Déchets :  » y en a un peu plus, j’vous les mets quand même ? »

La gestion des déchets radioactifs pourrait être le tendon d’Achille du cycle nucléaire. Assimilés un temps pour partie à des matières revalorisables, ils sont empilés dans des entrepôts, cachés sous des collines voire enfin devraient être enfouis dans le Grand Est. Mais cela commence à déborder sérieusement. D’ailleurs, comment de tels volumes n’ont-ils pas fait l’objet d’une projection mieux anticipée ?

 

(source : Révolution énergétique)

// En Bref //

• Les déchets sont stockés en fonction de leur radioactivité

• Les sites de stockage seront saturés à moyen terme

• Les volumes des déchets les plus dangereux sont mal évalués

• Le volume total est sous-estimé de matières revalorisables que la filière ne sait pas encore utiliser

• Le projet de Cigéo n’intègre pas les volumes de déchets générés par les futurs réacteurs

• La gestion des déchets actuels est imparfaite et celle des déchets futurs n’est mieux anticipée

// En Bref //

L’ASN a souvent rendu des avis sur la gestion des matières et des déchets radioactifs produits sur le territoire national. Parmi les derniers en date, le gendarme du nucléaire qu’elle est évoque l’importance d’arrêter des décisions à court terme afin que des filières de gestion des déchets sûres soient disponibles pour tous les types de déchets radioactifs dans les 15 à 20 ans à venir. En résumé, l’anticipation en matière de déchets est primordiale.

Apparemment, cet aspect n’a pas été priorisé, pas plus avant que dans le plan France Relance 2030. C’est que cela ne fait guère illusion maintenant : l’uranium et le plutonium issus des combustibles usés des centrales nucléaires françaises, une fois refroidis à proximité des réacteurs quelques années puis traités par Orano (La Hague, Manche), s’accumulent dans des piscines d’entreposage de La Hague, piscines proches de la saturation, beaucoup plus rapidement que prévu. En attendant des solutions, sans grande marge de manœuvre, Orano prévoit de construire de nouveaux locaux de stockage pour accueillir de nombreux rebuts radioactifs et surtout du plutonium.

L’Andra a beau certifier que tout est géré et sécurisé, avec une simplicité qui le dispute à la mésinformation, il y a donc bien urgence pour la filière. Et pour les gouvernements successifs s’ils comptent faire adopter un nouveau programme de construction. La production de nombreux déchets plus ou moins radioactifs, un temps promis au recyclage mais dont les recherches ont échoué jusqu’à maintenant, doit composer avec ces stocks, assurer l’inventaire précis de toutes les quantités qui devront être conservées de manière sécurisée en attendant que ne s’en réduise naturellement la radioactivité, à très long terme.

Poubelle jaune ou poubelle bleue ? 

 

Il y aurait plus de 1,67 millions de mètres cubes de déchets radioactifs sur le territoire métropolitain (dernier chiffre officiel connu de ce grand recensement, fin 2019). La répartition comprend aussi bien des déchets radioactifs issus de l’électronucléaire, que de la recherche, du secteur militaire/de la défense, non médical… Nous ne varions pas et nous attacherons exclusivement à la filière du nucléaire civil, cela va de soi sur ce site Internet.

La technique de fission de l’atome entraine inévitablement la production de déchets en même temps que de l’électricité. Ces déchets sont radioactifs et peuvent avoir une période radioactive (dite demi-vie) comprise entre 2,14 millions d’années (neptunium-237) et 31 ans (césium-137).

Prenons la demi-vie du plutonium-239 (issu de l’enrichissement de l’uranium-238), de l’ordre de 24 000 ans : cela signifie qu’à l’issue de cette période, seule la moitié des atomes de plutonium se seront transformés en d’autres éléments dont la radiotoxicité sera moindre. Il faut donc comprendre que la matière demeure dangereuse pour la santé bien au-delà de la période indiquée (tous les isotopes et composés du plutonium sont toxiques et radioactifs) et que tout est affaire de quantité. Aussi, l’activité totale sera exprimée en becquerel pour tenir compte, non pas seulement de la présence physico-chimique, mais également et surtout le nombre d’événements de désintégration par seconde, émetteur de rayons (mais dont le caractère dangereux ou non dépend fortement de l’énergie et de la nature des particules émises, ce qui est le cas pour le plutonium, l’uranium ; échelles ci-dessous en logarithmes de base 10 pour plus de lisibilité).

