Souvent charivari

 

Passons les épisodes antérieurs, ceux de son militantisme aux côtés d’Yves Cochet qui l’aura menée à débattre jusque dans les cinémas du quinzième arrondissement parisien, ceux des coulisses acides du parti écologiste qu’elle aura finalement quitté…

L’intérêt de ce jour est tout autre : relire avec la députée Barbara Pompili les dernières années macronistes lors desquelles elle aura produit un rapport non moins acide sur la filière de l’atome civil français puis dirigé le ministère de la Transition écologique. Ou comment aborder l’exercice du pouvoir dans le domaine du nucléaire civil en France, non sans intérêt au regard de ses changements d’avis sur la question.

Nous l’avons déjà détaillé : en 2018, après avoir critiqué la possible construction d’EPR nouvelle génération (EPR NM devenu EPR2, soit un EPR simplifié), une résolution permet à Mme Pompili d’être rapporteure de la commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires en France. Son rapport adopté mettra en exergue de nombreux points de faiblesse de la filière, sans commune mesure avec les rapports antérieurs des élus ou de l’OPECST (office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques).

Depuis cette position anti-nucléaire assumée, elle bénéficiera étonnamment d’un poste ministériel portant tutelle sur le nucléaire qu’elle critiquait abondamment avant que d’en « chang[er] d’avis » et  finalement de défendre le projet de construction de nouveaux EPR annoncé par Macron. Revirement légitime selon elle au regard des projections de RTE.

Contexte de l’entretien

 

De ce rapport dont nous avons parlé en détails, les difficultés à obtenir des informations de la part des exploitants et aussi de l’OPECST auront surgi. Les anti-nucléaires seront peu étonnés de ce réflexe de la part d’EDF ou de la part de ce conclave que ces derniers jugent centre de confiscation des débats nucléaires. Mais qu’en est-il en tant que ministre en charge d’une partie de la tutelle ? C’est le fil rouge de cet entretien que d’approcher le centre névralgique des décisions politiques et de leur confection.

L’occasion nous est donnée de mieux aborder ses relations lors de sa députation, mais également pendant son passage ministériel.

Car depuis, les choses ne se sont pas améliorées. Suite à la découverte de corrosions sous contrainte, plusieurs réacteurs ont été stoppés par mesure de précaution : des microfissures sont apparues et il s’agit d’en comprendre leur survenue, les calculs et simulations encadrant cette haute technologie s’avérant quelque peu erronés dans la pratique. Une situation qui impacte la situation financière de l’exploitant national (facture finale de ces mises à l’arrêt évaluée à 29 milliards d’euros pour 2022) mais surtout la production d’électricité nucléaire pour 2022, historiquement faible.

(source : Ouest France)

Quelques compléments d’information

 

Il nous semblait intéressant de revenir sur les conditions de confection de ce rapport. La position originelle de Mme Pompili était en totale opposition avec d’autres membres de la commission, au premier rang desquels Julien Aubert, aussi pronucléaire qu’elle était elle-même ‘connue pour [ses] positions antinucléaires’. La chute d’un générateur de vapeur à la centrale de Paluel en 2016 aura motivé cette résolution à ouvrir le dossier nucléaire. Le poids critique et détaillé de ce rapport finalement l’aura finalement disputé aux 465 tonnes dudit générateur : du nombre d’incidents croissants sur les installations nucléaires de base au vieillissement prématuré des réacteurs (équipements non remplaçables tels les cuves et les enceintes des réacteurs compris), en passant par les risques liés au changement climatique

Parmi iceux, le cas particulier de la sous-traitance, véritable perte de compétence pour le secteur, non sans incidence en cette période charnière. Comme les autres préconisations majeures, elles n’auront pas été suivies d’effet.

