Dans la famille ‘2’, je demande l’EPR

En France, la nouvelle génération de réacteurs est promise comme totalement efficiente. Les retours d’expériences et les améliorations envisagées doivent permettre d’atteindre cet objectif, cette perfection technologique. Pourtant, il faut en passer par la clôture du design final, de nouveaux tests et l’actualisation des dossiers de validation. Aussi, les considérations industrielles et les recrutements professionnels seront des paramètres d’importance pour assurer les finitions dans les règles de l’art, dans le même temps tenir les échéances politiques. Pour le gouvernement, la phase de constructibilité du chantier doit être opérante dans les meilleurs délais, le projet répondre aux besoins climatiques dans les temps restreints impartis.

(source : EDF)

Les avaries de la vitrine française du nucléaire ont été nombreuses. Pas seulement sur notre territoire. A Flamanville, c’est une véritable liste à la Prévert qu’il faut parcourir pour jauger de l’étendue des problèmes rencontrés depuis l’origine : défauts de confection des bétons, fissures dans la cuve, fissures sur des soupapes de sécurité du pressuriseur, soudures défectueuses (à reprendre en divers endroits plus ou moins accessibles), etc. Ledit réacteur n’est toujours pas mis en fonction que le secteur assume cet état de fait avec d’autant plus de facilités qu’il assure s’appuyer sur les retours d’expérience de cette tête de série pour promettre des nouveaux réacteurs améliorés et parfaits. Cette fois la vraie vitrine de l’excellence nucléaire est attendue.

// En Bref //

• La perfection des EPR2 est supposée atteinte grâce à tous les retours d’expérience

• L’EPR de Flamanville a été un traumatisme industriel et technologique

• Toujours pas en service, ce dernier est déjà rafistolé de ressorts pour amoindrir des vibrations d’origine inconnue et de colliers pour maintenir des soudures défectueuses

• Cette mauvaise expérience EPR doit servir le programme du nouveau nucléaire français PNNF

• Les EPR2 doivent alors bénéficier de cuve sans défaut de conception, cela occasionnant le remplacement du couvercle de l’EPR après sa mise en service

• Pour tenir les délais, la gestion des chantiers est attendue plus rigoureuse

• Parmi les points de surveillance, la qualification des soudures sera d’importance

• Les ouvriers spécialisés devront être recrutés en nombre et hautement compétents

• De design identique et à pleine puissance nominale, les EPR2 souffriront de perturbations hydrauliques dans la cuve

• Des solutions devront être apportées pour éviter la détérioration avancée et précoce des crayons de combustibles

• Le problème des vibrations reste à solutionner sur un équipement essentiel du circuit primaire

• Ces derniers ajustements d’ampleur pourraient avoir un impact sur le calendrier de déploiement des paires de réacteurs

• L’augmentation de puissance nominale engrange plus que proportionnellement divers problèmes mal anticipés dans les modélisations

• EDF travaille à un EPR de moindre puissance pour s’éviter des déboires structurels

• Devant fonctionner jusqu’en 2100, les EPR2 ne bénéficient d’aucune évolution technologique marquée susceptible de répondre aux contraintes du changement climatique

// En Bref //

Le traumatisme de l’EPR tout puissant

 

Ce projet franco-allemand devenu franco-français est une aventure ponctuée de péripéties dont se serait préservées EDF. Les (nombreuses) critiques du rapport Folz auront fini de persuader chacun, pro et anti, de la catastrophe industrielle qu’aura été et reste l’EPR. Avant tout, au regard de cette expérience, la gestion du projet EPR2 sera revisitée sur cette base pour la faciliter : les entreprises sous-traitantes seront drivées scrupuleusement, le suivi des interventions des prestataires est projeté comme cette fois intransigeant et le pilotage de toute cette orchestration est promise irréprochable. C’est dire le laxisme qui aura présidé à la dépense de milliards d’euros sur plus d’une dizaine d’années.

(pilotage fin du projet EPR2)

Et il vaut mieux que tout cela soit du passé, car le gouvernement entend voir son programme de nouveau nucléaire ne souffrir aucune difficulté afin que les six paires d’EPR2 soutiennent ‘dans les meilleurs délais’ (pas avant 2035 au bas mot) la production d’électricité. Dans ce même élan, porte espoir en la perspective de contrats internationaux, à confirmer ou à venir.

Pour mettre en service cette première paire de centrales nucléaires de type EPR2 entre 2035-2037 promise à Penly, EDF et les pouvoirs publics se sont lancé dans une course contre la montre, car le calendrier est rendu serré pour satisfaire à la pose du premier béton de la dalle sous le mandat de Macron. Mais, subséquemment, les recrutements sont devenus un défi à eux seuls par leur quantité anticipée.

Le niveau de compétences des ouvriers à recruter est un critère que la filière ne peut plus se permettre de mal jauger. La chose n’est pas aisée, en termes de qualifications actuellement disponibles sur le marché ou de formations à entamer pour atteindre le chiffre conséquent de 100 000 recrutements d’ici 2033. Le secteur est tellement en tension que des soudeurs étrangers sont d’ores et déjà recrutés pour finaliser les réparations de multiples tuyauteries concernées par une corrosion imprévue. Et l’autre chantier vitrine internationale lui-même se voit discréditer un peu plus, quelques faux soudeurs s’y étant faufilé, au détriment d’EDF.

Outre les cahiers des charges à suivre méticuleusement, les opérations finales que sont les soudures seront cette fois attendues irréprochables pour être considérées dans le périmètre exigeant d’exclusion de rupture.

Ne pas mollir sur les soudures

 

La délivrance du décret d’autorisation de création et du permis de construire du réacteur EPR de Flamanville 3 (FLA3) toujours en construction date de 2007. Les choses n’ont été que déconvenues et désillusions depuis plus de 15 ans, par comparaison avec le projet exhibé comme vitrine technologique. Dans son rapport annuel (2022), l’ASN revient sur les derniers épisodes, ce qui n’est pas superflu tant ils se sont succédé :

