C’est Quoi la Radioactivité ?

Il y a des subtilités qu’il faut savoir maitriser a minima pour prétendre les dépasser. Comme celle de savoir distinguer la radioactivité naturelle de l’artificielle. Nous allons donc replonger le temps d’une quinzaine de minutes dans nos cours honnis de physique de nos années lycéennes. Y retrouver la définition de la radioactivité, les notions d’activité, d’irradiation, de demi-vie… Voilà, nous vous promettons un article peu attirant mais simplifié que nous vous suggérons pourtant de parcourir pour comprendre ce dont il sera en partie question sur ce site.

Pour comprendre le nucléaire, il faut en passer par quelques rappels, un peu rébarbatifs. Trois fois rien. Ou plutôt, quatre articles tout au plus. Cet article-ci apporte quelques notions de physique nucléaire sans prétendre faire de vous des ingénieurs. Mais c’est un passage initiatique obligé. Il fait partie des bases incontournables pour prétendre plonger dans cet univers dense. Aux côtés des quelques autres en ligne ou en cours d’écriture : est-ce que les radiations sont bonnes pour les gencives ? Comment fonctionne une centrale nucléaire ? Quelle histoire des débuts de l’épopée du nucléaire civil en France ?

Tous transformés en Hulk

La matière est constituée d’atomes en très grande majorité stables, c’est-à-dire qui ne se transforment jamais. Cela sous-entend qu’il y a naturellement une partie d’atomes instables : ils sont nommés ‘atomes radioactifs’, se scindant (fission) ou se fondant (fusion) et se transformant spontanément en d’autres atomes selon des temps aléatoires différents pour chacun d’entre eux. On parle d’ailleurs pour être totalement rigoureux de transmutation (et non de désintégration).

La radioactivité est un phénomène courant de la matière. Voilà.

Dans l’espace, dans l’air, dans notre environnement (Terre et Univers inclus) et même dans notre corps, cette radioactivité est partout. On parle alors de radioactivité naturelle, due à tous ces éléments radioactifs présents. a contrario d’une radioactivité artificielle. En résumé, la désintégration est soit spontanée, soit provoquée par une réaction nucléaire.

Pourquoi parler de temps aléatoires de transformation de l’atome radioactif en un autre plus stable ? Car individuellement, nous ne pouvons savoir quand un atome se scinde ou fusionne. Mais nous savons que ces atomes radioactifs seront transformés collectivement, dans leur ensemble, pour moitié lors d’une période radioactive dite de demi-vie. Ainsi, l’uranium 235 a une demi-vie de 700 millions d’années, donc il sera transformé pour moitié sur cet énorme laps de temps (donc 50% de ces éléments radioactifs auront disparu, la matière perdant 50% de sa radioactivité). Mais elle est d’une demi-seconde pour le polonium 211, élément radioactif que les fumeurs connaissent malgré eux. Ou encore, l’iode 131 a par exemple une demi-vie de près de 8 jours ; cela signifie qu’il faut compter 10 périodes pour que l’élément concerné ait pratiquement disparu (80 jours dans le cas de l’iode 131).

La déduction est limpide comme une eau sortant d’une fontaine à radium : les noyaux radioactifs disparaissent avec le temps. Aussi, les seuls noyaux instables subsistants dans l’environnement naturel, contemporains à nous, possèdent une durée de vie très longue, de l’ordre de milliards d’années comme l’uranium et le thorium, ou bien ils sont constamment régénérés, comme le carbone 14 (C14) sous l’effet du rayonnement cosmique (nous y reviendrons, rassurez-vous).

La radioactivité expliquée à lambda

 

Lors de la désintégration radioactive d’un atome en un atome plus stable, trois types de particules sont émises et éjectées à une vitesse très importante : ce sont des rayonnements appelés alpha (α), béta (β) et gamma (γ). Cet instant unique où un atome émet un rayonnement distingue assurément un élément radioactif d’un stable ; cette propriété est utilisée par les appareils de mesure de radioactivité et les rend détectables.

La radioactivité est stricto sensu l’émission de ce rayonnement (une perte de masse de l’atome, perte sous forme d’énergie) qui existe sous trois formes ionisant la matière en la traversant (d’où le synonyme employé parfois de rayonnements ionisants) :

