux pas m’en sortir’ […]. On donc vous [enchainez] les avenants.. c’est une vis sans fin. J’ai eu la faiblesse d’annoncer pour 2014 la connexion au réseau parce que mes  ingénieurs m’avaient [annoncé 2012]. J’ai pris deux ans de marge et c’est toujours pas connecté, en 2022. Donc, non, il y a un vrai problème de l’EPR. […] Il faut revoir la conception de l’EPR. […] J’ai changé les équipes, j’ai pas réussi à changer l’EPR. On a la conjonction de deux phénomènes : la complexité du design de l’EPR qui est totalement à revoir, on avait envisagé [un nouveau modèle, qu’on appelait pas encore EPR2 et qui était destiné à la Pologne…] et la deuxième raison c’est le fait que la filière française n’a plus construit de nouveaux réacteurs depuis vingt ans […]. On a un déficit d’expérience de sous-traitants de construction, BTP, industrie lourde, chaudronnerie […].

Qu’est-ce qui pourrait expliquer une telle fuite en avant pour ce modèle peut-être trop puissant ?

Depuis la création par Framatome et Siemens d’une entreprise commune (NPI Nuclear Power International), les choses ne se sont guère passées comme prévues et souhaitées pour feu l’European Pressurized Water Reactor. Mais la pression politique n’aura jamais failli depuis 1985 pour mener à bien cette construction coûte que coûte, fusse déjà à cette époque au prix d’une simplification des conditions de délivrance des permis de construire des installations nucléaires de base.

Dès le début, comme l’évoque un rapport de l’Assemblée nationale de 1997, il n’a jamais été question de se contenter d’un coup d’essai :

 s’il s’agit de construire un prototype, le projet EPR n’est pas rentable et ne peut l’être en aucun cas. Comme cela a été souligné à plusieurs reprises lors de l’audition du 4 mars, ce projet n’a de viabilité économique que s’il constitue la tête d’une série d’au minimum 7 à 8 réacteurs. […] La décision de poursuivre ce programme est d’abord politique et stratégique. […] L’engagement d’une seule tête de série rendrait le coût du projet prohibitif, alors qu’un milliard [de francs] avait déjà été engagé pour les études, que l’industriel table sur l’engagement d’une série d’au minimum sept réacteurs.

Bref, hors de question de ne pas mener à terme cette construction au regard des sommes engagées sur plus de dix ans. Les déboires et surcoûts n’auront pas fait varier, au contraire, cette fuite en avant.

Nous assistons à un mécanisme psychologique, d’économie comportementale, bien connu : l’effet de ruine, en totale continuité d’une aversion à la perte est l’opposé au principe qui serait l’assimilation du coût irrécupérable), il limite la capacité à abandonner une stratégie quand il a été déjà beaucoup misé sur elle. Le dernier exemple franco-français équivalent serait l’erreur de jugement du Concorde par les gouvernements français et britannique à s’entêter dans la poursuite de l’exploitation commerciale de cet avion admis comme non rentable depuis 1973.

L’EPR2 va donc à son tour poursuivre sa longue gestation, car l’Etat français ne saurait se contenter d’un exemplaire unique plus ou moins défaillant. Les près de 20 millions d’heures d’ingénierie devront se tenir pour mener à bien le modèle simplifié non éprouvé (pour passer procéduralement du stade de “basic design” à “detailed design”), les logiciels informatiques développés, les versions de librairie seront autant d’autres points de vigilance.

L’EPR2 n’est pas encore prêt. Quoi que certains en disent. Des ajustements sont attendus notammentEt il faut souhaiter que l’urgence politique ne prenne le pas sur l’exigence de conception, ce qui aura été le cas au sujet de l’EPR selon cette fois Jean-Bernard Levy (PDG d’EDF sortant après huit années de mandat ) :

 le rapport Folz montre bien que la construction du chantier [de l’EPR] a démarré alors que la conception détaillée n’avait pas été approuvée, que les plans d’exécution n’étaient qu’à peine disponibles ; évidemment, tous les plans d’exécution ne sont jamais tous disponibles au moment du lancement d’un chantier mais là il n’y en avait pratiquement pas et que donc le chantier a été pénalisé par le fait que la décision de débuter le chantier aurait dû être prise avec davantage d’études disponibles.

