Le Monde nucléaire en 2019 

source : PRIS.AIEA

Le rapport annuel 2019 de Mycle Schneider est une somme d’infos sur la situation du nucléaire civil sur Terre. Il permet d’avoir une vision globale de l’exploitation de centrales nucléaires, de l’évolution du secteur. Abordons-en les grandes lignes afin d’en tirer une fidèle photographie mondiale.

 

(Dans cette série spéciale, les indicateurs mondiaux et points relevés dans les articles dédiés sont tous tirés du rapport WNISR 2019)

// En Bref //

• Peu de pays possèdent des réacteurs nucléaires

• La sortie du nucléaire concerne plus d’un quart d’entre eux

• La Chine est le seul réel pays constructeur actuel

• Le parc mondial est vieillissant et les incidents se multiplient

• L’avenir de la filière se porte sur des modules plus petits, de moindre capacité, abordable financièrement et dévolus à l’exportation

// En Bref //

Bon, vous avez appris que le nucléaire n’était pas une solution viable pour le changement climatique en cours. Mais peut-être vous demandez-vous pourquoi la filière est portée par la Chine ? Quel est l’allure du parc mondial aujourd’hui ? Quel avenir prépondérant prépare les industriels du secteur malgré tout ? Cet article est pour vous.

Du petit trèfle radioactif à la pâquerette

 

Dans le monde, 31 pays exploitent actuellement 417 réacteurs nucléaires. L’utilisation de l’énergie nucléaire reste donc limitée à une petite partie du monde d’happy few. En gros, seulement 16 % des 193 membres des Nations unies. Ce chiffre est resté stable depuis que l’Iran a mis en service son premier réacteur en 2011, puisque seuls quatre pays (Mexique, Chine, Roumanie et donc Iran) ont mis en service des réacteurs commerciaux au cours des 30 dernières années, tandis que trois pays (Italie, Kazakhstan, Lituanie) ont abandonné leurs programmes.

Neuf des 31 pays nucléaires actuels ont soit un programme d’élimination progressive du nucléaire, soit un programme de non-construction de nouveaux réacteurs ou des politiques de non-prolongation des programmes en place.

Face à ce recul international constaté, cette progression mondiale entamée, alors que les indicateurs suggèrent que cette industrie pourrait avoir atteint son maximum historique, une conséquence directe : le plus grand constructeur nucléaire historique, le ci-nommé américain Westinghouse et son homologue français Areva ont fait faillite. Areva, pour se sauver en 2016 de la banqueroute avec toutes les conséquences industrielles et politiques que cela aurait comporté sur le sol français, a été scindée en deux entités : une partie ‘réacteurs’ récupérée par EDF et une partie ‘combustible’ réorganisée en Orano. Le secteur semble bien terne pour investir et pérenniser son activité.

La Chine, ci-devant maître du monde énergétique

 

Depuis que le premier réacteur nucléaire a été connecté au réseau électrique soviétique à Obninsk en 1954, il y a eu deux grandes vagues de démarrages. La première a atteint son apogée en 1974, avec 26 connexions. La seconde a atteint un maximum historique en 1984 et 1985, juste avant l’accident de Tchernobyl, atteignant 33 connexions au réseau chaque année. À la fin des années 1980, l’augmentation nette ininterrompue des unités d’exploitation avait cessé, et en 1990 pour la première fois le nombre de fermetures de réacteurs a été supérieur au nombre de démarrages.

source : WNISR

Les imprécations pronucléaires ne suffisent donc pas. Et le rapport permet d’avoir une perspective des stratégies réalistes, réalisables et abordables pour les prochaines décennies dans ce secteur industriel. Par exemple, le taux de construction se devrait de tripler au cours de la prochaine décennie afin de maintenir le nombre de réacteurs en fonctionnement et alors que ceux arrivant à l’âge butoir de fin d’exploitation sont de plus en plus légion. L’expansion de l’énergie nucléaire reste désespérément très en-dessous des attentes des promoteurs nucléaires malgré leurs velléités. Le déclin se poursuivra en 2019.