  • α (alpha), sont des particules lentes et lourdes parcourant peu de distance dans l’air et qu’une feuille de papier ou quelques millimètres d’eau peut arrêter ; elles interagissent fortement avec la matière mais sont aisément stoppées ; elles sont assez inoffensives tels quels. Un émetteur alpha devient dangereux lorsqu’il se fixe dans la matière vivante (un simple contact avec la peau ne suffit pas, l’épiderme étant suffisamment épais pour absorber les particules alpha dans ses couches « mortes ») comme dans le cas d’une ingestion (la radiation libère alors beaucoup d’énergie là où elle est arrêtée et irradie les cellules vivantes, y altère l’ADN voire cause de cancers… Les α sont les rayons radioactifs les plus dangereux pour la matière vivante et ceux dont il est le plus facile de se protéger ;
  • β (bêta), sont des particules beaucoup plus légères et donc plus rapides, qu’une feuille d’aluminium ou un vitre de verre de 0.5 cm peut arrêter. Ils peuvent pénétrer la peau et entrer dans l’organisme plus facilement ;
  • γ (gamma), rayonnements électromagnétiques analogues aux rayons X, sont très énergétiques. Il faut une forte épaisseur de plomb ou de béton pour les arrêter. Ils traversent la matière en étant peu atténués (passent à travers la totalité de notre corps par exemple). Ils permettent de faire des radiographies entre autres. Une grande quantité peut causer des dégâts dans l’organisme.

source : Futura Sciences

Donc la façon dont les rayonnements interagissent avec la matière permet de s’en protéger : on arrête les rayons émis par une source radioactive en interposant des écrans sur leurs parcours. Si l’écran est assez épais, l’atténuation est telle que le risque devient négligeable. C’est ainsi que quelques mètres d’eau d’une piscine d’entreposage de combustibles radioactifs des réacteurs nucléaires protègent de sources extrêmement radioactives.

La radioactivité naturelle

 

Vous l’avez déduit par vous-même : la radioactivité naturelle est aussi vieille que le monde. Elle est intrinsèque à la constitution de l’Univers aussi sûrement que les roches qui nous entourent. La radioactivité artificielle, par opposition, résulte des activités humaines, via les installations techniques (radiographies, centrales…). Nommons la première RN et la seconde RA.

La radioactivité naturelle est présente dans notre environnement, mais à des concentrations extrêmement faibles. Il est admis que les essais nucléaires militaires (1) ont fait augmenter les proportions d’éléments radioactifs dans l’atmosphère. On parle de bruit de fond radioactif.

Les isotopes qui ont subsisté depuis la formation de notre système solaire sont ceux dont la période radioactive est très longue : pour l’essentiel, l’uranium et le thorium. On trouve des traces de ces éléments radioactifs et de leurs descendants dans un roc de granite par exemple, contenant des traces d’uranium (qui émet lui-même du radon en se transmutant). Stoppés par une simple feuille de papier, il est évident que les rayons alpha produits au sein d’un bloc de granit demeurent dans la roche.

Du fait de leur durée de vie très longue, ces composés naturels ne constituent généralement pas un danger important en termes de radiotoxicité qui justifieraient des mesures de radioprotection. Ces rayonnements telluriques qu’ils émettent est d’environ 0,50 mSv (millisieverts) par an en France. Ces minerais émettent des rayonnements alpha et béta heureusement filtrés par les couches géologiques. La RN telle que mesurée est donc constituée essentiellement de rayons gamma (rayonnement analogue à celui de la lumière mais beaucoup plus énergétique).

La valeur de la radioactivité peut varier grandement dans certaines régions où la roche est très concentrée en uranium (des régions granitiques telles que la Bretagne et le Massif Central en France, régions ayant accueilli pour cette raison des activités d’extraction de mines uranifères comme dans le Limousin).

Carte de la distribution des teneurs en uranium en mg/kg de roche dans les principales unités géologiques de la France métropolitaine / source : CNRS

Parmi les descendants de l’uranium, il faut citer la présence du radon (période de 3.8 jours), gaz radioactif plus lourd que l’air. Du fait de sa volatilité, il est susceptible de migrer dans l’atmosphère depuis les roches plus ou moins poreuses et est ainsi responsable (en tant qu’émetteur alpha) à lui seul de la plus grande part de l’exposition humaine interne moyenne à la radioactivité (plus de 40 % du total). Il est alors souvent présent dans les habitations du Limousin, surtout si elles sont peu ventilées (rez-de-chaussée, maisons, caves).

Autre exemple d’élément radioactif : faiblement radioactif, le potassium 40 (d’une demi-vie de plus d’un milliard d’années) est présent dans de nombreuses roches. Emetteur béta, ses propriétés chimiques lui permettent de se retrouver dans les chaines alimentaires (corps humain compris, dans nos tissus et nos os) dans lesquelles il se fixe à des teneurs très faibles. Nous sommes donc nous-mêmes radioactifs !

Pour être un peu plus complet, notons que ces rayonnements telluriques ont une incidence sur la radioactivité des eaux (selon le caractère chimique de l’eau et du degré de solubilité des radionucléides). Globalement, les eaux minérales sont plus radioactives que les eaux de surface, et certaines eaux souterraines sont riches en radon dissous.