Parmi la multitude des sujets abordés ou omis lors de cet entretien, celui de la construction des EPR2 nous semblait représentatif de la situation actuelle : l’urgence climatique et les objectifs de l’accord de Paris pousseraient urgemment le gouvernement à programmer de tels nouveaux réacteurs, Mme Pompili assurant la primauté de la sûreté sur tous les arguments. L’ASN y est tenue comme garante de cette sûreté la meilleure selon les connaissances contemporaines. Mais tout d’abord cette autorité indépendante vise et s’appuie des études techniques produites par l’IRSN, bras armé dépendant de l’exécutif. Aussi, tout le dispositif repose sur un système de contrôle largement déclaratif que les derniers scandales permettent de qualifier de bancal, d’inefficace en un tel domaine industriel. Enfin, les principes dérogatoires tels celui d’exclusion de rupture montrent clairement leur limite quand il s’agit d’assurer une efficience de sûreté : si l’exclusion de rupture attribuée à un équipement (cuve, générateur de vapeur, circuit primaire ou circuit secondaire) suppose une probabilité de rupture de ces pièces si faible que la rupture est réputée impossible, elle repose sur une ‘tolérance zéro’ vis-à-vis des défauts de fabrication, sur une excellence de conception irréprochable et sur des réalisations conformes, ici largement bafouées(problèmes de ségrégation en carbone supérieure dans la confection des cuves, des soudures mal faites , falsifications de certificats, etc.). Quant aux calculs erronés du comportement des fluides dans le fond de la cuve, connus depuis les essais sur maquette, ils auront imposé à des arrêts de réacteurs à Taishan (des problèmes de mécaniques des fluides mal évaluées et engendrant des vibrations importantes au niveau des barres de combustibles, leur usure prématurée et leur détérioration).

  Personne ici ne met en doute l’indépendance de l’ASN. Mais quand elle autorise des pièces qui ne sont pas aux normes pour un nouveau réacteur, le citoyen se demande forcément pourquoi, alors qu’il y a des malfaçons, on les autorise quand même, précisait Mme Pompili lors des débats de la commission

Cette multiplication des non-conformités techniques (et la défaillance du système de détection desdites non-conformités) verra son apogée dans les vibrations repérées sur ligne d’expansion du pressuriseur du circuit secondaire primaire (LEP) dont les causes restent inconnues mais dont une solution s’appuie sur la pose d’un absorbeur de vibrations, solution validée par l’ASN malgré la décorrélation totale avec les spécifications techniques initiales. Nous aurons confronté Mme Pompili à ce dernier élément technique des plus surprenants.

(notre mise à jour de septembre 2022)

Si bien que nous nous interrogeons  sur la force qu’a l’ASN de faire valoir ses pouvoirs de sanction ? L’ancien ministre d’Etat N. Hulot avouait lui-même qu’il ‘ne doutait pas de la pression qui pèse sur l’ASN, car ses décisions peuvent avoir des conséquences ‘monstrueuses’ d’un point de vue économique’.

Loin d’une simple idéologie, si le choix politique doit résider sur des aspects techniques clairs et détaillés, la construction des EPR2, basées sur un retour de l’EPR de Flamanville toujours pas en fonctionnement et largement déficitaire en matière d’excellence et de maitrise d’ingénierie, interroge au plus haut point : sur l’ignorance des corps décisionnaires des points évoqués, sur le niveau de sûreté dégradé par comparaison aux attentes originelles.

Le discours de Belfort que Mme Pompili salue avec entrain comme une vision présidentielle forte ne saurait pourtant se contenter de généralités en matière  de sûreté, sur la seule base de vœux déconnectés d’une réalité pour partie défectueuse et de simplifications de design qui remettent en cause l’homologation et les tests menés (enceinte de confinement à simple paroi au lieu d’une double, radier sans plaque en fonte..).

Pourtant, bien au contraire, Macron a l’intention d’accélérer ce programme en assouplissant la loi et les procédures considérées comme trop longues par l’exécutif impatient, au prix d’une certaine adaptation des procédures existantes le dépôt de demande d’autorisation de création (DAC) primant sur la phase de consultation et l’avis de l’Autorité environnementale, sur une concertation déjà jugée trop limitée dans le temps et la zone géographique.

