Aléas climatiques jacta est

Parmi tous les aléas pouvant rendre vulnérables nos réacteurs, les conditions climatiques sont un paramètre prévalent. A ce titre, les déficits hydriques et l’échauffement des cours d’eau peuvent se révéler un facteur limitant pour le fonctionnement efficient des centrales. Les fréquences de ces événements sont projetées croissantes à très moyen terme. Des aménagements existent-ils pour y remédier au sein du parc actuel ? La flotte d’EPR2 sera-t-elle adaptée à ce futur jugé inéluctable ?

 

(source : Numérama)

Depuis plus d’un an, la France souffre d’un déficit hydrique, estival mais également automnal, hivernal. Et la saison estivale pourrait s’étendre sur près de six mois, de mai à octobre d’ici 2100, à condition que l’accélération des phénomènes ne fasse rien survenir plus tôt.

Une récurrence qui inquiète puisque le maintien constant des refroidissements des circuits est vital, qu’à ce titre une source d’eau est indispensable. D’autant que la sécheresse se double plus sûrement maintenant de l’échauffement des fleuves et rivières, voire désormais des surfaces maritimes. De sérieux aléas pouvant compromettre le fonctionnement des réacteurs nucléaires, car ces points sont plus que jamais névralgiques, ces facteurs pouvant devenir systémiques selon les projections du GIEC.

// En Bref //

• Sécheresse et canicule peuvent être sources de contraintes cumulées pour le bon fonctionnement des réacteurs, dépendant des ressources hydriques

• Actuellement, la puissance peut être diminuée, voire une centrale arrêtée pour cause de normes et réglementations non respectées

• La fréquence des aléas climatiques va être croissante, impactant de plus en plus le fonctionnement encadré du nucléaire civil

• Les dérogations accordées ne suffiront pas à contrebalancer la baisse des débits et l’échauffement des eaux douces

• La révision des limites ouvrira des conflits d’usage entre centrales et secteurs industriels

• Les solutions techniques sont complexes à mettre en oeuvre, onéreuses à installer sur le parc actuel

• Les EPR2 ne sont pas adaptés aux changements climatiques croissants

• Certains éléments vitaux des réacteurs pourraient être impactés par les fortes chaleurs

• La garantie de fonctionnement sécurisé du parc actuel est sensible et celle des nouveaux réacteurs n’est pas assurée de façon pérenne sur leur durée de vie de 60 ans

// En Bref //

Le climat bon pour le nucléaire ?

 

L’enjeu actuel n’est peut-être pas seulement de savoir si le nucléaire est bon pour le climat, mais également de savoir si le nucléaire peut fonctionner sous les fortes contraintes climatiques que le consensus scientifique prédit. Dans le sensible dossier du changement climatique, le degré acméique est de longue date atteint entre les pro-nucléaires, convaincus par les objectifs de décarbonation que le nucléaire permet de tenir, et les anti-nucléaires, jugeant les centrales nucléaires inadaptés pour faire face aux dérèglements à venir.

Une irréversibilité du réchauffement et du dérèglement climatique doit en effet interroger la filière car les installations nucléaires de base (INB) n’ont pas été adaptées lors de leur conception à des telles données. D’ailleurs, il n’est que revenir sur la canicule 2003 pour se souvenir que l’arrêt d’une partie du parc avait été actée à cause de l’assèchement des cours d’eau, les sécheresses de 2005 et 2021 ne favorisant rien de mieux.

(les trois circuits d’eau d’une centrale nucléaire avec aéro-réfrigérant ; source)

Le lien de causalité est simple et un seul point technique se révèle éminemment crucial : les circuits de refroidissement (tertiaire) dépendent de la mer ou des fleuves et sont quantitativement les plus consommateurs d’eau dans les centrales. Ce besoin d’eau pour refroidir est tel que cela correspond à la moitié de la consommation totale prélevée de toute la population française (cours d’eau, nappes phréatiques, etc.), une consommation variable selon le type de réacteur.

En ‘circuit ouvert’, l’eau froide pompée refroidit le circuit secondaire des 26 réacteurs concernés à travers le condenseur (majoritairement les trois sites Bugey, Saint-Alban et Tricastin), puis est presqu’intégralement rejetée (97,5 %) plus loin à une température plus élevée de 2 °C à 5 °C (l’échauffement de l’eau en sortie des condenseurs est de l’ordre de 10°C pour les centrales nucléaires en bord de rivière, de 10 à 15°C pour les centrales nucléaires en bord de mer ; l’échauffement final dépend du débit du cours d’eau).

En ‘circuit fermé’ (le cas des 30 autres réacteurs civils), l’eau pompée va ensuite dans une tour aéroréfrigérante et est perdue sous forme évaporée (80 %), formant par condensation le panache d’eau que chacun admire depuis les autoroutes du soleil.

(des situations hétérogènes selon les sites derrière cette généralité)

C’est donc au niveau des circuits de refroidissement qu’est évacuée la part d’énergie thermique (celle issue de la fission) non transformée en énergie mécanique (rotation de la turbine) et in fine en électricité par l’alternateur. D’ailleurs, de cette perte découle un rendement réel net (le rapport entre la puissance électrique et la puissance thermique) d’un peu plus d’un tiers seulement.