  […] Outre les actions qui se poursuivent dans le cadre de l’instruction du dossier de mise en service, EDF devra notamment s’assurer de l’achèvement de l’installation afin de démontrer sa conformité et de la suffisance de sa préparation à l’exploitation du réacteur. En 2022, […] EDF a également poursuivi l’analyse et la résorption d’écarts, notamment ceux affectant les soudures des circuits secondaires principaux (CSP), trois piquages du circuit primaire principal, ainsi que le retrait de colle ayant un effet colmatant sur les filtres du système d’injection de sécurité […]. Outre les principaux écarts en cours de résorption identifiés, l’ASN a constaté que de nombreuses activités restaient à réaliser pour la finalisation de l’aménagement des installations (notamment le traitement des autres écarts, certains essais de démarrage, plusieurs modifications de matériels, ainsi que des activités de finition). […] L’ASN […] a attiré la vigilance d’EDF sur le fait qu’un travail important restait à mener préalablement à la mise en service du réacteur afin d’apporter la démonstration de la conformité de l’installation au dossier de mise en service. […] Les soudures des tuyauteries secondaires principales du réacteur EPR de Flamanville nécessitent d’importantes réparations. La majorité de ces soudures sont situées sur les tuyauteries de vapeur principales et font l’objet d’une démarche dite ‘d’exclusion de rupture’ [soit des propriétés mécaniques et un niveau de qualité de fabrication particulièrement élevés, ndlr]. Huit de ces soudures sont situées au niveau de l’espace entre les deux parois de l’enceinte de confinement du bâtiment du réacteur. Les conditions d’accès difficiles ont nécessité le développement de moyens particuliers d’intervention et la qualification de procédés spécifiques de soudage, de contrôle et de traitement thermique. […] Ces soudures sont conformes au référentiel d’exclusion de rupture. La majorité des autres soudures des tuyauteries de vapeur principales à réparer, une cinquantaine, est située dans un environnement ne présentant pas de difficulté d’accès. […] En parallèle, EDF a analysé la qualité des autres soudures, en particulier celles des tuyauteries d’eau alimentaire des [générateurs de vapeur]. Ce travail a conduit EDF à décider de réparer une dizaine de soudures supplémentaires [de façon appropriée selon l’ASN].

Les soudures sont parmi les dernières tâches névralgiques de tels monuments industriels. Leur perfection doit leur permettre de résister à des hautes pressions et hautes températures, cependant que les tuyauteries subissent les effets corrodants d’une multitude de produits et réactions chimiques (bore…). Un contexte multifactoriel qui explique quelque corrosion avancée et précipitée.

Les derniers (ultimes ?) problèmes les plus sérieux, en cours de résolution, relèvent de la capacité à façonner des soudures qui répondent au cahier des charges mais surtout aux fidèles et exigeantes règles de l’art. Satanées soudures, qui auront été une bonne partie de la cause des derniers retards, jouant de l’accumulation et œuvrant au report de la mise en service de FLA3. Dernièrement, ce ne sont pas moins de quelque 150 soudures ‘complexes’, au sein du circuit secondaire principal du réacteur, qui doivent être révisées selon des procédures de traitement spécifiques : la non-conformité de comportement de matériels sensibles et affectés par de trop fortes températures doit être traité par un procédé thermique de détensionnement (TTD) afin de les remettre à niveau (un TTD est nécessaire dans le cadre d’une activité de soudage sur un acier carbone pour relâcher la contrainte sur les installations ).

Une intervention qualifiée de complexe à cause de son accès malaisant, de son raccord à un équipement important (vanne ou générateur de vapeur) et du très haut niveau de qualité attendu (cette intervention nécessite une parfaite maîtrise des conditions de chauffe à plus de 600°C afin de se prémunir de toute dégradation des matériels concernés et adjacents).

Chaque cas complexe est unique, demande un plan de chauffe spécifique, la réalisation d’un travail documentaire conséquent pour poser et fixer au millimètre près les thermocouples de part et d’autre de la soudure, assurer les gradients de montée et de descente en température… Bref, des hautes compétence et spécialité. Autant que pour la confection initiale, mais une reprise double les difficultés d’action.

L’ASN n’en estime pas moins que le traitement par EDF de ces écarts est approprié, notamment concernant lesdites soudures (des CSP), apportant une confiance dans l’atteinte d’un haut niveau de qualité de réalisation de ces soudures, ce qui permet ainsi (toujours selon l’ASN) de se conformer aux exigences du référentiel d’exclusion de rupture. Pour certaines soudures, les choses sont encore plus complexes et laissent paraitre quelque curiosité, non sans interroger chacun sur la définition encadrant ledit ‘haut niveau de qualité’…

Nous savions que des vibrations d’une tuyauterie du circuit primaire avaient été gérées en adjoignant un système amovible de ressorts, solution visant à l’amortissement et validée par l’IRSN. Le problème des secousses persiste (lors des essais) et le fonctionnement normal du réacteur (portant la température du circuit primaire à 300°C) devrait les maximiser. Malgré l’importance de ces vibrations suffisantes pour provoquer un accident grave selon l’ASN, tout cela sera suivi tel quel et inspecté forcément plus que nécessaire afin d’assurer que l’EPR soit mis en fonction selon le dernier calendrier retenu.

(rappel d’une solution utilisée pour gérer des vibrations dans l’EPR / source : EDF)

De nouveau, il est question d’adjonctions de matériels sur des équipements neufs pour palier une malfaçon. Cette fois, l’IRSN aura validé l’installation de colliers de maintien sur des soudures de piquages (dites ‘set-in’) au niveau de certaines soudures du circuit primaire principal du réacteur, rien de moins. Le piquage représente une partie de tuyauterie raccordée à une autre (ou un récipient), une jonction soudée quoi. Les trois piquages concernés par l’écart raccordent des tuyauteries de petits diamètres (environ 100 mm) aux tuyauteries primaires principales de diamètre plus important (environ 780 mm).

(source : ASN)

La cause ? Un diamètre des soudures d’implantation significativement plus important que celui des tuyauteries associées. Ce qui se révèle une nouvelle faute intentionnellement cachée par EDF : l’exploitant n’était pas sans ignorer que cette évolution de conception des diamètres de soudure largement supérieurs à ceux pris en compte via le cahier d’ingénierie validé par l’ASN modifiait forcément les études de sûreté et évaluations en cas d’accident (rupture du circuit…). Résultats ? Les soudures de trois piquages réalisées en 2011 se sont trouvées déficientes, pouvant conduire à une brèche maximale induite par une rupture des soudures (une brèche plus de deux fois supérieure à celle envisagée dans le rapport de sûreté). La sécurité du dispositif était totalement compromise. Un accident grave pouvait survenir en cas de problème majeur.

Cet écart de conception, événement significatif dans le jargon technique, est connu d’EDF depuis 2013 mais n’a pas pu être résolu originellement. Devant ce nouveau fait accompli, l’ASN a donc dû se résoudre à accepter la stratégie de traitement finalement retenue.