Autre rayonnement naturel, le flux à haute énergie en provenance essentiellement de l’espace et du Soleil auquel est soumise la Terre : les rayons cosmiques « interstellaires » (majoritairement déviés par le champ magnétique terrestre) et absorbés pour partie par l’atmosphère. Les valeurs varient en fonction de la latitude et de l’altitude (la radioactivité due aux rayons cosmiques double à peu près tous les 1500 m). Ce rayonnement ne se concentre pas dans la matière qu’il traverse et produit en permanence secondairement des radionucléides tels le carbone 14 et le tritium.

La radioactivité artificielle

 

Depuis environ un siècle, l’homme est exposé à d’autres sources de rayonnements que la radioactivité naturelle. Cette radioactivité artificielle est fortement émettrice de rayons alpha.

Globalement, la RA commence à partir de l’action humaine visant à rassembler des éléments radioactifs naturellement répartis sur la Terre en un site plus restreint voire en un produit artificiel. Ainsi, les minerais d’uranium extraits des mines et concentrés en composés compacts pour l’industrie sont assimilés à de la radioactivité artificielle. Mais c’est aussi le cas dans le domaine médical, qui utilise la radioactivité à des fins de prophylaxie ou de soins curatifs.

Parmi les applications médicales, nous pouvons citer :

  • l’imagerie médicale, qui permet de visualiser des données biochimiques (fonctionnement des organes, suivi de certains médicaments dans l’organisme, identification de tumeur…) ; l’irradiation en médecine est largement circonscrite à l’utilisation des rayons X pour les radiographies ; comme spécifiquement, la scintigraphie lors de laquelle des éléments radioactifs sont administrés afin de produire une image médicale par la détection des rayonnements émis,
  • la radiothérapie (thérapie nucléaire), méthode thérapeutique de lutte contre des maladies cancéreuses (les cellules cancéreuses sont exposées à une ionisation, c’est-à-dire à une émission de radiations gamma, visant à empêcher ces cellules de se multiplier) ; le rapport bénéfice/risque est alors favorable,
  • la stérilisation des matériels médicaux, lors de laquelle une dose de rayonnement gamma de haute intensité tue les bactéries,
  • la stérilisation de denrées alimentaires, tuant par irradiation les cellules et les micro-organismes ; elle concerne environ 20 000 tonnes de produits (épices et condiments, crevettes surgelées, volaille, etc.) traitées chaque année en France.

La RA peut également, vous en vous doutez puisque c’est l’objet de ce site, provenir d’une concentration de la RN, de celle qui est utilisée pour la fission dans les centrales nucléaires. En tout cas, vous l’aurez compris, globalement nous recevons davantage de rayons que nos ancêtres.

La fission atomique

 

Dans le globe terrestre, la radioactivité de fission est la principale source de chaleur et est le moteur indirect du volcanisme et des mouvements à la base du magnétisme terrestre (constituant lui-même un bouclier magnétique contre les rayons cosmiques). Ce qui n’est pas le cas du Soleil par contre, dans lequel la radioactivité est dite de fusion.

La radioactivité de fission, c’est la technique que l’Homme a réussi à reproduire dans le cadre du nucléaire civil. La fission de l’uranium et son potentiel énergétique permettent de produire de l’énergie électrique dans les réacteurs.

Le processus vise à casser un noyau, le faire exploser en plusieurs fragments plus légers, ce qui dégage alors une grande quantité d’énergie (cette chaleur qui est ensuite valorisée sous forme d’électricité) et des particules. Ces dernières casseront à leur tour d’autres noyaux instables. Le phénomène peut être amplifié en bombardant de particules des atomes instables qui auront été concentrés (des barres d’uranium par exemple). Il s’agit d’une réaction en chaine, maitrisée dans le cas des réacteurs nucléaires, exponentielle dans le cas d’une détonation d’arme nucléaire (bombe atomique). Le nucléaire civil ? Une sorte de domestication de l’atome…

Le ratio d’une fission ? 1 gramme d’uranium libère autant d’énergie que la combustion de plusieurs tonnes de charbon (dit autrement, chaque atome d’uranium produit 25 millions de fois plus d’énergie que la combustion d’un atome de charbon).

Telle quelle, ce qui rend la radioactivité artificielle dangereuse sont ses techniques concentrant des sources radioactives compacts, parfois gazeuses. Elles sont en sus transportables et disséminables dans le cas d’un accident, contrairement à la radioactivité naturelle. La faculté à provoquer des lésions dans les cellules (ce que l’on nomme la densité d’ionisation) est faible avec la radioactivité naturelle.

Combien qu’elles mesurent ?

 

Si coexistent deux types de radioactivités, elles n’en restent pas moins différentes et d’incidences diverses.