Retenons que de cette consommation conséquente d’un point de vue volumétrique, seuls 2,6 % sont considérés comme consommés (correspondant à l’eau évaporée par les aéroréfrigérants majoritairement), la part moyenne du nucléaire dans la consommation d’eau douce s’élevant à environ 12 % de la consommation totale du pays (avec pas mal de disparités selon les régions et les centrales concernées).

(copie écran du site du ministère avant modification)

Une curiosité : les chiffres précédents issus du service des statistiques du ministère de la transition écologique plaçaient le refroidissement des centrales électriques au deuxième rang des consommations, avec une part beaucoup plus élevée de 31 %. Une modification des parts est intervenue la veille d’une communication présidentielle médiatisée. L’évaporation d’eau par les centrales nucléaires serait-elle devenue sous-estimée ? Officiellement, cet ajustement serait consécutif d’un travail ardu du service de la statistique du ministère de la Transition écologique (SDES), d’une mise à jour de chiffres datant de 14 ans, révisés réacteur par réacteur sur la base d’un croisement de données concernant les prélèvements bruts, issues de déclarations faites par les préleveurs que sont les CNPE (centrales nucléaires de production d’électricité) et des estimations fines. Mais Global Chance souligne que l’eau prélevée dans les cours d’eau puis rejetée plus chaude dans le même cours d’eau est plus susceptible de s’évaporer (la température du Rhône a par exemple augmenté de 2,2 °C depuis 1970 et l’évaporation a progressé de 23 %) ; qu’à ce titre, la totalité de l’eau évaporée par les réacteurs nucléaires en France équivaut plutôt au double de ces estimations (soit à 800 millions de mètres cubes d’eau par an). Le désaccord reste complet sur les consommations nettes dues au nucléaire civil.

Captation de volumes, niveau d’échauffement… Tout cela est en tout cas dûment réglementé. Les limites divergent selon les centrales, mais grossièrement, la température maximale limite autorisée en aval d’une centrale nucléaire est fixée à 28 °C, voire parfois la différence de températures entre amont et aval de la source d’eau. Et la température des effluents rejetés ne peut pas excéder 30°C, entendu que le droit commun prescrivait des particularités précises qui pour les eaux salmonicoles, qui pour les eaux cyprinicoles, qui pour les eaux destinées à la production d’eau potable.

Seulement les conditions sont telles que des dérogations sont parfois nécessaires pour poursuivre l’exploitation, autorisant des captations non interrompues lors de faible étiage, des eaux relâchées plus chaudes… Sans cela, la puissance du réacteur doit être abaissée, pendant quelques jours Parfois un arrêt complet est imposé. Ces dérogations vont-elles se multiplier ou les diminutions de puissances, les arrêts se faire plus courants ?

La question va se poser annuellement. Tous les scénarios climatiques augurent que le débit de nos cours d’eau va baisser, ralentir, leur eau se réchauffer. L’idée d’adapter nos réacteurs actuels pourrait ne s’en tenir qu’à un simple exercice de pensée tant le coût serait inaccessible pour EDF, déjà endetté à hauteur de 65 à 80 milliards d’euros. En attendant, le parc nucléaire est promis à résister et s’adapter aux conséquences de ce dérèglement climatique, sans plus de complication. Une innovation technologique va tout de même être testée sur la centrale du Bugey, censée récupérer l’eau évaporée dans les tours aéroréfrigérantes pour la réutiliser.

Politiquement, les dérogations seraient privilégiées, car la priorité serait donnée au respect de taux de production électrique. Mais ces exercices dérogatoires ont fait l’objet d’instruction de la part de l’ASN, se révélant n’être pas sans effet sur l’environnement. En 2022, les écarts et les seuils de température régissant les rejets d’eau échauffée des centrales de Golfech, Bugey, Saint-Alban, Blayais et Tricastin ont été relevés et les milieux aquatiques respectifs (Rhône, Garonne et l’estuaire de la Gironde) ont été surveillés en ces zones de forte concentration nucléaire où les impacts se cumulent. En sus, les rejets d’eau chaude d’une centrale en amont peuvent impacter une seconde située plus en aval, pas moins soumise à des limites fixées par décret. Les centrales du Bugey et de Saint-Alban ont vu survenir une eutrophisation du milieu, par exemple (les populations de poissons s’en ressentant). Pour l’ASN, il est indispensable que les installations nucléaires évoluent sur le plan technologique pour s’adapter.

Dans cette optique, euphorisé par la présentation du plan Eau, Macron aura prôné une solution qui semble ne pouvoir être retenue : augmenter la part de réacteurs en circuit fermé. La difficulté de transformer les circuits ouverts en circuits fermés est élevée (son financement étant lié proportionnellement à cette complexité). Aussi, un circuit fermé consomme plus d’eau qu’un circuit ouvert (les aéroréfrigérants réduiraient l’impact thermique sur les cours, mais ils augmenteraient la consommation d’eau).

Cette évolution technologique n’en reste pas moins primordiale pour prétendre construire de nouveaux réacteurs dans ce contexte fortement évolutif. Lors d’une séance dédiée de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPESCT), office assez porté sur la solution nucléaire, certains commencent à entrevoir que la meilleure solution ne doit pas se limiter à assurer exclusivement le respect des normes de rejet de gaz à effet de serre.