Comme dans le cas des ressorts (visés plus haut), il n’était pas question de réparer les soudures, encore moins de remplacer purement et simplement les tronçons défaillants, ces solutions étant source de nouveau retard important du chantier. L’adjonction de ce nouveau gadget a été proposée, garantissant le ‘respect des exigences de sûreté prévues à la conception en cas de rupture’, selon l’ASN. Non prévu originellement, ce dispositif mécanique ajouté sur un modèle de réacteur attendu comme performant et exigeant, avant même sa mise en route, répondra donc aux mêmes attentes de haute technicité… La situation qui en résulterait serait alors ‘couverte par les études de sûreté actuelles du réacteur’, selon les termes de l’ASN en 2021. Comprenez que l’incident resterait sous contrôle.

EDF a retenu la mise en place d’un système de bridage. Soit en fait un collier de maintien disposé pour limiter l’aire de brèche en cas de rupture de la soudure d’implantation. Cette technique n’a jamais été testée en condition de fonctionnement mais la solution mécanique aura satisfait à l’inspection, l’ultime assurance résidant dans la fréquence des vérifications internes pour viser leur tenue, leur niveau de détérioration…

Ces colliers, comme les ressorts, seront démontés et remontés (au moins pendant les visites décennales) afin d’en vérifier la tenue et l’état des soudures cachées, voire remplacés si besoin durant toutes ces dizaines d’années de fonctionnement.

  Or, les conditions d’exploitation à chaud auxquelles seront soumis les colliers de maintien peuvent impliquer des dilatations différentielles et ainsi une interférence entre ses différentes pièces ou entre ces dernières et leur environnement proche, note l’IRSN

Il suffit alors, toujours selon l’IRSN, de vérifier avant la mise en service voire pendant la phase d’exploitation que tout se déroule bien, comme prévu selon les modélisations. Les simulations sont décidément un référentiel indéboulonnable, même si quelques exemples récents ne manquent pas de faire démonstration pour le coup d’erreurs issues de mauvais calculs.

Mais d’ailleurs, cette masse en plus sur la tuyauterie a-t-elle été prise en compte, y compris les aspects vibratoires qui pourraient en découler ?, se demande le GSIEN. Ces questions risquent de ne trouver réponse puisque ces éléments ont été également classés en exclusion de rupture : des éléments nouveaux et imprévus lors de la conception semblent donc répondre au plus haut niveau de confection et d’exigence possibles pour assurer un niveau ‘hautement improbable de rupture’ grâce à de ‘hautes qualités de fabrication’. Cet épisode est un copié-collé des défauts antérieurs et de leur gestion administrative et réglementaire en termes de sûreté nucléaire.

(source : EDF)

EDF sait qu’aucune de ce genre de difficultés ne doit se renouveler dans le cadre du nouveau programme nucléaire, que les erreurs de finition doivent rester inexistantes sur le parc à venir. EDF devra donc veiller à bien recruter. Et puisqu’il est question de tirer profit des expériences passées, selon la formule publique répétée, l’exploitant devra avant tout s’assurer que les pièces dont les réacteurs seront dotés  répondent aux cahiers des charges et que les certificats de conformité ne soient pas falsifiés. Mauvais souvenir, toujours en cours.

Fermer le couvercle de la mésaventure EPR

 

Oui, les EPR2 devront éviter de s’embourber dans la gestion d’équipements mal usinés. Mais est-il encore temps d’en vérifier l’état ? Certaines commandes et la confection de nombreuses pièces ont été passées dès 2021, bien avant d’ailleurs la relance officielle et les débats publics supposés la valider. L’ASN et l’IRSN semblent vouloir éviter d’être informés en dernier ressort et préférer un suivi plus drastique.

Pendant ce temps, sur ce thème particulier, l’épisode de la cuve de l’EPR de Flamanville a marqué les esprits et continue de faire couler de l’encre, à défaut pour l’instant de faire circuler une eau borée sous pression…

Pour tenir les délais, de plus en plus réduits pour la mise en fonction de FLA3, ce sont les équipes qui sont portées à ébullition. En 2022, les travaux d’achèvement de l’installation se sont poursuivis, les modifications sur certains équipements ont été intégrées. Mais, sur demande de l’ASN, pour traiter les 150 soudures convenablement, EDF a dû se résoudre à un nouveau report de la mise en service (comprenant le chargement du combustible et le démarrage décalés au printemps 2024, alourdissant de 500 nouveaux millions d’euros la facture finale soit dit en passant).

Et ce nouveau délai (des essais et des qualifications des soudures refaites doivent être menés à nouveau) impacte administrativement l’exploitant. Oui, car dans un dernier temps le couvercle de la cuve du réacteur (atteint de malfaçons telles les ségrégations de carbone) devait intervenir avant la fin de l’année 2024. Mais ce nouveau calendrier supposerait alors une mise à l’arrêt quelques semaines seulement après la mise en service du réacteur pour procéder au remplacement impondérable. EDF souhaitait donc une dérogation à la décision de l’ASN. Nouvel objectif ? Autoriser l’utilisation du couvercle de la cuve jusqu’en 2025. A minima. De quoi obliger l’ASN à réviser sa décision, comme souvent devant les faits accomplis par EDF.

Rappel desdites formalités administratives déjà opérées : la mise en service et l’utilisation de la cuve du réacteur EPR avaient été reportées en raison d’une anomalie de fabrication des calottes du fond et de son couvercle afin d’autoriser l’utilisation du couvercle actuel défectueux jusqu’au 31 décembre 2024 (la mise en service était prévue en octobre 2019 à l’époque). A l’évidence, le problème du fond de cuve, tout autant défectueux que le couvercle, ne fait plus partie des discussions : seul le couvercle restera ciblé par l’autorité. Sans doute car le fond de cuve est encore plus irremplaçable une fois le réacteur entré en fonction que ne l’est déjà théoriquement le couvercle. Si bien que le fond restera défectueux durant toute la durée de service (60 ans ?), malgré ses fragilités avérées (le taux de carbone le rend plus cassant) et stimulées sous l’exposition des contraintes de fonctionnement.

La livraison du couvercle de remplacement est donc apparemment prévue pour septembre/octobre 2024, contrairement aux préconisations de l’ASN. La demande de report de la date limite d’utilisation du couvercle actuel est émise afin que le réacteur puisse fonctionner durant un cycle complet, sans interruption ; le changement du couvercle serait opérable mi/fin 2025 ou début 2026 (le chargement du combustible est désormais programmé pour le premier trimestre 2024, la production vers le réseau électrique français mi-2024 ; il faut compter 15 à 18 mois de cycle, induisant la phase d’essais). Notons que l’ASN a pris soin à cette fin de consulter le public avant d’entériner la décision industriellement vitale qui se serait imposée.