La radioactivité et le volume de chaque type de déchets sont variables et supposent une répartition différenciée ventilée en de nombreux sites. En théorie, les déchets radioactifs sont parfaitement triés selon ce niveau d’activité et cette période radioactive qui caractérisent leur dangerosité : ils sont classés en trois catégories.

(source : Andra)

Soit, en premier lieu, les déchets de très faible activité (les TFA tels le béton, les gravats, les ferrailles… ayant servi à divers travaux sur un site radioactif), deuxièmement les déchets de faible et moyenne activité (FA et MA, tels les déchets d’exploitation que sont les gants, les combinaisons usagés, les outils…) et enfin, les déchets dits de haute activité à vie longue (HA-VL, les plus radioactifs, issus du traitement du combustible usé, les barres de combustible irradiées dans les réacteurs en majorité).

Les traitements sont tout autant hétéroclites. Ainsi, les TFA peuvent subir une l’incinération et une fusion en l’usine de Centraco, non sans impliquer une consommation d’énergie et d’eau importante, couplée à des rejets atmosphériques de gaz à effet de serre et radioactifs d’ailleurs. Les MA peuvent subir des compactages, puis sont introduits dans des colis en béton ou en métal, voire conditionnés par cimentation, bitumage, vitrification… Pour ce qui concerne les HA, dont la radioactivité dégage une puissance thermique qui décroît d’un facteur deux en 50 ans, la spécificité de sa durée d’entreposage est plus complexe et sujette à suivi scrupuleux : ils seront vitrifiés à La Hague (coulés dans de la pâte de verre, puis conditionnés dans des containers d’acier).

Toutes ces étapes demandent de nombreuses tâches logistiques, de manutention et de transport, non sans contraintes propres et risques associés. Toutes sont considérées comme faisant partie d’un process vertueux. Comme le stipule EDF, 100% des déchets ont leur solution de stockage ou de traitement.

(source : EDF)

Voilà qui est péremptoire. C’est que le classement propre à la filière nucléaire différencie les matières recyclables des déchets. Plus généralement, selon la définition du Code de l’environnement, les ‘déchets radioactifs sont des substances radioactives pour lesquelles aucune utilisation ultérieure n’est prévue ou envisagée’. Ce sont les fameux déchets ultimes. Si bien qu’une décision de l’ASN jugeant « indispensable qu’une quantité substantielle d’uranium appauvri soit requalifiée, dès à présent, en déchet radioactif » n’est jamais anodine : les sous-produit des usines d’enrichissement d’uranium constitue en effet la plus grande part des matières radioactives (321 000 tonnes) et la faisabilité technique de son stockage n’a jamais été éprouvée, pas plus qu’un lieu identifié pour les accueillir, ce qui rappelle l’impasse technique dans laquelle se trouve également le stock de plutonium (58 tonnes tout de même). Cela n’est pas sans conséquence directe sur les volumes, les sites de stockage et les moyens employés pour isoler ces déchets plus ou moins dangereux. Toute requalification entrainerait subséquemment un alourdissement de la facture finale dédiée à la gestion desdits déchets. Nous y reviendrons plus bas.

En attendant, qui dit classification dit gestion différenciée. Pour faire simple, les déchets radioactifs sont entassés dans des centres de stockage de surface, les hautement radioactifs étant réservés au centre d’enfouissement. Si bien qu’il n’y a pas que Bure dans la vie de l’uranium et de ses descendants radioactifs.

(source : Andra)

Le Centre de stockage de la Manche de Digulleville – La Hague (CSM) conserve enfouis 1,477 million de colis de déchets radioactifs FA et MA. Ce centre est plein et fermé depuis 1994.

Le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires), situé à Morvilliers (Aube) est dimensionné pour accueillir 650 000 mètres cubes de déchets, d’une durée de vie inférieure à trente ans. Gants, bottes, tenues… des personnels opérant en milieu radioactif sont conservés en surface. Une fois compactés voire reconditionnés, les déchets sont entreposés dans des alvéoles de 176 mètres de long, 26 mètres de large et 8 mètres de profondeur. La saturation du centre est projetée entre 2025 et 2030 : il est actuellement rempli à plus de 60% et continue de recevoir chaque année 25 000 mètres cubes supplémentaires (à raison d’une vingtaine de camions par jour). Si une extension est bien prévue par l’Andra, elle ne serait fonctionnelle que vers 2045, ce qui augure déjà d’un problème de stockage à moyen terme. Au final, les alvéoles seront enherbées, ce qui correspond à la solution de ‘banalisation’ des sites comme attendu, et ce « au plus tard 300 ans après le début de la phase de surveillance ». Les volumes concernés sur le Cires représentent 31,3 % du volume total des déchets radioactifs français (pour seulement 0,0001 % de la radioactivité globale).