Oui, si les réacteurs sont de faibles émetteurs en carbone, l’argument en la faveur du maintien et de la relance de la filière ne peut être seul prévalent. Outre les risque et danger qu’ils font peser sur une zone géographique étendue, leur fonctionnement est basé sur l’utilisation de l’eau pour assurer son refroidissement constant. Il est facile de déduire des éléments techniques permettant le fonctionnement des réacteurs que deux points particuliers peuvent faire l’objet d’une attention appuyée dans les années à venir : le devenir des débits des fleuves et l’évolution du réchauffement de leurs eaux.

Ah qu’il sera laid le débit de l’eau

 

La Cour des comptes s’est justement penchée sur les impacts des changements climatiques sur le parc nucléaire. Selon elle, dans la même veine que les recommandations de l’ASN, le parc nucléaire doit se préparer à faire face à des conséquences prégnantes. Notamment, les rejets thermiques qui peuvent voir imposer de réduire, voire d’arrêter, certains réacteurs en période de faible débit et de canicule.

Sauf à fonctionner en régime dérogatoire, comme cela se multiplie. En coulisses, afin de s’assurer une visibilité plus élargie des taux de production et d’éviter de recourir de façon trop fréquente aux dérogations, la filière nucléaire appuie d’ailleurs pour une révision de la règlementation.

  [La Cour plussoie et recommande de] consolider et mettre à jour les fondements scientifiques justifiant les limites réglementaires applicables aux rejets thermiques des réacteurs nucléaires.

Des études sont relayées et tendent à montrer que les centrales n’auraient qu’un faible impact sur le réchauffement des cours d’eau. A qui se fier ? La Cour souhaite-t-elle que le cadre règlementaire soit assoupli pour autoriser des rejets à des températures plus élevées ou que les études soient plus rigoureuses ? Nous serions portés à penser que la révision serait prônée, la Cour laissant subodorer un avis favorable à EDF au regard des enseignements tirés de ses programmes de recherche en thermie-hydrobiologie : la fixation de seuils de températures pour les rejets des centrales ‘est ancienne et mérite d’être interrogée’.

Que disent factuellement ces études ? D’abord que la température de l’eau des fleuves s’est élevée en moyenne de 0,8°C par décennie au cours des quarante dernières années (occasionnant une modification des espèces vivant dans ces eaux). Parallèlement, leur débit a baissé de 5 % par décennie. Les centrales ayant peu d’impact, sur le débit et sur le réchauffement, les seuils et règlementations légaux serait à réviser puisqu’elle est ‘essentielle’ pour le fonctionnement des réacteurs, ‘sites thermosensibles’. L’affaire semble pliée.

Réduire les pertes de production est donc l’objectif premier, pertes ‘simplement’ dues à ces normes. Ces normes avaient déjà été révisées en 2006, pour faire suite aux canicules de 2003, 2005 et 2006, afin ‘permettre de maintenir la production nucléaire de certains sites’. D’un autre côté, la filière souligne que ces pertes seraient limitées : moins de 1 à 1,4 % de la production annuelle en moyenne selon Réseau de transport d’électricité (RTE).

Mais la concentration de ces pertes est suffisamment circonscrite et récurrente sur six sites pour envisager une réforme afin de pallier à toute accentuation du phénomène et amoindrir les effets sur des réacteurs en particulier : Saint-Alban (Isère), Tricastin, Bugey (Ain), Blayais (Gironde), Golfech (Tarn-et-Garonne) , voire Chooz (Ardennes ; soumise à l’application de l’accord transfrontalier sur les eaux de la Meuse).

Il y aurait urgence, car les périodes jusque-là brèves, estivales le plus souvent, sont vouées à s’étendre et se multiplier, accroissant les risques de tension sur le réseau.

  [Ces indisponibilités devraient être multipliées] par un facteur de trois à quatre […] à l’échéance de 2050. […] Les épisodes caniculaires sont déjà quasi-annuels depuis 2017.

Une adaptation de la réglementation a défaut de développer d’efficaces systèmes de refroidissement sobres en eau. Mais toute ligne budgétaire supplémentaire n’est pas sans conséquence pour EDF, déjà ankylosée par sa dette et lestée du programme ‘grand carénage’.

La température de l’eau rejetée n’est pas le seul élément critique. Les débits se révèlent même plus essentiels. Les réacteurs exigent, en circuit ouvert ou circuit fermé, des débits respectivement de l’ordre de 40 à 50 m3 /s et 2 m³ par seconde (pour mémoire, la puissance des centrales nucléaires va de 900à 1300 MW). Pour la captation à des fins de refroidissement, mais également sans moins d’importance pour optimiser les très fortes dispersion et dilution des rejets d’effluents liquides, réduire l’impact thermique des tranches en circuit ouvert. A ce titre, la spécificité du Rhône réside dans le fait que trois centrales en circuit ouvert (Bugey 2 et 3, Saint Alban et Tricastin) sont situées sur ce même fleuve, impliquant pour une centrale donnée en aval de prendre en compte l’échauffement résiduel induit par les centrales situées en amont. La réduction des débits pourrait également avoir des conséquences sur la production électrique : les rejets ne sont autorisés que si le débit du cours d’eau est suffisant, sinon il faut en assurer l’entreposage tant que le rejet est interdit, nécessitant la réduction de puissance voire l’arrêt faute de stockage. La Loire impose ces mêmes contraintes pour les centrales de Dampierre, Belleville, Chinon et Saint-Laurent-les-Eaux.