Les conséquences d’une telle décision ne sont pas anodines : ce remplacement du couvercle après la mise en service du réacteur conduira à un supplément de dose collective (estimé à 200 H.mSv). Et, subsidiairement, le couvercle deviendra un déchet radioactif (au lieu d’être éligible à un recyclage si le remplacement était intervenu en amont de la mise en service).

(version publique du document à diffusion limitée )

Cette ‘demande de modification de l’autorisation relative à la mise en service et à
l’utilisation de la cuve destinée à l’EPR de la centrale nucléaire de Flamanville (INB n• 167)’ a fait l’objet d’une instruction de l’ASN sollicitée par Framatome (en lien avec l’exploitant EDF) en décembre 2022. L’idée est d’attendre la fin du premier cycle de fonctionnement (arrêt VC 1) : l’exploitant avance les conséquences disproportionnées que ce remplacement du couvercle avant la fin du premier cycle entraînerait au regard des considérations techniques et économiques. Quant aux avantages de l’opérer en amont de la mise en service, il n’en est point question.

(calendrier / source : HCSTIN)

L’objectif primordial d’EDF est de mettre en service dans les meilleurs délais l’EPR, l’exploitant engageant sa crédibilité. Plus trivialement, changer le couvercle pendant l’exploitation permet de faire passer les coûts sur ladite exploitation (maintenance de la cuve) plutôt que d’accumuler une nouvelle ligne de dépassement sur le budget de construction. Bref, EDF veut arrêter les frais, au moins d’un point de vue de pure illusion d’optique.

Framatome a alors trouvé les ‘éléments de justification permettent de démontrer notamment que les risques sont suffisamment prévenus ou limités ainsi que l’analyse des conséquences réelles et potentielles’. Malheureusement, les curieux citoyens ne sauront pas grand-chose de ces justifications de la ténacité suffisante des calottes de fond et du couvercle de la cuve car elles ont été à grands traits caviardées pour des raisons industrielles et commerciales, cela va de soi.

Cette curiosité ne sera pas plus exaucée puisque la demande d’expertise indépendante a été repoussée par la Commission locale d’information de Flamanville. Son président, nommé par le département, n’aura jamais vraiment joué le rôle dévolu à cette instance décidément souvent critiquée, comme tant d’autres.

Si le public veut satisfaire son indiscrétion, vérifier l’état détaillé d’un réacteur flambant neuf doté d’une cuve ne répondant pas aux exigences, parcouru de vibrations sur quelques tuyauteries… il pourra toujours plonger dans le dossier de près de 22 000 pages qui va être soumis à l’ASN. Un dossier dense de rapport de sûreté, règles générales d’exploitation, plan d’urgence interne, mise à jour de l’étude d’impact, étude de maîtrise des risques, plan de démantèlement, mémoire de l’Autorité environnementale (critique sur les options remises en cause à mesure de la construction et non développées, sur le type de combustible utilisé dont une partie a été modifiée après les incidents survenus sur le réacteur de Taïshan …).

Fondamentalement, les EPR2 peuvent éviter tels déboires : il suffit que les équipements et les soudures soient confectionnés dans les règles de l’art. Mais, peut-être plus gravement, l’EPR et à leur suite les EPR2 de configuration prévue comme identique (lignes de tuyauteries…) pourraient être frappés d’un défaut de conception plus sévère, structurel : un défaut à l’origine de vibrations anormales conduisant à un endommagement inédit du combustible nucléaire au sein même de la cuve. Si les retours d’expérience doivent servir à quelque modification, il semble que cela soit au moins à la résolution de ce problème vital.

Quelques traits de famille ataviques à craindre

 

L’EPR 2 doit dans les prochains mois passer de la phase de ‘basic design’ à celle de ‘detailed design’, donc passer de la phase de conception de base (configuration, dimensions et structure de l’installation) à celle des plans enfin détaillés. Les choses vont devenir sérieuses, à tel point que plus d’une soixantaine d’appels d’offres ont déjà été lancés pour venir compléter la trentaine de contrats déjà signés depuis 2020.

La question première est celle de savoir si la cuve sera de même design que celle des EPR. Tout semble y mener, une nouvelle configuration engendrant des impacts calendaires trop conséquents (calculs et simulations, essais sur maquette… le tout entrecoupé de validations chronophages) pour prétendre rendre copies des paires. Pourtant, depuis la mise en fonctionnement de certaines unités à l’internationale, un fait incidentel s’est révélé de façon probante : des vibrations affectant les crayons combustibles et les détériorant.

Le type d’incident ayant conduit justement à l’arrêt du réacteur numéro un de la centrale nucléaire de Taishan le 30 juillet 2021. De l’avis de l’ASN, ce genre d’incident se produirait plusieurs fois par an sur des réacteurs français. En gros, chaque année, quelques réacteurs présenteraient des ‘assemblages de combustible en suspicion de défaut’, occasionnant des fuites radioactives sur les gaines métalliques des crayons (les crayons contiennent les pastilles de combustible assemblées). Une fuite ayant déjà fait l’objet de documentations, affectant ni plus ni moins tout de même la ‘première barrière de confinement’, premier élément supposé justifier qu’aucun danger radioactif environnemental n’existe sur le parc nucléaire. Ce défaut d’étanchéité a été soupçonné en effet dès octobre 2020, encore une fois bien en amont de la mise en service.

Les conséquences directes sont la détection d’un niveau de radioactivité plutôt faible (augmentation anormale de l’activité en gaz rares du circuit primaire). Si la situation était si pendante au fonctionnement d’un réacteur, comment considérer que le seuil de 150 gigabecquerel de gaz rares radioactifs par tonne ait été décelé dans le circuit primaire de l’EPR de Taishan ? Des gaines potentiellement défectueuses, dont la fabrication est attendue maitrisée et contrôlée dans l’usine de Romans-sur-Isère (Drôme), ne sauraient expliquer à elles-seules cette situation plus exceptionnelle.

En fait, ces fuites seraient consécutives à une détérioration des crayons occasionnée par des oscillations. Ce qui est un peu plus qu’un simple incident déjà répertorié. Mais d’où viendraient ses oscillations ? A quoi seraient-elles dues ?