Le Centre de stockage de l’Aube (CSA) construit à Soulaines-Dhuys (Aube) reçoit les déchets FA et MA-VC (vie courte). Les déchets reçus, via huit camions chaque jour acheminant 90 % des colis, sont issus du fonctionnement des centrales nucléaires, mais également en petite quantité (environ 1 % de l’activité) des MA-VL tels des résidus d’uranium ou de polonium, dont la radioactivité peut se maintenir jusqu’à plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’années. D’après les textes, il doit être également banalisé « au plus tard 300 ans après le début de la phase de surveillance ».

(source : Andra)

Ce ne sont pas moins de 91 % des déchets qui sont accueillis dans les deux centres de l’Aube. Sites hautement surveillés pour y éviter la présence d’eau, en premier lieu. A l’avenir, les quantités vont largement être majorées compte tenu du démantèlement programmé de 14 des 58 réacteurs nucléaires du parc français d’ici à 2035. Le volume des déchets TFA devrait même atteindre 2,1 à 2,3 millions de mètres cubes une fois toutes les installations existantes démantelées, ce qui arrivera un jour ou l’autre. C’est bien simple : la France prévoit de tripler sa production de déchets nucléaires d’ici à 2080.

Plus généralement, devant la situation de saturation dans laquelle se trouvent les sites de stockage français, l’ASN a rappelé l’urgence à prendre rapidement des décisions en matière de gestion des déchets nucléaires.

La construction d’un troisième centre de stockage qui accueillera les déchets de faible activité à vie longue (FA-VL) est donc envisagée : d’ici mi-2023, un dossier présentant les options techniques de sûreté retenues pour ce stockage en faible profondeur sera déposé et concernera le site de la communauté de communes de Vendeuvre‑Soulaines, dans l’Aube toujours.

En marge, chaque année, si des déchets sont déclassés de catégories, cela ne permet pas d’éviter au final les saturations. La révision de certaines lois souhaitée par les exploitants permettrait une dérogation pour la valorisation de matériaux métalliques de faible activité, un recyclage vers la filière nucléaire, voire des filières conventionnelles qui ouvrirait une perspective de débouchés espérés pour le technocentre de Fessenheim. Autre solution projetée : la prise en charge de ces déchets TFA dans des centres de stockage de déchets dangereux conventionnels. Si la majorité des autres pays nucléarisés, notamment européens, « libèrent » déjà certains déchets issus d’installations nucléaires après avoir contrôlé leur niveau de radioactivité et/ou les avoir décontaminés, la règlementation française aura encadré cette piste par la faute d’une série d’incidents survenus dans les années 1990 où des déchets radioactifs s’étaient retrouvés dans les circuits conventionnels illégalement.

Cet allègement des normes concernant les seuils de libération est un combat d’importance pour les exploitants, obligés de financer une filière de stockage qui plus dont la saturation ne fait plus de doute. Mais le taux de radioactivité à partir duquel peuvent être traités ces déchets comme n’importe quels autres reste une question sanitaire difficile à trancher. L’enjeu est sans doute crucial pour l’Andra : cela permettrait de se débarrasser de plus de 900 000 tonnes de déchets métalliques TFA en les valorisant sur une période s’étalant jusqu’à 2070. Un processus de validation étatique qui suit son cours discrètement.

  La valorisation de certains types de déchets, dont les volumes produits seront importants, est encouragée, en cohérence avec la hiérarchie des modes de gestion des déchets définie dans le code de l’environnement. L’ASN préconise notamment la mise en œuvre de manière opérationnelle d’une filière de valorisation des gravats, et la poursuite du projet d’installation de valorisation de matériaux métalliques, avec la mise en place d’un cadre spécifique de contrôle de cette installation. […] La saturation des capacités actuelles de stockage des déchets TFA pouvant contraindre l’ensemble de la filière et retarder les projets de démantèlement, l’ASN considère que des parades doivent être présentées en cas d’indisponibilité d’une nouvelle installation centralisée de stockage , selon l’ASN.

A défaut d’avoir bien tout prévu, d’avoir été optimal pour le stockage des déchets autant qu’attendu pour le fonctionnement des réacteurs, cette décontamination est appuyée. Même si elle est déjà évaluée par certaines études comme peu efficiente pour de nombreux radionucléides.