La contrainte hydrique est donc multifactorielle, ce qui ne facilite pas sa gestion à court et moyen termes. Les paramètres étant multiples et (semi-)indépendants, influencer sur l’un n’est pas suffisant, sur plusieurs est de l’ordre de l’impossible. L’exploration de solutions et la mise en place d’innovations ne peuvent qu’être circonscrites dans la gestion des conséquences, de l’adaptabilité des matériels : réduire la consommation d’eau, capter les panaches des tours de refroidissement des réacteurs en vue de recycler l’eau, utiliser de nouvelles sources froides comme cela est envisager sur les EPR2, stocker en des réservoirs de plus grande capacité les effluents… Des actions limitées et pas encore valides (sans prétendre de leur efficience).

En attendant, des indisponibilités simultanées peuvent engendrer des baisses de production plus importantes. En juillet 2019 par exemple, 10 % de la capacité totale ont manqué, la conjugaison de la sécheresse et de la canicule mettant une part significative du parc nucléaire hors service. Donc ponctuellement, ces diminutions de puissance, tout à la pilotabilité des réacteurs mise en avant, pourraient se multiplier et s’accumuler. Le débit moyen des fleuves (prévu pour diminuer de 10 % à 40 % dans les années à venir, rappelons-le) pourrait être encore moindre lors des mois d’août et de septembre, selon les travaux prospectifs Explore 2070, à la faveur de périodes de sécheresse et de canicule plus longues et plus fréquentes, conjuguées à des précipitations que les scientifiques projettent de plus faibles densité et volume.

Cela est distinctement relevé par la Cour des Comptes :

  depuis plusieurs années, une nouvelle augmentation significative des arrêts pour causes climatiques a été constatée avec des pertes s’élevant à plusieurs térawattheures par an.

Alors changer les règles et faire évoluer les limites fixées par arrêtés est tentant. Solution de facilité. Mais c’est omettre l’impact sur les flore et faune, le risque de multiplication de pathogènes (légionelles, amibes notamment), par exemples. Les arbitrages futurs seront-ils donc de plus en plus politiques, la production énergétique nationale le disputant à l’écologie des écosystèmes ? Nous pouvons constater qu’au cours de l’été 2022, l’ASN a autorisé pour la première fois des centrales à fonctionner en dehors des seuils environnementaux afin de pallier tout manque d’électricité. Les marges pour réduire les besoins en eau des réacteurs étant de plus en plus faibles, il n’est pas illusoire de subodorer que tel sera le cas. Le passage de tous les réacteurs en circuit fermé prôné par Macron serait de toutes façons trop coûteux et techniquement compliqué.

Alors quelles projections sont-elles fiables pour juger de la viabilité des projets de construction accélérée des EPR2 ? Thibault Laconde, ingénieur spécialiste des risques climatiques, s’est soumis à ce type de calculs prévisionnels.

  [… Admettons par simple exercice de pensée que] les limites de température et de débit, fixées par décision de l’ASN et homologuées par arrêté ministériel pour chaque centrale, [restent] inchangées. Les réacteurs [EPR2 …] sont construits par paire. […] L‘implantation de nos futurs réacteurs en bord de fleuve imposerait presque automatiquement un choix technologique : l’utilisation d’un refroidissement en circuit fermé [… car] le problème d’un circuit ouvert est que l’ensemble de la chaleur excédentaire de la centrale est envoyé vers le fleuve. […] Pour 2 réacteurs, type EPR, cela représente de l’ordre de 6GW qui vont aller réchauffer le fleuve. […] Pour un fleuve de débit moyen comme la Loire (environ 300 m3/s en moyenne), le refroidissement [de la paire de réacteurs] entrainerait en moyenne en réchauffement de 5 °C, [soit] beaucoup plus que ce qui est actuellement autorisé (1.5°C max pour la Loire).

Il faut donc un débit suffisant, que seul le Rhône pourrait fournir, dans la situation actuelle. Malheureusement, les débits vont baisser. Sans compter les épisodes à répétition à venir qui les multiplieraient, des arrêts sont imposés déjà tous les ans sur les centrales Saint-Alban ou Bugey (réacteurs moins puissants que les EPR2) : ‘Saint-Alban, par exemple, a connu 22 épisodes d’indisponibilité cette année précisément parce que le débit du Rhône ne permettait pas de la refroidir dans le respect de ses limites d’échauffement’. Tricastin n’est pas mieux loti.

Le circuit fermé serait donc à privilégier, ce qui tombe bien puisque la loi l’y oblige. Par contre, cette solution est plus consommatrice d’eau consommée et plus chère : des études exploratoires conduites par EDF existent sur la possibilité de doter certains sites de tours aéroréfrigérantes, comme sur les centrales de Saint-Alban, du Bugey et de Tricastin, mais la faisabilité technique et foncière s’évère très complexe et difficile à mettre en œuvre, les coûts d’installation s’élèveraient à 500 millions d’euros (sans parler des coûts de maintenance).