Aussi, il faut d’abord pouvoir les distinguer. Pour cela, de petits appareils de terrain mesurent le niveau ambiant de radiations qui inclut la radioactivité naturelle et éventuellement une contribution artificielle. Les modèles sont multiples pour prendre en compte les rayonnements disparates. Pour distinguer RA et RN dans des échantillons prélevés dans l’environnement, d’autres méthodes plus pointues existent (spectromètre ou un cristal semi-conducteur au germanium refroidi à l’azote liquide si cela vous intéresse).

Radioactivités naturelle et artificielle mesurées, il faut encore circonscrire les impacts que chacune à sur les organismes. De cela découlent des unités de mesure variées pour quantifier le phénomène, pour caractériser les doses reçues, l’activité des radioéléments, le débit, etc.

  • Le becquerel : la mesure de la radioactivité

Vous l’avez compris, la radioactivité est affaire de nombre de transmutations par seconde (désintégrations dans le langage courant). Un becquerel (Bq) correspond à une désintégration par seconde, mesure donc la radioactivité d’un échantillon instable purement et simplement. La radioactivité naturelle de l’eau douce est de l’ordre de 0,1 Bq par litre, celle du corps humain de l’ordre de 120 ou 130 Bq par kilogramme, celles des roches granitiques de l’ordre de 1000 Bq par kilogramme.

  • Le gray : la mesure de la dose absorbée

Lorsqu’ils rencontrent de la matière, les rayonnements ionisants entrent en interactions avec la matière dans laquelle ils apportent de l’énergie. On parle de dose absorbée (exprimée en gray, Gy). Il révèle l’énergie intrinsèque de toute irradiation.

  • Le sievert : l’évaluation du risque biologique

Cette unité dite ‘équivalent de dose’ rend compte de la valeur globale de l’irradiation, quelle que soit sa nature. Cela traduit (selon le débit de dose) les éventuels ‘dégâts’ attendus dans la matière vivante. Seulement, de façon aléatoire, la cause n’entraîne pas toujours l’effet (telle l’augmentation du risque de cancer). Et il faut donc tenir compte du ‘débit de dose’. Les sieverts définissent la dose efficace, qui est fonction de la dose absorbée par les différents tissus et organes exposés (en Gy), en appliquant des facteurs de pondération selon le type de rayonnement ionisant et de la sensibilité spécifique des différents organes ou tissus. Ces coefficients de pondération ont été estimés par la fréquence des cancers des survivants d’Hiroshima, fixés par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) et ils évoluent au fil des recherches. Ainsi, selon les dernières recommandations, la manifestation de conséquences biologiques est pratiquement sure au-dessus de 1 Sv, et la dose devient létale vers 6 à 8 Sv. La limite pour les civils, dans le monde, est plafonnée à 1 mSv/an. Les insectes, 10 à 100 fois plus résistants que les humains aux rayonnements ionisants, seraient certainement les seuls survivants en cas de guerre nucléaire généralisée.

Un dessin… Un long discours… Tout ça, tout ça… Prenons deux enfants en bas âge. Disposez autour d’eux des pommes vertes. Ôtez-leur leur smartphone. Ils se lanceront des pommes aussi rapidement qu’une vidéo de chat est publiée sur Instagram. Comptez les pommes lancées comme autant de becquerels, l’énergie d’impact des pommes reçues sur ces deux hydrocéphales en Gray, et différenciez les blessures plus ou moins contondantes occasionnées selon les parties touchées plus ou moins fragiles en Sievert.

source : DrGoulu

Enfin une conclusion

 

Si vous lisez ces lignes, c’est que vous avez franchi victorieusement un des quatre obstacles disséminés au seuil du chemin ouvrant à la compréhension du nucléaire civil en France. Toutes nos félicitations ! Vous avez parcouru les grandes lignes de ce qu’il faut retenir des bases de physique nucléaire. Il en découle dans le même temps de nouvelles questions. Rassurez-vous, toutes les réponses seront abordées. Comment est définie la radioprotection internationalement ? Sur la base de quelles études épidémiologiques sont fixées les normes des doses auxquelles sont exposées les populations et les travailleurs du nucléaire ? Qu’est-ce que la CIPR ?…

Vous avez compris le principe de ce site : de tout cela, nous reparlerons largement.

Pour aller plus loin

 

La fission et la fusion expliquée par Science étonnante.

 

(1) Même si le niveau de radioactivité dans l’environnement due aux catastrophes nucléaires et aux essais nucléaires militaires fait encore débat, il a assurément augmenté. En 50 ans, les proportions d’éléments radioactifs dans l’atmosphère (essais atomiques atmosphériques, fuites radioactives, déchets nucléaires, accidents de centrales…) définissant la radioactivité ambiante contemporaine serait le double de la radioactivité naturelle d’avant l’ère atomique. Il sera bien temps d’aborder ce dossier dans un autre chapitre.