Vous l’aurez remarqué, selon le principe du zonage à la française, les cochons sont engraissés en Bretagne et l’accueil de la totalité des déchets nucléaires français se situera entre la plaine de Champagne et le plateau lorrain (frontière de la Meuse et de la Haute-Marne). Mais quel est le volume total concerné ?

Un kilo de plumes ou un kilo de plomb ? 

 

Toujours à l’Est, le projet Cigéo visera à enfouir 4 % du volume des déchets nucléaires français concentrant plus de 99 % de la radioactivité. Ces déchets HA représenteraient 57 000 colis pour 12 000 mètres cubes, les MA-VL 175 000 colis représentant 72 000 mètres cubes et les FA-VL 190 000 mètres cubes. Des déchets provenant du fonctionnement, du démantèlements d’installations nucléaires existantes, EPR de Flamanville compris.

Mais ces volumes ne correspondent pas aux volumes finaux. Les colis devront en effet être reconditionnés, portant finalement et respectivement les chiffres à de bien plus gros volumes (en moyenne, un assemblage conditionné occupe six fois plus de volume qu’un non conditionné) : sans doute respectivement 90 000 (HA) et 350 000 mètres cubes (MA-VL). Cela reste dépendant en sus du scénario de poursuite de la production électronucléaire (scénario SR1) ou non (SNR), des durées de fonctionnement du parc actuel, etc.

(source : Andra)

Petites parenthèses : avant même de considérer les quantités, il faut retenir que les déchets doivent avoir une température inférieure à 90°C pour prétendre être enfouis. Soit une latence de plus de 50 ans après leur vitrification, années passées dans les piscines de refroidissement comprises. Ce qui repousse d’autant le calendrier des livraisons dans Cigéo.

Aussi, ces chiffrages volumétriques ont constamment été révisés à la hausse à mesure des inventaires de l’Andra et en fonction des connaissances évolutives des contenus radiologiques réels des déchets. Occasionnant autant d’incertitudes sur la gestion à venir des procédures, espaces à prévoir… mais également sur les marges de sécurité attendues pour un tel projet d’enfouissement et que le Dossier d’Orientation de Sûreté a bien du mal à tenir scrupuleusement exhaustif.

Une première estimation pourrait être tirée de la consommation annuelle des combustibles nécessaires au fonctionnement des réacteurs : près de 1 200 tonnes de combustible (produits à partir d’environ 7 800 tonnes d’uranium naturel et générant 6 720 tonnes d’uranium appauvri) servent à alimenter les 56 réacteurs nucléaires civils. A raison d’un tiers/un quart de renouvellement à chaque arrêt de tranche annuel par réacteur, il est rejeté environ 30 tonnes de combustibles usés par an (presque 3 mètres cubes, dont 28,7 tonnes d’uranium, 300 kg de plutonium et de nombreux actinides mineurs).

Mais à l’issue de leur utilisation, les chemins varient. Soit la totalité des combustibles usés est considérée comme devant être stockée en couche géologique profonde, soit une partie est réservée pour l’utilisation future dans des réacteurs dits surgénérateurs que nous ne possédons toujours pas et dont la recherche a été clairement abandonnée.

Cette dichotomie repose sur la voie de retraitement choisie par la France. Lors de ce traitement chimique, sont extraits l’uranium et le plutonium issus des barres de combustible usé pour former dans un second temps le Mox (tous les combustibles irradiés ne peuvent être retraités et un nombre important reste dans les piscines de La Hague). Chaque année, 10,8 tonnes en moyenne de plutonium sont mélangées à 109,2 tonnes d’uranium appauvri pour former 120 tonnes de ce typique combustible ‘Mox’ (utilisable à hauteur de 30% dans 24 réacteurs seulement, parmi les plus anciens).

En attendant, cette solution exclusive permet de ne pas comptabiliser en déchets quelques 300 000 tonnes d’uranium appauvri accumulés, 10 000 tonnes de combustibles usés non traités et 30 000 tonnes d’uranium de retraitement. Ces matières sont classées en ‘matières valorisables’ (seuls 4 à 5 % des matières contenues dans les combustibles usés ont le statut de déchets), pourtant sans débouché réel et actif depuis l’arrêt du projet de recherche Astrid évoqué sur notre site. En gros, in fine, seul moins de 1% des combustibles irradiés est recyclé véritablement actuellement. De quoi s’y perdre.