L’EPR a changé de nom, est annoncé simplifié. Et il est fait grande démonstration médiatique du potentiel commercial de cet EPR2 pas encore finalisé pour finir de convaincre l’opinion publique. De son côté, EDF précise que le choix des futurs sites qui accueilleront les paires de réacteurs sera fondé sur trois critères d’ordre technique (source froide), foncière et politique (acceptation sociale). Au regard des derniers mois, il pourrait apparaître ne faire aucun doute que le troisième critère soit mésestimé si la population n’était pas convaincue par les démarches appuyées médiatique, politique et législative.

Ces derniers mois, le mythe d’une source d’énergie accessible 24 heures sur 24 est tombé en France : pendant une grande partie de cette année 2022, entre un tiers et plus de la moitié de nos 56 réacteurs ont été arrêtés (la détection inattendue de fissuration par corrosion sous contrainte dans les systèmes de refroidissement de secours s’est ajoutée aux pannes prolongées pour d’autres causes). Malgré tout, cinquante ans après la commission PEON, le gouvernement est totalement motivé à accélérer le Programme Nouveau nucléaire français (PNNF). Et cela passe par la constitution d’une nouvelle délégation, celle interministérielle dédiée au nouveau nucléaire (DINN) pour accompagner le maitre d’ouvrage tant sur le plan industriel que financier et cela s’accentue également par la reprise en main totale d’EDF (l’Etat est monté à hauteur de 90%  de l’actionnariat ces derniers jours).

Cette vaste renaissance, compte tenu des règles de financement des grands projets publics, les entreprises privées pour construire et les banques pour financer une partie du projet à 50 milliards (qu’EDF lestée d’une dette nette de 90 milliards d’euros et l’Etat ne pourront supporter seuls) y seront intéressées contractuellement, des marchés attendus comme très rentables.

L’expertise en situation critique

 

Mais comment donc apprendre, analyser ce qui est difficilement accessible, parfois abscons, apparemment contradictoire ? Dans ce contexte ouvert spécifiquement à la compréhension et au débat, les experts sont sollicités.

C’est le cas justement de Mycle Schneider. Sollicité pour intervenir lors d’une session organisée par la CDPD, il a décidé de décliner l’invitation. D’abord car il ignore le ou les mécanisme (s) permettant aux travaux de la CPDP d’avoir quelconque impact sur les prises de décision qui guideraient la future politique nucléaire et énergétique de la France. Ensuite car il juge inapproprié pour ne pas dire illusoire l’exercice imposé d’apporter au public un “éclairage international” en dix minutes chrono. Enfin, il soulève le problème de la rémunération de l’expertise indépendante.  La CPDP, par la voix d’un de ses membres, lui confirme qu’aucune rémunération n’est prévue pour les intervenants. Cela pourrait sembler de prime abord déontologiquement fondé. Pour Mycle Schneider, la non-rémunération des experts invités à s’exprimer est justement un problème, cette règle censée « égalitaire » étant au contraire discriminante envers les experts indépendants :