Aussi, cette solution fait diminuer le débit du fleuve en aval du réacteur, rendant rédhibitoire l’usage de certains fleuves à ce type de production électrique (Moselle, Meuse et Seine devraient être disqualifiés car leur étiage moyen est inférieur à 30 m3/s). De plus, pour continuer l’exercice de pensée, les huit réacteurs situés sur le Rhône consommeraient 120 millions de mètres cubes supplémentaires chaque année en circuit fermé, du seul fait de l’évaporation depuis les tours de refroidissement.

De toutes façons, aucun pays nucléarisé au monde n’a entrepris une telle transformation, sans doute pour cause (en dehors peut-être de l’exemple particulier de la centrale espagnole d’Asco).

Avec les constructions à venir, la prise en compte de la multiplication des ouvrages nucléaires sur un même fleuve est aussi à considérer. De prime abord, l’impact du changement climatique sur le régime du Rhône est acté, mais l’évolution et la multiplication des conflits d’usage (autres centrales nucléaires, agriculture, alimentation en eau de millions de personnes sur les fleuves français…) ne sont pas favorables. Selon les calculs, le débit du Rhône en période estivale a déjà baissé de 13 % en soixante ans. Il devrait encore diminuer de 20 % d’ici 2055 (affluents compris, avec de fortes disparités). En l’état, parmi les bassins versants, celui du Rhône rassemble déjà les centrales nucléaires de Bugey, Saint-Alban, Cruas et Tricastin, faisant du secteur nucléaire le premier consommateur d’eau sur cette zone géographique.

Du seul point de vue du Rhône, les études ne manquent donc pas. Ces principaux enseignements sont émis par l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, en partenariat avec la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) : depuis 1970, la tendance est générale et la température moyenne annuelle de l’eau du plus puissant fleuve de France a augmenté de 2,2 °C  dans son secteur nord, près du lac Léman, et de 4,5 °C au sud, dans la région de Beaucaire (Gard), la température de l’air augmentant parallèlement en moyenne de 1,8 °C le long des 810 kilomètres de ce cours français, du Léman à la Méditerranée, avec des pointes à 3,6 °C degrés au sud de l’Ardèche. Ces données sont à combiner avec la baisse de 10 % des chutes de neige sur la même période, l’assèchement des sols, le réchauffement de l’air ambiant entraîne une baisse régulière et inexorable du débit du Rhône. Conséquence déjà notable : la part du volume d’eau prélevé dans le fleuve est passée de 15 % de son débit (déjà un fort niveau de sollicitation selon l’étude) à 30 % de son débit au cours du printemps 2011. Un constat appelé à se renouveler et un avenir qui ne va rien arranger.


(étude sur les débits du Rhône pour anticiper leur évolution)

Mais voilà, la décision d’installer de nouvelles unités nucléaires semble inéluctable, malgré toutes les craintes exprimées ouvrant risques à dysfonctionnement. Pourquoi alors au moins ne pas anticiper l’installation en des sites plus appropriés, comme en bordure maritime comme le prônent certains pro-nucléaires ? Déjà, en l’été 1976, cependant que la France traverse une sécheresse exceptionnelle, la Meuse est au plus bas et la centrale de Chooz doit réduire sa production pendant trois mois. Cet avertissement sans frais n’empêchera aucunement le site d’être pressenti l’année suivante pour accueillir deux réacteurs plus puissants (dont la construction sera achevée en 1996). Ou comment tenir en peu de considérations des observations scientifiques. Depuis, Chooz est l’une des centrales françaises les plus exposées aux sécheresses : pour ne citer que les derniers épisodes marquants, ses réacteurs ont dû être arrêtés à cause d’un manque d’eau en 2018, en 2019 et en 2020, totalisant des pertes vingt-cinq fois supérieures à celles de 1976 (pour ne rien favoriser, ajoutons que Chooz bénéficie d’un accord bipartite particulier visant le partage de l’eau en cette zone limitrophe avec la Belgique).

(références limites ; source)

Comment comprendre cette fuite en avant ? EDF le reconnaît elle-même : plus de 50 % de l’augmentation de la température de l’eau du Rhône ces dernières décennies est attribuable aux rejets des centrales électronucléaires situées en amont. En attendant, pour ne pas abaisser les puissances de ses centrales, notons qu’EDF biaise un peu ses données. Les valeurs sont enregistrées sur 24 heures, selon des calculs et non des mesures. Et le respect d’une moyenne sur 24 heures permet de faire disparaitre les pics de températures des rejets en aval, ne considérant aucunement la directive européenne concernant la qualité des eaux douces ayant besoin d’être protégées (voire améliorées) pour être aptes à la vie des poissons.

Mais un autre paramètre climatique incident doit être tenu pour important.

Y a de la chaleur dans le gaz

 

Les réacteurs sont sujets à subir les conséquences d’aléas climatiques, pas seulement du seul fait que leur refroidissement dépende de l’eau. Le réchauffement de l’atmosphère agit directement sur la tenue des matériaux et le fonctionnement des éléments électriques, électroniques. Il faut parfois, rarement encore, s’en remettre à des arrosages sur les structures pour éviter la surchauffe des bâtiments. Agit indirectement sur l’aggravation du risque d’inondation avec l’élévation du niveau de la mer.

Plus actuellement, les enjeux de sûreté portent plutôt sur la température de l’air de certains locaux abritant des équipements importants. Les températures extérieures exceptionnelles sont palliées pour partie par des climatiseurs industriels. Mais déjà, les niveaux maximums sont parfois dépassés et doivent alerter.