  Les informations et les documents mis à disposition du public par les acteurs de la filière nucléaire et les parties intéressées sur le « cycle du combustible » ne permettent pas toujours d’appréhender clairement le « cycle du combustible » tel qu’il est mis en œuvre actuellement. L’interprétation des éléments de communication sur le « cycle du combustible » laisse parfois croire en effet à la mise en œuvre de procédés de valorisation immédiate de l’ensemble des matières issues du traitement des combustibles usés. L’enrichissement de l’uranium de retraitement est par exemple évoqué sur plusieurs supports de communication alors qu’il n’est plus mis en œuvre depuis 2013. L’existence et les données relatives aux entreposages de matières valorisables sont souvent peu évoquées. Enfin, les éléments mis à disposition du public ne permettent pas d’appréhender avec clarté l’échelle temporelle des différentes étapes du « cycle du combustible » , comme le reproche le Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire (HCTISN).

Une demande d’actualisation a été exigée afin de donner aux citoyens les meilleures informations claires, exigence que l’Andra n’envisage que dans un cadre infantilisant sur son site Internet.

Mais les projections des volumes à considérer peuvent aussi varier en fonction de la durée de fonctionnement des réacteurs. Une prolongation à 60 ans rajouterait 4 000 mètres cubes de déchets HA-VL supplémentaires. Cigéo devrait donc être étendu au regard de cette prolongation que l’exploitant EDF et Orano espèrent.

L’Andra se retrouve contrainte à une position bancale qui lui est imposée et qui n’arrange pas son image auprès des citoyens. Les études volumétriques sont remises par les producteurs et gestionnaires de matières et déchets radioactifs eux-mêmes. C’est sans doute le plus grand souci pour l’Andra que d’être tributaire des déclarations des exploitants pour établir l’inventaire des combustibles usés et des déchets radioactifs qu’ils possèdent ou génèrent.

(source : Andra)

Cet inventaire national est une obligation légale issue de la loi de 1991. L’inventaire est supposé recenser aussi bien des sites abritant des déchets radioactifs, quelle que soit leur quantité et leur nature, et selon une classification technique (comme nous l’avons abordé ci-dessus). Les évaluations et projections sur les quantités à venir concernent l’ensemble des déchets reconnus comme tels, les quantités de matières dites valorisables étant sujettes à une évaluation plus grossière. Et c’est bien le problème.

Si bien que, peu importe le scénario envisagé (SR1…), les près de 1,7 million de mètres cubes de déchets à la radioactivité variable enregistrés dans la version 2019 ne représentent en fait que 4% des volumes générés par l’industrie électronucléaire : le reste est classé comme de la matière car une utilisation ultérieure est prévue. L’ASN ayant précisé que le « caractère valorisable des matières radioactives ne pouvait être apprécié qu’en tenant compte des horizons temporels plausibles, de l’existence d’une filière industrielle réaliste à un horizon d’une trentaine d’années », la requalification de 318 000 tonnes de matières accumulées pourrait s’avérer incontournable (et, il faut aussi l’admettre, inversement selon l’état de la recherche à venir).

Le volume de déchets radioactifs pourrait donc être largement considéré comme sous-évalué. Et les tableaux largement erronés.

Par exemple, le volume indiqué pour les déchets de Faible Activité à Vie Longue (FA-VL) indique 93 600 mètres cubes mais ne représente que 0,4% du volume réel, car ont été omis 282 000 mètres cubes de boues radioactives de Malvési et plus de 23 millions de mètres cubes de déchets issus de la lixiviation dynamique du minerai d’uranium. Encore, aux 537 000 mètres cubes de déchets TFA devraient être ajoutés 15 millions de mètres cubes de déchets issus de la lixiviation statique, 50 millions de mètres cubes de déchets à radioactivité naturelle élevée, etc.

Tous ces volumes sont actuellement entassés sans conditionnement, sans isolation du sous-sol, dans des sites répertoriés mais guère surveillés ou protégés. Une projection d’ONG établit à 200 millions de mètres cubes les quantités accumulées depuis 40 ans sur le territoire métropolitain et restant pour la plupart sans filière de gestion. Malgré les cadres et les définitions existantes, même la Commission européenne convient que cet inventaire est difficile à tenir.

Mets tes déchets où j’ai mon doigt 

 

Compte tenu des divers sites nucléaires répartis sur le territoire, de nombreux déchets sont disséminés à travers notre pays. L’anticipation des besoins d’entreposage dans des conditions sûres, dans l’attente de solution de stockage définitif, ne semble pas avoir été actée, pas plus que la gestion des déchets n’était priorisée et programmée au lancement du programme nucléaire. La dangerosité des déchets radioactifs n’est pas à obérer malgré le ‘service rendu’. Leur inventaire est malheureusement sujet à caution et leur gestion inhérente serait par conséquent particulièrement sous efficiente.