C’est un flot, apparemment mal canalisé et maitrisé par la configuration de la cuve, qui provoquerait une vibration latérale excessive des assemblages de combustibles, surtout ceux situés en périphérie, contre l’enveloppe du cœur (la vibration des assemblages produit aussi, subséquemment une variation de la puissance comme l’explique l’IRSN). En marge, cette anomalie aura pour conséquence d’engendrer une augmentation de la quantité de déchets résultant de l’exploitation du réacteur, cependant que l’EPR était censé en produire moins que les autres modèles en service actuellement. L’IRSN estime en effet ‘que, en l’état des connaissances, des difficultés de modélisation de la distribution radiale de puissance de FLA3 pour les cycles ultérieurs au premier cycle ne peuvent pas être exclues’.

Les simulations numériques et les mesures sur maquettes avaient bien caractérisé la spécificité des écoulements dans le fond de cuve, en particulier la recirculation constatée en périphérie, entre la paroi de la cuve et le répartiteur de débit. Mais les vibrations induites sur les assemblages combustibles auront été insuffisamment considérées.

  Ces oscillations résultent de fluctuations de débit en entrée du cœur, qui sont la conséquence d’une anomalie de conception du plenum inférieur des cuves des réacteurs EPR. [… Diminution de la raideur latérale des assemblages et déformation latérale des assemblages] au cours de l’irradiation ont un impact significatif sur l’ampleur des usures des plaquettes de grilles. [… Les pertes d’étanchéité] sont dues à une usure par vibration des crayons de combustible au niveau des ressorts de grille rompus par un phénomène de corrosion sous contrainte (CSC) et les sollicitations hydrauliques en partie basse des assemblages favorisent la perte d’étanchéité des crayons. […] Enfin, le phénomène de corrosion accélérée et de desquamation des gaines [par l’effet des fluctuations de flux neutronique (FFN), ndlr …], observé récemment sur certains réacteurs des différents paliers du parc nucléaire français, a également été constaté en partie haute des assemblages.

Ces séquences de rapprochement/écartement des crayons, avec une fréquence de 2 Hertz, traduisent de fortes vibrations et représenteraient plus de 90 millions d’oscillations pendant un cycle de 18 mois.

  L’hydraulique de la cuve de l’EPR se distingue de celle des autres réacteurs exploités actuellement en France par l’absence de pénétrations de fond de cuve pour le passage de l’instrumentation nucléaire. L’absence de ces pénétrations modifiant les effets de brassage, la répartition des flux hydrauliques est réalisée sur l’EPR par un dispositif particulier installé au fond de la cuve [un réflecteur lourd constitué de différentes couches d’acier, ndlr]. Ce dispositif est amovible et pourrait être remplacé si nécessaire. Les essais réalisés sur maquette et les simulations numériques réalisées dans le cadre de la démonstration de sûreté n’ont pas mis en évidence de phénomènes hydrauliques pouvant conduire à un percement du combustible , selon l’ASN

Pour contrebalancer cela, EDF semble vouloir utiliser des grilles de maintien différentes, réviser la répartition des crayons et procéder au renforcement des assemblages de combustible situés en périphérie du cœur. Ces correctifs, d’importance au regard de la conception originelle (pose d’un réflecteur en fond de cuve pour modifier les écoulements et circulations par exemple) vont engendrer de nouveaux tests, des essais physiques à réaliser pour identifier au plus tôt d’éventuelles lacunes de modélisation du cœur, entrainant un nouveau délai avant la mise en service.

Malgré tout, le risque de rupture de ressorts de grilles de certains assemblages n’est pas exclu, des examens visuels seront nécessaires pour toute inspection vertueuse.

L’ASN pourra regretter que le problème et ces anomalies, détectées dès les essais sur maquette de l’EPR, n’aient pas été correctement remontés, comme le confirme l’IRSN. Et l’imprécision des représentations mathématiques, des modèles numériques développés par EDF et Framatome, comme un nouvel exemple, peut continuer d’inquiéter.

  Ces fluctuations de débit avaient été observées lors des essais de qualification du fond de cuve réalisés sur une installation expérimentale. Toutefois les conséquences de ces fluctuations sur les assemblages de combustible et le flux neutronique n’avaient pas été anticipées.

Les essais n’auront pas empêché les avaries et rien n’aura été entrepris pour éviter les mises en fonctionnement des EPR de Taishan et de Finlande en toute connaissance de ce risque. Les essais HDRAVIB menés sur maquettes ont été validés via un modèle numérique, manifestement inefficient. Les essais MAGALY n’auront révélé aucun comportement vibratoire pouvant impacter les grappes et les crayons de combustibles. Seuls les essais AURORE et FANI auront connu quelques difficultés qui auraient pu empêcher l’exploitation. Quant aux essais JULIETTE et ROMEO, ils auront pêché d’avoir été menés sur des demi-maquettes (équipements internes dissociés entre les parties supérieure et inférieure), ne permettant de refléter correctement les conditions de fonctionnement en quasi situations réelles (les maquettes ne sont pas à taille réelle, elles sont supposées apporter des éléments factuels et compléter les modélisations).

Le design de l’EPR2, en cours de finalisation, rectifiera-t-il ces défauts ? Rien n’est moins sûr selon quelques ingénieurs contactés. L’EPR2 est vendu aux citoyens comme étant un modèle optimisé de l’EPR, bénéficiant d’un énorme retour d’expérience sur les plans constructifs, organisationnel, managérial, etc. Mais c’est plutôt la standardisation qui est recherchée, des catalogues de pièces qui se retrouvent réduits quantitativement, un design voulu simplifié (la double enceinte est supprimée cependant qu’elle devait assurer un avantage de sûreté)… Soit des aspects économiques, assurément. Mais technologiquement ?

 

Mise à jour (novembre 2023) : au dépend de Bouygues, Vinci et Razel-Bec, Eiffage vient de bénéficier de l’appel d’offre pour construire les bâtiments principaux des deux tranches de réacteurs de type EPR2 qui doivent être mis en service à Penly (Normandie) vers 2035-2037. Un contrat prédit à au moins un quart de la facture totale des deux réacteurs, estimée à 17 milliards d’euros.

Pourtant expérimenté aux côtés d’EDF de longue date, Bouygues paye-t-il les déboires de la construction et les délais à rallonges de l’EPR de Flamanville et des deux tranches EPR britanniques d’Hinkley Point ? Malfaçons des bétons, plusieurs centaines des travailleurs dissimulés…

Les travaux de terrassement de la plateforme pourraient démarrer durant l’été 2024. Mais une main d’œuvre qualifiée doit être trouvée rapidement dans ce secteur déjà en tension, cependant que plus de 150 000 tonnes de ferraillage doivent être confectionnées dans des délais très contraints (50 000 tonnes d’armatures étaient nécessaires pour l’EPR de Flamanville).