Tout cela faute d’anticipation industrielle et politique.

  Le problème de l’anticipation est un problème récurrent sur les questions du nucléaire en France. Ces problèmes […] pour moi sont peut-être un peu trop récurrents pour ne pas être voulus.

Faut-il s’étonner du regain de défiance envers nos institutions ? Les scandales à répétition en ce domaine sensible qu’est le nucléaire ne favorisent aucune amélioration. Et l’Etat dans l’Etat de continuer à s’imposer dans les lieux de pouvoir décisionnels, ministère de la Transition écologique compris.

Pour notre part, nous regrettons d’ailleurs de ne pas avoir abordé de la même manière le projet Cigéo, alors que certains aspects techniques interrogent tout autant et justifient les recours déposés par des opposants contre la Déclaration d’Utilité Publique et contre l’Opération d’Intérêt National  (opération d’intérêt national). Nos divers articles reviennent de façon complète sur tous les aspects de ce projet hors norme.

Plan de la séquence

1:00 Pourquoi un rapport parlementaire sur la sûreté des réacteurs nucléaires ?

3:00 Cela ne fait-il doublon avec le rôle de l’office parlementaire dédié aux questions scientifiques ?

4:00 Quels sont les éléments relevés les plus inquiétants de l’enquête parlementaire ?

7:15 Parmi de nombreux points non réglés, pourquoi la sous-traitance perdure-t-elle ?

9:40 Pourquoi avons-nous du mal à anticiper les échéances nucléaires, notamment concernant la saturation des piscines à La Hague ?

17:00 Pourquoi le gouvernement ne tient pas compte des alertes ou de ses obligations légales ?

19:30 Quelles suites la ministre a-t-elle donné aux préconisations de la députée rapporteure ?

23:45 Avant de considérer un risque d’accident, le problème ne réside-t-il pas dans l’ignorance de l’état des réacteurs ? Quelle confiance accordée compte tenu des incidents cachés ?

27:20 Sur la base du déclaratif, les procédures sont-elles suffisamment pertinentes pour avoir une photographie exacte des situations au sein des centrales ?

36:20 Y a-t-il un risque inconsidéré, les calculs et simulations se révélant erronés, les vieillissements prématurés ?

43:25 La seule anticipation possible est-elle l’ouverture de nouveaux réacteurs pour répondre aux objectifs de l’accord de Paris ?

52:00 Comment construire des EPR2 sur la base d’une tête de série malfaçonnée et qui n’a toujours pas fait ses preuves de fonctionnement ?

58:20 Des vibrations existent dont les causes restent inconnues. L’ASN peut-elle assumer les conséquences de la défaillance du constructeur ?

1:02:10 Si l’ASN est une autorité indépendante, est-ce normal que son bras armé l’IRSN ne le soit pas ?

1:05:10 La ministre peut-elle prétendre aux mêmes détails techniques qu’un député ? Quels filtres éventuels jouent ?

1:09:30 N’y a-t-il pas suffisamment de doutes et questions techniques pour aborder le nucléaire autrement qu’idéologiquement ?

1:16:40 Une ministre peut-elle imposer son choix politique, son arbitrage, dans le domaine nucléaire ?

1:21:30 Comment s’exercice du pouvoir au sein d’un cabinet composé pour moitié de diplômés des grandes écoles, pronucléaires ?

1:23:42 Est-il normal d’imposer un calendrier de redémarrage des réacteurs pour assurer la production électrique en période hivernale ?

1:26:00 Compte-tenu des incidents et manquements, un responsable craint-il de devoir assumer un accident nucléaire ?

1:27:50 La sûreté nucléaire est-elle la meilleure possible compte tenu des éléments évoqués ?

1:31:12 En termes de sécurité, un conflit armé rend-il particulièrement vulnérable une France si nucléarisée ?