Comme s’il fallait ajouter au tableau, il se trouve que les centrales nucléaires sont aussi un acteur direct de ce même réchauffement climatique. L’ordre de grandeur diverge de celui des gaz à effet de serre (GES) mis à l’index (dioxyde de carbone pour le plus connu, mais également le méthane, le protoxyde d’azote et des gaz industriels comme le très puissant hexafluorure de soufre dont fait usage le secteur dans ces tours réfrigérantes). Mais le sujet mérite d’être évoqué.

  Aujourd’hui, plus de 430 réacteurs nucléaires dans le monde transforment en électricité 30 % de leur énergie, et le reste, 70 %, réchauffe l’atmosphère ou les océans, ce qui est considérablement moins menaçant que le rejet de gaz carbonique dans l’atmosphère par l’utilisation du charbon ou du pétrole. Ceux-ci contribuent aussi directement au réchauffement de l’atmosphère et des océans, et représentent une menace beaucoup plus grande à long terme, en raison de l’augmentation de l’effet de serre, avançait le physicien Georges Charpak

Cela fait beaucoup de paramètres à mesurer et maitriser. Avec le changement climatique, toutes les situations extrêmes vont clairement devenir plus fréquentes. L’augmentation de la température, donc de l’évaporation, l’évolution fluctuante des précipitations et la disparition des réserves sous forme de neige ou de glace vont favoriser des périodes de basses eaux de plus en plus fortes et longues. Les modélisations effectuées par RTE (Réseau de transport d’électricité) indiquent que les pertes de production devraient augmenter. L’EPR2, réacteur le plus puissant au monde, aura des besoins en eau plus importants que ses prédécesseurs. Est-il au moins adapté aux situations à venir et projetées comme détériorées pendant les soixante années qu’il est supposé fonctionner ?

De cette position de l’exploitant nationale intenable, comprise entre une communication visant à minimiser les effets de la chaleur et du manque d’eau sur son parc nucléaire qui serait adapté, et un lobbying en faveur d’un assouplissement de la réglementation, EDF compte avec ferveur sur les prochains modèles de réacteurs pour mettre un frein aux fluctuations de production électrique.

L’avenir de la filière entre les mains des EPR2

 

Le fait est presque avoué, à peine nié dorénavant : le parc nucléaire actuel n’a pas été conçu pour tenir compte d’effets du changement climatique que peu de personnes anticipaient au moment du plan originel. Avec le dérèglement climatique, ce sont plusieurs paramètres cruciaux pour le bon fonctionnement des réacteurs qui sont concernés. Parmi iceux, une fois les éléments vitaux protégés de la chaleur dans les bâtiments, la disponibilité de l’eau et sa température dans les cours apparaissent un enjeu majeur pour le parc nucléaire.

Face à ce climat devenant une contrainte forte sur un futur programme nucléaire, EDF projette publiquement de venir à bout de ces incertitudes à travers son projet de renouveau nucléaire, officiellement lancé depuis le dépôt de la demande d’autorisation de construction (DAC) de deux nouveaux réacteurs nucléaires sur le site de Penly. Examiné par l’ASN avant de donner son accord, le dossier devra démontrer que la conception et le design des EPR2 répondent à ces nouvelles exigences. Ce qui n’est pas encore une affirmation indubitable.

La conception des EPR2 inquiète, pas seulement vis-à-vis des facteurs climatiques. Les sites des trois premières paires ne sont pas encore satisfaisants que la Cour des Comptes regrette qu’aucune visibilité ne soit apportée sur l’implantation des huit EPR2 prévus en option, alors même que certains sites thermosensibles ont encore été mis à l’arrêt lors de l’été 2022. Ce qui ne rassure pas quant à la sécurisation du planning de leur mise en service et la disponibilité d’électricité d’origine nucléaire lors des décennies à venir.

Le gouvernement n’en fait encore pas moins et toujours mine d’une gestion rigoureuse et d’une maitrise totale. La ‘relance du nucléaire’ a tout simplement été prise sans ‘évaluation préalable complète des contraintes liées au changement climatique’, alors que le gouvernement présente justement la construction de ces nouveaux réacteurs EPR2 comme une réponse au changement. La Cour des comptes exagère ? Elle ne fait qu’adresser ‘une forme d’alerte’ à l’ensemble des acteurs du nucléaire à propos de ces futurs réacteurs soumis à des exigences beaucoup plus fortes.

Malgré ces années d’étude et de mise au point, la nouvelle vitrine du nucléaire ne comporte pas ‘d’évolution technologique marquée’ et d’innovations opérationnelles, comme des systèmes de refroidissement sobres en eau par exemple, voire des technologies ‘à sec’ (en cours d’expérimentation à l’internationale). Pire, leur conception exclut l’hypothèse extrême, même si elle est jugée peu probable par le GIEC d’une fonte des calottes glaciaires qui provoquerait une hausse plus élevée du niveau de la mer (mais tout évolue avec des accélérations retoquant les simulations, aucune prévision ne peut être écartée).