Une fois les bâtiments construits, qu’y mettre dedans ? EDF travaille encore sur les designs. Et quelques points de sûreté interrogent déjà l’IRSN. Le rapport préliminaire de sûreté est d’abord qualifié d’incomplet, ‘quelques éléments étant trop succincts pour démontrer la tenue de certains locaux, des paramètres manquant d’exigence, voire se trouvant ‘absents’.

Relevons les risques d’explosion. Ils sont craints en cas de fuite dans un local. Par exemple pour les systèmes véhiculant de l’hydrogène identifiés ‘à risque’ (hors du bâtiment du réacteur), si EDF étudie bien dans le cadre de la démonstration de sûreté les risques d’explosion consécutifs à des fuites au niveau des singularités (parties démontables, connexions non soudées, joints à brides, etc.), seules des hypothèses ‘réalistes adaptées’ sont retenues pour les fuites sur les portions courantes de tuyauteries (fuites hors singularités incluant les assemblages soudés).

L’IRSN tique et précise que les conséquences de fuites doivent justement être étudiées au titre de la démonstration de sûreté.  A cette fin, certains événements présentant une complexité ou une sévérité particulière doivent faire l’objet d’analyses adaptées, relevant du domaine de conception étendu en vigueur dans le cadre de l’étude des accidents. Et justement, en cette étape, l’IRSN juge que les éléments transmis par EDF ‘ne sont pas de nature à répondre à cette prescription’ et recommande la réalisation stricte d’une analyse des risques d’explosion liés à des fuites sur les portions courantes de tuyauteries des circuits hydrogénés.

Pour simplifier ses calculs et ses contraintes de conception, EDF évalue la concentration maximale en hydrogène en cas de fuite, en supposant une dilution homogène de ce gaz dans le local. Si ce carburant gazeux se disperse plus rapidement que tout autre, il reste extrêmement inflammable et explosif. Du point de vue d’EDF, l’homogénéité de la dilution de l’hydrogène dans les locaux reste privilégiée, même toute inondation et/ou incendie interne n’est pas retenue comme effet susceptible d’être induits par une explosion : EDF retient l’hypothèse que les ondes de pression se propagent, d’un local à un autre, uniquement par des ouvertures dans les parois présentant une surface supérieure ou égale à 1 mètres carré, certains équipements étant intrinsèquement résistants aux effets d’une explosion pour l’exploitant. Pratique mais risqué selon l’IRSN de retenir comme hypothèse que les secteurs de feu de sûreté restent intègres et stables en cas d’explosion.

[…] Les éléments relatifs à la maîtrise du risque d’explosion interne figurant dans le RPrS [rapport préliminaire de sûreté, ndlr] à ce stade d’avancement du projet EPR2 sont à compléter. Si de nombreux compléments ont été annoncés par EDF en cours d’expertise, l’IRSN attire l’attention sur le fait qu’un grand nombre de ces compléments ne seront disponibles qu’à l’échéance de fin 2024. Cette échéance est jugée trop tardive par l’IRSN. Ainsi, il conviendra que ces compléments […] soient pris en compte dans des délais compatibles avec l’instruction de la demande d’autorisation de création de l’EPR2, appuie l’IRSN

EDF doit donc compléter et accélérer ses études pour l’instruction de la demande d’autorisation de création de l’EPR2. Ce type d’exigences de sûreté à appliquer aux ouvrages ou parties d’ouvrages de génie civil et les dispositions de sectorisation incendie visant à démontrer la tenue en cas d’explosion d’origine interne ne sont pas à prendre à la légère selon l’IRSN.

Fin d’actualisation (novembre 2023)

Outre le suivi et l’évaluation de la conformité de cuves et de générateurs de vapeur, dans l’objectif d’éviter des écarts de confection, c’est bien la conception de la cuve qui est directement mise en cause et l’objet de toutes les inquiétudes.

Au regard de ces défauts possibles de confection, de ces anomalies structurelles confirmées, de cette maitrise lacunaire, tout cela ne risquerait-il pas de remettre en cause la démonstration de sûreté ?

Mais il y aurait un critère supérieur. L’intérêt des EPR2 est souligné dans le contexte de changement climatique et ce modèle de réacteur doit répondre aux évolutions du climat. Vraiment ?

Une génération pas adaptée à son temps

 

L’implantation des EPR2 va obligatoirement devoir tenir compte des agressions externes potentielles. Une liste de paramètres appelée à une prégnance accrue pour cause de changement climatique : températures, débits moyens et minimaux des cours d’eau, niveau de la mer… Des aléas pas anodins. Dans un proche avenir, la question de la ressource en eau sera particulièrement centrale pour maintenir le refroidissement des réacteurs à circuit ouvert et l’enjeu des rejets thermiques important tant ils pourraient contraindre la production nucléaire.

Le cas spécifique de Tricastin est abordé en ce moment par l’ASN car ce site pourrait être retenu pour accueillir une paire de réacteurs. Concernant les agressions externes, la conception d’une paire de réacteurs EPR2 sur ce site déjà bien pourvu en réacteurs nucléaires interroge l’ASN. Récemment, la zone a été l’objet d’une occurrence du séisme du Teil (Ardèche, novembre 2019). Si bien qu’il s’agit de caractériser méticuleusement les failles proches du site existant du Tricastin. Aussi, une augmentation de l’aléa sismique de référence du site au-delà des hypothèses génériques considérées pour la conception du projet EPR2 ne peut être écartée, ce qui pourrait supposer de maximiser les solutions antisismiques, de reconsidérer les simulations initiales.

Une campagne de reconnaissances géotechniques devra être réalisée en amont d’une demande d’autorisation de création (DAC). En sus, la prise en compte de l’aléa de ‘rupture de surface’, paramètre nouvellement intégré, et les modalités d’approche des risques ne sont pas rassurants : EDF souhaite mener des études du comportement sismique de l’installation en supposant que le sol de fondation est homogène. L’hypothèse est simplificatrice selon l’IRSN puisque ce sol présente au contraire plusieurs couches de caractéristiques mécaniques différentes.