Concernant les solutions de stockage, variables selon les pays, une première grande différence réside entre le stockage humide et sec. Les déchets nucléaires doivent être tout d’abord refroidis dans un liquide. La surveillance réside dans l’évaporation à exclure coûte que coûte, au risque sinon que le combustible usé ne se réchauffe rapidement. A ce titre, lorsque l’accident de Fukushima s’est produit en 2011, une piscine contenant un réacteur usé a été gravement endommagée et un tel accident de fusion des barres est brièvement apparu comme une possibilité.

Malgré les dangers, des pays comme la France, le Royaume-Uni, la Corée et les États-Unis stockent des déchets nucléaires dans des piscines, bien après que les experts aient déclaré qu’ils auraient dû être stockés en fûts secs, estimant que le problème le plus urgent n’est pas de trouver des sites pour les dépôts définitifs mais de s’assurer que le stockage intermédiaire est sûr. De nombreux pays pourvus de centrales nucléaires (Etats-Unis, Allemagne, Suède, Japon, Corée du Sud…) privilégient ensuite de garder les combustibles irradiés refroidis en l’état, de les entreposer dans des installations d’entreposage à sec (une fois radioactivité et chaleur dégagée suffisamment diminué).

En France, la recherche sur trois solutions distinctes de gestion des déchets a été abandonnée pour n’en conserver qu’une. Le choix politique de l’enfouissement des déchets les plus radioactifs semble entériné. Mais, si procédures et solutions techniques retenues ne devaient souffrir aucune critique (ce qui n’est pas le cas), la seule conjugaison des points concernant les conditionnements plus volumineux et les quantités sous-évaluées des déchets interroge sur le bon dimensionnement du projet Cigéo. Outre la question essentielle du contenu réel des conteneurs, l’exercice imposerait d’estimer scrupuleusement la quantité de déchets restant à produire sur plus d’une centaine d’années (l’inventaire de référence pour lequel Cigéo a été conçu et l’inventaire de réserve incluant les matières revalorisables, soit des dizaines de milliers d’assemblages de combustibles usés). Et encore faudrait-il ajouter l’insuffisance de l’installation de condition et d’entreposage de déchets activés (Iceda) pour accueillir et traiter l’ensemble des déchets impliqués dans les démantèlements mal évalués, également l’impréparation de la solution de gestion des déchets contenant du tritium (dont les déchets métalliques tritiés volumineux du projet Iter), etc.

Aussi faut-il questionner l’impact de l’annonce toute récente d’un nouveau programme nucléaire envisageant la construction de 3 paires d’EPR2 (des EPR simplifiés) : les volumes légalement retenus pour Cigéo n’incluent tout simplement pas les déchets qui seront produits annuellement par des installations autorisées au-delà de 2013 et encore moins leur démantèlement (compter de 18 000 à 20 000 mètres cubes de déchets par réacteur). Une extension du projet Cigéo sera-t-elle donc inéluctable avant même que le laboratoire de recherche ait donné ses résultats d’étude ? La fermeture définitive sera-t-elle reportée pour accueillir ses détritus surnuméraires ? Enfin, que fera-t-on des volumes de déchets de moindre activité radioactive alors que tous les sites seront déjà projetés comme saturés depuis longtemps ?

(source : EDF)

Dans cette course contre la montre, et parce que la densification des capacités de stockage pas dans les piscines actuelles n’y suffira pas, EDF s’apprête (avec un peu de retard déjà…) à déposer un dossier de demande d’autorisation de création d’une piscine d’entreposage centralisé à partir de 2034 (sans doute à La Hague plutôt que sur le site envisagé dans un premier temps à Belleville-sur-Loire), pour un montant estimé à 1,25 milliards d’euros. Une deuxième de même capacité d’acceuil de 6500 tonnes de combustibles usés est déjà envisagée.

Bref, pour la filière nucléaire, passée et à venir, la gestion pérennisée des déchets radioactifs presse. Toute saturation ferait courir le risque de bloquer le fonctionnement de tous les réacteurs français. Impensable pour l’exécutif français. Mais ne sommes-nous pas justement en train de reproduire une situation antérieure : construire des réacteurs sans solution pérennisée ?