  un expert ne peut être indépendant que sous condition qu’il soit rémunéré pour le travail qu’il fait. Les autres intervenants [EDF notamment, ndlr] sont rémunérés par leurs organismes respectifs. Il n’y a pas d’organisme qui sponsorise une activité de ce genre pour moi. Et, si possible, je ne souhaite pas ce genre de sponsoring car je considère que mon travail devrait être rémunéré dans le cadre d’une mission de ce genre. Je pense plus généralement qu’il est en effet indispensable que s’installe enfin une culture d’expertise indépendante rémunérée dans les domaines de l’énergie et du nucléaire en particulier, ce qui correspond par ailleurs à la Recommandation n°1 du Rapport Pompili. J’avoue que, alors que je tente depuis des décennies de faire émerger une telle expertise professionnelle, personnellement j’ai totalement échoué et je n’ai aujourd’hui quasiment pas de revenus en France alors que j’y paie mes impôts. La totalité du financement du WNISR, par exemple, provient de l’étranger. Mais c’est en même temps un signe déplorable pour le pays le plus nucléarisé au monde de ne pas avoir mis sur pied des modèles et des modes de financement d’une expertise professionnelle, hors détenteurs du savoir attitrés, y compris pour un projet indépendant qui est devenu référence internationale dans le domaine. 

Le statut des experts indépendants devrait être traité en France, sur le modèle de bien d’autres pays européens, cependant qu’ils sont sans retenue appelés à s’exprimer qui devant une commission parlementaire, qui lors d’une conférence institutionnelle. Au-delà de sa situation personnelle, il revient sur le manque d’expertise au sein des instances démocratiques et administratives en charge de rapporter :

  L’OPECST [Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques] est un panel sans aucune capacité d’expertise, les fonctionnaires des services n’ont aucune spécialisation. A titre de comparaison, le Congressional Research Service [équivalent pour le Congrès américain de l’OPECST français] emploie 600 personnes dont 400 experts. [… Si bien] que le débat [d’emblée porté sur son volet expertise se limite] à une controverse entre les pro et les antinucléaires, [comme autant] d’opinions, d’arguments, de points de vue. Cette approche paraît passer à côté de deux aspects fondamentaux. […] Ça peut paraître étonnant, mais même dans ce domaine dit controversé, il y a des faits. C’est précisément ce que j’essaie d’établir notamment à travers le WNISR depuis 15 ans. La réduction de ce dossier à une affaire d’opinion est une catastrophe. [… Aussi], l’industrie et le gouvernement ne tiennent absolument pas compte des limites techniques, industrielles, de ressources humaines, de finances, etc. […] On dit au public qu’on construira des réacteurs EPR2 qui n’existent même pas sur le papier. […] Aujourd’hui, un débat est engagé sur des options qui n’existent pas dans le monde réel de l’industrie et de la finance. Le WNISR montre tous les ans à quel point les déclarations des décideurs dans l’industrie et dans la politique sont éloignées de la réalité. [… Cette] notion simplificatrice de pro et antinucléaires contribue à brouiller l’image d’une industrie en pleine déroute. Dans [la] démarche [de la CPDP], je ne vois aucune place pour clarifier cet état des choses comme préalable aux discussions sur les options réalistes. Je vois une autre étape de sophistication de la communication autour des questions nucléaires avec aucun mécanisme établi d’impact sur les prises de décision au-delà de l’espoir exprimé par votre Président. 

Même depuis un banc opposé, pour sa part justement rémunéré pour émettre avis éclairés et données fiables, la parole de l’expertise et son écho sont un problème confirmé par Yves Bréchet, ancien haut-commissaire à l’énergie atomique :

  la politique énergétique du pays a été décidée par un canard sans tête. La chaîne de décision publique est désastreuse […]. L’analyse scientifique des dossiers est systématiquement ignorée, broyée par les effets de cour au service des gouvernants plutôt que du pays. […] Le cœur  du problème [est] la question de l’instruction scientifique des dossiers politiques. […] Je l’ai dit, je l’ai même écrit. Des fois, je me suis demandé si quand j’envoyais mes rapports ça aurait vraiment changé quelque chose si je les avais envoyés reliés des deux côtés. 