Mais ce n’est pas tout. L’IRSN relève que ‘l’analyse d’EDF ne couvre pas l’ensemble des agressions qu’il a indiqué prendre en compte dans le dossier d’options de sûreté (DOS) de l’EPR Nouveau Modèle (EPR NM), notamment les températures froides d’eau de la source froide principale de sûreté pour ce qui concerne les agressions de référence et extrêmes’ et non plus les températures chaudes d’eau au niveau de référence et au niveau extrême pour l’agression ‘canicule’. Cela a son importance pour la sûreté du réacteur. Enfin, l’éventualité d’une inondation externe en lien avec la digue du canal de Donzère-Mondragon n’est pas vraiment scénarisée par EDF.

Bref, l’implantation de réacteurs EPR2 sur le site du Tricastin est loin d’être objectivement validée.

(maquette 3D de l’EPR2)

Plus généralement, l’impact du changement climatique doit être formellement considéré, dans les détails. Les canicules doivent par exemple être projetées. A ce titre, l’IRSN considère que la marge de 2 °C appliquée à une température centennale n’est pas nécessairement suffisante pour tenir compte des incertitudes liées à l’évaluation des températures. Pire, la température générique retenue pour la conception du projet EPR2 estimée en 2100 présente une marge négligeable avec la température de référence (référence mondiale WENRA) : la pertinence de la valeur générique de 48°C retenue pour la conception du projet EPR2 questionne car EDF ne présente pas de ‘niveau extrême’ associé aux températures élevées de l’air.

La Cour des comptes (CC) s’est également penchée sur les impacts des changements climatiques sur le parc nucléaire. Pour la Cour, ce parc doit se préparer à faire face à des conséquences prégnantes. Notamment, les rejets thermiques peuvent voir imposer de réduire la disponibilité, voire arrêter certains réacteurs en période de faible débit et de canicule (sauf à fonctionner en régime dérogatoire comme cela se multiplie afin d’assurer un minimum de production électrique). A ce titre, EDF est consciente du problème à court terme : la température de l’eau des fleuves s’est élevée en moyenne de 0,8 °C par décennie au cours des quarante dernières années, leur débit a baissé de 5 % par décennie ; le débit moyen des fleuves devrait diminuer de 10 % à 40 %. La filière nucléaire appuie d’ailleurs pour une révision tout en assouplissements de la réglementation pour autoriser des rejets à des températures plus élevées (nous y reviendrons dans un prochain article).

Les EPR2 devraient à ce titre être orientés sur des systèmes de refroidissement sobres en eau selon la CC. Des solutions techniques permettant d’amoindrir la consommation d’eau et des technologies ‘à sec’ sont expérimentées à l’internationale. Un réacteur en particulier attire l’attention des industriels de la filière, celui de la centrale de Palo Verde situé sous des latitudes extrêmes (le refroidissement y est basé sur l’utilisation des eaux usées des villes avoisinantes).

Mais pour l’instant, malgré les avertissements, les alertes et autres projections, la Cour constate amèrement qu’EDF n’a proposé aucune innovation opérationnelle concernant les systèmes de refroidissement dans le cadre du nouveau programme nucléaire, ce qui ne facilitera pas l’implantation des EPR2. Au plus, EDF propose de réduire sa consommation d’eau en captant le panache des centrales (rappelons que 2/3 de l’énergie est perdue, évacuée pour partie dans ce panache d’eau condensée), via de nouvelles sources froides ou encore en installant un plus grand stockage des réservoirs d’effluents. Toutes solutions palliatives même pas intégrées au projet des EPR2 actuel.

Tout cela souligne s’il le fallait encore une décision politique de « relance du nucléaire » précipitée, non concertée et prise sans évaluation préalable complète des contraintes liées au changement climatique.

Ce manque de visibilité est paradoxal avec le vœu du gouvernement de présenter la construction de ces réacteurs EPR2 comme une réponse au changement climatique. Rien n’a été anticipé et l’ASN en est encore à rappeler à l’ordre l’exploitant national : elle le met en garde contre les effets cumulés potentiels liés à la présence de plusieurs sites situés le long d’un même cours d’eau, cependant que les nouveaux réacteurs seront supposés fonctionner durant au moins 60 années.

  Les conséquences du changement climatique vont affecter, et affectent déjà, à des degrés divers mais croissants, les réacteurs du parc actuel. Elles affecteront encore plus les projets de construction de nouveaux réacteurs susceptibles d’entrer en service à partir de 2035 , plussoie la Cour des comptes

La présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes est revenue sur tous ces points saillants révélés dans son rapport devant les sénateurs. La photographie de la situation est clairement explicite et sombre (encore, cette enquête ne tient pas compte des risques périphériques tels l’incendie de forêt dont le risque va s’accroitre, la submersion de routes à proximité des centrales…).

  [Le changement climatique] affectera encore plus les projets de construction de nouveaux réacteurs susceptibles d’entrée en service d’ici 2035. Comment cela se manifeste-t-il ? […] Ca affecte déjà les installations elles-mêmes et leur capacité à fonctionner de façon sûre, notamment sur la résistance des matériels, des équipements mais également la compatibilité avec des conditions de travail acceptables pour les personnels sur site. […] Ce parc actuel est très dépendant en ressources en eau car c’est le moyen de refroidir les réacteurs. […] La perspective de prolongation de la durée de vie du parc actuel jusqu’à 60 ans […] l’expose non seulement aux aléas climatiques actuels mais aussi à leur accentuation au cours des 20 à 30 prochaines années. Par comparaison, les futurs réacteurs dont la durée d’exploitation pourrait aller jusqu’à 2010, voire au-delà, seront très directement confrontés aux conséquences plus lourdes du changement climatique : une forte augmentation des températures, une fréquence accrue d’événements climatiques extrêmes, une diminution des débits moyens [accentuant les conflits d’usage] et des étiages des fleuves [réduisant la capacité de dilution des rejets] et une élévation potentiellement importante du niveau de la mer. […] Les enjeux d’adaptation sont bien identifiés, […] mais de la prise de conscience à la traduction opérationnelle, nous en sommes encore aux balbutiements. […] Depuis [2022 seulement], EDF met en œuvre un plan d’adaptation climatique modifiable tous les cinq ans [via son service climatique dédié créé en 2014]. […] Le coût estimé de cette adaptation au changement climatique demeure extrêmement modeste en termes d’investissements, EDF ne l’ayant pas évalué complètement et précisément. […] Les pertes de production demeurent limitées en moyenne annuelle, de l’ordre de 1 à 1,4%, […] mais les périodes d’indisponibilité peuvent s’avérer de plus en plus longues. […] Des études prospectives mettent en évidence une multiplication d’un facteur 3 à 4 des indisponibilités liées au réchauffement climatique à échéance de 2050, ce qui peut être significatif. […] En matière de recherche, aucune innovation technique notable n’a été mise en œuvre sur le parc existant pour limiter la consommation en eau , accable la rapporteuse.