Dans son rapport sur les impacts des changements climatiques sur le parc nucléaire et devant les parlementaires, si la Cour des comptes ne dit pas clairement que le cadre règlementaire pourrait être assoupli pour autoriser des rejets à des températures plus élevées, les modalités d’adaptabilité des prochains EPR2 et leur tenue dans le temps questionne.

  Les conséquences du changement climatique vont affecter et affecte déjà à des degrés divers et croissants les réacteurs du parc national actuel. […] Il affectera encore plus les projets de construction de nouveaux réacteurs susceptibles d’entrée en service d’ici 2035. Comment cela se manifeste-t-il ? […] Ca affecte déjà les installations elles-mêmes et leur capacité à fonctionner de façon sûre, notamment sur la résistance des matériels, des équipements mais également la compatibilité avec des conditions de travail acceptables pour les personnels sur site. […] Ce parc actuel est très dépendant en ressources en eau car c’est le moyen de refroidir les réacteurs. […] La perspective de prolongation de la durée de vie du parc actuel jusqu’à 60 ans […] l’expose non seulement aux aléas climatiques actuels mais aussi à leur accentuation au cours des 20 à 30 prochaines années. Par comparaison, les futurs réacteurs dont la durée d’exploitation pourrait aller jusqu’à 2010, voire au-delà, seront très directement confrontés aux conséquences plus lourdes du changement climatique : une forte augmentation des températures, une fréquence accrue d’événements climatiques extrêmes, une diminution des débits moyens [accentuant les conflits d’usage] et des étiages des fleuves [réduisant la capacité de dilution des rejets] et une élévation potentiellement importante du niveau de la mer. […] Les enjeux d’adaptation sont bien identifiés […] mais de la prise de conscience à la traduction opérationnelle, nous en sommes encore aux balbutiements. […] Depuis [2022 seulement], EDF met en œuvre un plan d’adaptation climatique modifiable tous les cinq ans [via son service climatique dédié créé en 2014]. […] Le coût estimé de cette adaptation au changement climatique demeure extrêmement modeste en termes d’investissements, EDF ne l’ayant pas évalué complètement et précisément. […] Les pertes de production demeurent limitées en moyenne annuelle, de l’ordre de 1 à 1,4%, […] mais les périodes d’indisponibilité peuvent s’avérer de plus en plus longues. […] Des études prospectives mettent en évidence une multiplication d’un facteur 3 à 4 des indisponibilités liées au réchauffement climatique à échéance de 2050, ce qui peut être significatif. […] En matière de recherche, aucune innovation technique notable n’a été mise en œuvre sur le parc existant pour limiter la consommation en eau. […].

Même muni d’installation de dessalement de l’eau de mer, pour les besoins en eau industrielle de la tranche, se reporter sur les expériences internationales sous des latitudes extrêmes pourrait être d’intérêt, telle la centrale de Palo Verde.

C’est tout ? Pas encore.

  Les EPR2 ne comportent pas d’évolution technologique marquée, en particulier de système de refroidissement sobre en eau. Il n’est pas tenu compte de l’hypothèse, certes estimée peu probable par le GIEC, d’une fonte des calottes glaciaires ce qui provoquerait une hausse plus élevée du niveau de la mer. Or cette hypothèse extrême pourrait peser sur le choix des sites littoraux et sur la façon d’engager de futurs chantiers. Il manque encore une approche réellement intégrée et commune à l’ensemble des acteurs directement concernés. […] Les incidences du changement climatique pour des réacteurs qui fonctionneront pour l’essentiel lors la seconde moitié du XXIè siècle justifie de produire rapidement des études de préfaisabilité qui prennent en compte le changement climatique.

En période de stress hydrique récurrent, le choix d’installer des EPR2 fluviaux (sur les sites de Bugey et Tricastin) est d’importance compte tenu de ses conséquences sur la consommation d’eau : un tel réacteur consommerait en effet autant d’eau qu’une ville comme Lyon ou Marseille et sa banlieue, soit 1,6 millions d’habitants. Ce type de projection n’est pas anodin quand il s’agit de comprendre et juger des arbitrages.

Votre mission ? Impossible

 

La relance de l’industrie nucléaire civile en période de tels changements climatiques est-elle pleinement mesurée ? Les conflits d’usages (entre secteurs industriels et entre pays frontaliers) et les  (pollutions…) liés à l’eau vont croissants. L’eau est d’ailleurs un élément bien plus stratégique puisqu’elle est présente et indispensable à toutes les étapes de la filière nucléaire, pas seulement pour la seule phase de refroidissement (lixiviation, procédés de concentration…).

EDF est poussée de longue date à s’adapter, par la Cour des comptes et l’ASN notamment. Mais les adaptations sont complexes à réaliser et financièrement importantes sur le parc actuel. Sous l’acronyme ADAPT, des services y travaillent mais les aspects techniques ne convainquent pas tous en interne.

Avant même les années difficiles à venir, le constat est déjà inquiétant. Les difficultés liées au changement climatique touchent seulement 4 sites sur 18, selon RTE. En conséquence, RTE recommande d’installer les nouvelles centrales en bord de mer, là où elles ne sont pas concernées par les problèmes de sécheresse et d’assèchement des cours d’eau.