L’État et les dirigeants souffrent simplement d’une méconnaissance des sujets sur lesquels ils sont amenés à trancher, emplie d’une inculture scientifique et technique. De quoi les empêcher de cerner toute la complexité des problèmes, maîtriser les sujets. Malgré ses tares, anciens et actuels hauts commissaires ne sont guère sollicités pour leur mission dédiée et les sujets portés entrant dans leur périmètre de compétences. Lors d’une autre audition devant la même commission parlementaire, le haut-commissaire à l’énergie atomique (depuis 2019) Patrick Landais aura plussoyé :

  depuis 4 ans, bien qu’ayant à plusieurs reprises indiqué ma disponibilité et mon souhait d’être pleinement associé aux actions de soutien au nucléaire dans le cadre des plans d’investissement d’avenir puis de France Relance, les ministères et entités impliquées ne m’ont jamais sollicité pour participer aux réflexions et évaluations ayant conduit aux différentes mesures mises en place. […] Conscient du sort qui avait été réservé aux nombreux documents qui avaient été produits par mon prédécesseur, je n’ai pas souhaité m’autosaisir de réflexions susceptibles de mobiliser des experts scientifiques et techniques dont les compétences ont vocation à trouver un meilleur emploi.

Que des experts pro ou antinucléaires s’expriment et soient écoutés et/ou lus, qu’ils soient indépendants ou salariés d’instances ministérielles, les convictions politiques semblent infaillibles concernant le choix énergétique nucléaire. Ainsi, pour le ministre de l’économie « toutes les nations en Europe reviendront un jour à l’énergie nucléaire ». Est-ce si sûr ?

Conclusion temporaire

 

Pour savoir si la France restera championne du nucléaire (au simple regard arbitraire du ratio population/nombre de centrales), il va falloir attendre que les projets soient validés, financés. Les débats font rage sur le territoire métropolitain, la bataille concernant la taxonomie verte européenne n’est pas moins forte. Et si notre média parle du nucléaire en France, le référentiel de cet article s’est déplacé à l’internationale, non sans intérêt.

De quoi révéler que les nations prêtes à investir et construire de nouveaux réacteurs ne sont plus aussi nombreuses pour concourir au podium. Et constater que les paroles se font plus critiques que Macron et son gouvernement ne tentent de les tenir pour peu considérables.

Ainsi, en mai 2022, l’Agence internationale de l’énergie a averti qu’une forte baisse de la capacité nucléaire menacerait les objectifs climatiques, car les économies avancées pourraient perdre 25 % de leur capacité nucléaire d’ici 2025. Et parallèlement à cet augure, d’anciens responsables de la réglementation de l’énergie nucléaire aux États-Unis, en Allemagne et en France de déclarer que le nucléaire ne fera pas partie d’une stratégie réalisable pouvant interférer le changement climatique en cours.

  Le message central, répété encore et encore, qu’une nouvelle génération de nucléaire sera propre, sûr, intelligent et bon marché, est la fiction. La réalité est que le nucléaire n’est ni propre, ni sûr, ni intelligent ; mais une technologie très complexe avec le potentiel de causer des dommages importants. Le nucléaire n’est pas bon marché, mais extrêmement coûteux.

Extrêmement couteux car les réacteurs nucléaires sont des projets massifs, complexes et à forte mobilisation de capital. Et les risques de retard affectent de façon importante le coût actualisé de l’électricité (LCOE) d’un projet nucléaire. Justement, toujours selon le rapport WNISR, si les délais de construction des réacteurs achevés dans les années 1970 et 1980 étaient ‘assez homogènes’, au cours des deux dernières décennies, ils ont beaucoup varié pour atteindre sept ans en moyenne.

(source : WNISR)

En sus, les financements sont tributaires des taux de financement. Si un projet colossal tel un réacteur est presque entièrement du capital au départ, représentant près de la moitié du coût total, une variation d’un ou deux pour cent du taux d’intérêt représente une énorme variation du coût total du projet final, même si le coût en capital réel des composants ne subit aucune variation.

Cependant ce paramètre économique, aux Etats-Unis comme en France, les cadres réglementaires sont en cours de révision pour permettre ‘l’innovation et la commercialisation des réacteurs avancés’, diminuer les incertitudes politiques et les risques de recours juridiques pour faciliter les investissements privés.

La filière nucléaire française en particulier entame son virage existentiel.