Outre le résumé des constats, au final il est donc fait mention de l’absence d’évolution technologique marquée dans les EPR2, en particulier de système de refroidissement sobre en eau. L’hypothèse d’une fonte des calottes glaciaires provocant une hausse plus élevée du niveau de la mer n’est pas du tout retenue alors que cela pourrait peser sur le choix des sites littoraux. Des études de préfaisabilité qui prennent en compte le changement climatique ne paraissent indispensables qu’à la Cour des comptes, pas à EDF apparemment.

(extrait de l’audition au Sénat)

De toutes ces considérations et interrogations, seule la précipitation semble s’imposer, magnifiée par une loi assurant cette accélération du nucléaire (adoptée définitivement en mai 2023 et contestée par des parlementaires devant le Conseil constitutionnel) : l’objet est de faciliter les démarches de construction, de simplifier les procédures en supprimant des autorisations (comme certaines formalités liées au code de l’urbanisme ou des déclarations d’utilité publique du domaine maritime)… Il doit être permis à EDF de démarrer des travaux préparatoires sur Penly à partir de 2024, les premiers terrassements pouvant alors débuter. Sauver la face.

Côté pile, les détails n’y sont toujours pas et il va falloir rattraper le retard accumulé de milliers d’heures d’ingénierie pour rendre le plan de l’installation, le rapport préliminaire de sûreté, l’étude de maîtrise des risques, l’étude d’impact sur l’environnement et la santé, le bilan et le compte rendu du débat public… L’instruction par l’ASN de la DAC attendue pour 2024 suivra, mais la délivrance d’autorisation ne pourra se faire au mieux, malgré les délais compressés, avant 2026.

Dans la famille ‘2’, les fils mais surtout pas la mère

 

Le secteur manque de sérénité, cependant que les échéances se rapprochent. EDF, Framatome… Tous souhaitent ardemment ne pas réitérer les mésaventures de l’EPR, que cela soit d’ordre industriel ou conceptuel. Cela passe nécessairement par une gestion améliorée du projet. Promise, elle fait pourtant l’objet de critiques avant même son opérabilité. De nouveaux surcoûts et des ralentissements pourraient émerger, des délais de mise en service devoir être révisés (les projets sont annoncés entre 2035 et 2042, selon les paires de réacteurs EPR2 considérées).

Ce genre de défaillance est anticipée et avancée par la CNDP elle-même : sur le chantier de Penly, ‘supposé accueillir jusqu’à 8 000 personnes’, la Commission nationale du débat public souligne les nombreuses zones d’ombre (capacités de logement pour les employés, possibilité de trouver de la main-d’œuvre qualifiée, avenir de celle-ci une fois le chantier terminé…) et un dossier du maître d’ouvrage lacunaire (énormément de points sont laissés en suspens).

Cela doit-il rassurer ? L’exploitant sera-t-il en mesure de faire mieux que la navrante expérience de l’EPR FLA3 ?

C’est bien l’intention intrinsèque. Les exigences de fabrication doivent respecter les pointilleux cahiers des charges de cette industrie de pointe, les interventions spécialisées ne doivent pas être entachées de malfaçons à reprendre, un très haut niveau de qualité de conception et de réalisation doit être rendu… Cette excellence exigée, qui aura fait défaut sur certains composants de l’EPR de Flamanville et sur la qualification de soudures par exemple, doit seule permettre à l’ASN et l’IRSN de retenir de nouvelles démarches d’exclusion de rupture pour les gros composants du circuit primaire principal (CPP), les tuyauteries primaires principales et les tuyauteries de vapeur des circuits secondaires principaux (CSP).

Mais avant même l’assurance du niveau de qualification des ouvriers, de leur présence en nombre suffisant pour assurer tout ce programme conséquent et leur maitrise de bout en bout de ces tâches minutieuses, l’IRSN considère que les valeurs de résiliences, devant être en accord avec les normes européennes applicables, ne le sont pas. Ces valeurs de résilience, mais aussi de traction et de dureté, sont pourtant d’importance dans ces contextes de températures élevées.

Aussi, il faut désormais admettre que le nombre de problèmes n’est pas proportionnel à la puissance délivrée : la puissance de ces nouveaux réacteurs fait apparaitre de nouvelles conséquences thermo-hydrauliques. Les calculs et autres simulations montrent leurs limites en tant que facteur de validation, certaines mauvaises surprises ne se décelant qu’en cours d’exploitation : vieillissement prématuré de nombreuses pièces, corrosions sous contraintes accélérées… et en ce cas d’espèce, vibrations consécutives dans la cuve et constatées sur certaines lignes du circuit primaire.

Les capacités de production ne sont pas extensibles à moindre frais. EDF semble partager cette analyse et planche déjà sur la conception d’un réacteur EPR1200, de moindre puissance donc (équivalente à un des derniers paliers déjà mis en service en France). Ce modèle sera en grande partie fondé sur la conception et les équipements du projet de réacteur EPR2, mais sa puissance limitée pourrait éviter les turbulences dans la cuve et les incohérences vibratoires en des tuyaux.

(maquette 3D de l’EPR2)

Le gouvernement, jouant de la crédibilité politique de son nouveau programme nucléaire, ne semble pas considérer ces détails. Pour le dire plus simplement, l’ASN et l’IRSN sont les fusibles bienvenus de cette course contre la montre, portant responsabilité au-delà des seuls aspects techniques et réglementaires. Les deux organismes doivent valider in fine un projet qui court discrètement les cabinets ministériels depuis 2018 sans prendre toute la mesure des défis à relever pour être mener à termes dans les conditions optimales.

Quant à la filière nucléaire française, elle joue à nouveau sa pérennité financière via des exportations pressenties en cas de succès. Pendant ce temps, si l’exemplaire équivalent américain n’est pas mieux portant, la Chine affine ses atouts. En France, les EPR2 qui seront déployés devront répondre à de nouvelles conditions climatiques bien différentes, sans encore rassurer faute de solutions structurelles adaptées : outre les prélèvements, la question de l’eau porte aussi sur les rejets liquides ou thermiques (plus le débit du cours d’eau est faible, moins ces rejets peuvent être dilués).

Malheureusement, il n’est plus question de sereine finalisation. Faute de temps politique imparti, personne ne peut encore assurer que les conditions d’amélioration des EPR2 seront effectives (design final, adaptabilité aux conditions climatiques…).