En pleine canicule, nous en restons à accorder des dérogations exceptionnelles aux centrales nucléaires afin qu’elles produisent de l’électricité sans discontinuer. Des solutions non pérennes et peu rassurantes pour la production d’électricité d’origine nucléaire mais aussi dans le cadre de l’arbitrage des conflits d’usage qui ne manqueront pas de se faire jour, pour préserver le débit du fleuve mais aussi pour assurer le fonctionnement des autres industries utilisant une eau tout autant attendue comme ajustée en température à leurs propres contraintes structurelles.

Les autres industries qui utilisent les fleuves comme source de refroidissement (centrales fossiles, papeteries, raffineries, etc.) étant également soumise à de telles réglementations, ces dérogations bénéficieraient-elles à tous ? Au risque de majorer les conséquences.

La solution est alors plus pragmatique. Les limites ne correspondant plus aux conditions environnementales actuelles, la modification et/ou la suppression d’icelles pour certaines centrales constituerait l’orientation principale souhaitée par EDF. L’entreprise veut que soient prises en compte les évolutions des températures des fleuves et des régimes hydrologiques. L’eau puisée en amont pouvant se retrouver très proche ou dépassant la limite imposée pour le rejet, le respect des normes s’avère impossible à tenir selon EDF. Le régime français a déjà été largement flexibilisé par la révision des arrêtés de rejets depuis 2003. La canicule de 2003 a marqué les esprits chez EDF, la « catastrophe [ayant] été évitée de peu », soit un black-out électrique en plein été.

En 2022, dont un mois de juin remarquable, l’exploitant a sollicité des dérogations pour « situations [caniculaires] exceptionnelles » afin de permettre le refroidissement des réacteurs nucléaires de cinq centrales : Saint-Alban bien entendu, Tricastin, Bugey, Blayais et Golfech. Tout récemment, un arrêté modifie les règles applicables aux rejets thermiques de la centrale du Blayais : la période estivale est tout simplement allongée du 16 avril au 15 novembre (en lieu et place du 15 mai au 15 octobre), nouvelle période élargie pendant laquelle la température maximale au rejet est de 36.5°C contre 30°C en hiver. Encore cette limite peut être suspendue si RTE demande le maintien de la production, pas toujours justifiées par les besoins de nécessités d’équilibre de réseau. Nécessités financière et politique.

Adapter encore au-delà pour un seuil dérogatoire de 30°C, comme par exemple à Golfech et encore en 2023, serait dans le même temps accepter la détérioration des écosystèmes aquatiques attenants. Des évaluations menées par EDF dans les années 1960 démontraient pourtant que l’échauffement de l’eau a des impacts écologiques significatifs avant 30°C. Cela n’a pas varié, et il n’est que de citer certains travaux édités depuis en 2015 pour admettre que les écosystèmes aquatiques et marins sont affectés par toutes sortes de dérèglements.

Mais les dérogations ou aménagements par décrets ne sont pas tout. Il existe des limites techniques de fonctionnement en température et en débit. EDF reste bien discrète sur ses résultats et projections concernant les chaleurs et étiages extrêmes que l’exploitant anticipe pour chaque centrale nucléaire. L’incompatibilité fonctionnelle de certaines avec la réglementation actuelle est peut-être déjà ténue.

L’énergie nucléaire de fission est une source d’électricité décarbonée. Elle fait l’objet d’une attention particulière et appuyée de certains groupes de pression. Mais l’analyse de ses atouts et de ses faiblesses demande une approche intégrant bien d’autres éléments que les seules questions des ressources en uranium, de la sûreté et celle du vieillissement des équipements, les problèmes associés au démantèlement des centrales en fin de vie, la gestion des déchets produits. A court terme, aridification liée (notamment sur la Loire) à l’augmentation de la température, donc évaporation et étiages plus précoces et plus sévères, parallèlement à la réduction et la fonte des stocks d’eau solide (neige, glaciers…) plus tôt dans l’année, successions de sécheresses estivales et hivernales, etc. Construire un nouveau réacteur est un engagement pendant la soixantaine d’années que durera son exploitation, du point de vue des débits d’eau, des températures intérieures de fonctionnement… Nous passons de la gestion de la sûreté basée sur des événements passés à des incertitudes futures dont l’évaluation n’est pas aisée, surtout pour des événements exceptionnels plus forts et attendus comme plus fréquents. Qui peut assurément affirmer que cette situation sera soutenable ?

Les aléas ne sauraient se limiter aux seuls facteurs climatiques directs, mais concernent également des risques dits périphériques (incendie de forêt au risque accru, submersion de routes à proximité des centrales…) que la Cour n’a pas eu le temps d’étudier mais qui vaudraient des observations de même ordre, peut-être. Quant aux structures de stockage des déchets, pas plus retenues dans l’étude de la Cour des comptes, les conséquences de les voir sujettes à tous ces aléas ne sont pas moindres à craindre (à l’instar des installations de recherche du CEA, des installations nucléaires militaires et celles dédiées à la fabrication du combustible).

Si le fonctionnement des centrales nucléaires françaises est d’ores-et-déjà perturbé par les changement et dérèglement climatiques, il semble pourtant vital de s’assurer que les réacteurs que le gouvernement promet de construire, avec quelque facilité, puissent encore fonctionner à la fin du siècle dans un climat dont la dérive est encore plus impalpable.

En plus de la météo des plages, des feux, des intempéries, la météo des réacteurs va-t-elle devenir un nouveau rendez-vous télévisuel quotidien ?