source : WNISR

En 2018, la production d’énergie nucléaire dans le monde a augmenté de 2,4 %, largement grâce à la Chine. Neuf réacteurs ont été mis en service en 2018, dont sept en Chine et deux en Russie. Parallèlement, le nombre d’unités en construction dans le monde a diminué pour la sixième année consécutive, passant de 68 réacteurs à la fin de 2013 à 46 d’ici la mi-2019, dont 10 en Chine. Dans le même temps, la Chine aura dépensé un montant record de 146 milliards de dollars pour les énergies renouvelables en 2017, soit plus de la moitié du total mondial, et aura connu une baisse à 91 milliards de dollars en 2018 (mais reste toujours près du double de la somme investie par les États-Unis, deuxième investisseur avec 48,5 milliards de dollars).

Comme déjà évoqué, les énergies renouvelables se situent désormais en dessous du coût du charbon et du gaz naturel. Si bien que pour protéger le climat, les options non nucléaires permettent d’économiser plus de carbone par dollar. Dans de nombreux pays nucléaires, les nouvelles énergies renouvelables peuvent désormais concurrencer économiquement les centrales nucléaires existantes. Ce que ne manque pas de mettre en pratique la Chine, quoi qu’on suppose.

Un parc vieillissant

 

Et encore, parmi les réacteurs comptabilisés, 28 réacteurs en état d’interruption de longue durée sont considérés comme étant en exploitation par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dont 24 au Japon, ce qui fait suite à la catastrophe de Fukushima Daiichi. Ce qui enjolive un peu plus la situation globale du secteur. Car pour le WNISR, un réacteur nucléaire est considéré comme étant à l’arrêt s’il n’a pas généré de l’électricité au cours de l’année civile précédente et au cours du premier semestre de l’année civile en cours.

A contrario, 4 réacteurs ont été redémarrés après ce genre d’interruption de longue durée depuis mi-2018, dont celui de Paluel-2 en France.

Toutes ces fermetures prolongées ont une partie causale évidente : les réacteurs sont de plus en plus vieux et doivent subir des travaux d’amélioration pour prétendre poursuivre leur exploitation. Les réacteurs français, pour ne citer qu’eux, fonctionnent depuis 34,4 ans en moyenne, et la plupart d’entre eux ont achevé le processus avec l’Autorité de sûreté nucléaire française (ASN) évaluant chaque réacteur permettant de les exploiter pendant 40 ans au maximum, ce qui correspond à la limite de leur âge de conception initiale. Cependant, les évaluations de l’ASN ont des années de retard. L’ASN prévoit de donner son avis sur le schéma général d’évaluation en 2020. Ce qui particulièrement important pour le Tricastin-1, la première unité à subir le quatrième examen décennal.

source : WNISR

source : WNISR

En l’absence de programmes majeurs de construction de nouveaux réacteurs en dehors de la Chine, l’âge moyen du parc mondial de réacteurs nucléaires en exploitation continue d’augmenter, pour atteindre 30,1 ans et ne devrait pas décroitre puisque tous les pays nucléarisés visent à prolonger leur durée de vie. Mais rien n’est simple. Aux États-Unis par exemple, quatre réacteurs avaient obtenu des licences pour fonctionner jusqu’à 60 ans mais ont été fermés principalement pour des raisons économiques. Le nucléaire, ça eut payé, mais ça paye plus.

le podium de l’atome

 

Comme les années précédentes, les « cinq grands » pays producteurs d’énergie nucléaire sont les États-Unis, la France, la Chine, la Russie et la Corée du Sud, ayant produit à eux seuls 70 % de tous les déchets nucléaires. Les États-Unis et la France, ont représenté 47,5 % de la production nucléaire mondiale en 2018.

Y aura-t-il des challengers au niveau ? Quatre nouveaux pays sont en train de construire des réacteurs (Bangladesh, Biélorussie, Turquie et Émirats arabes unis). Seize pays déjà nucléarisés construisent actuellement 46 réacteurs selon un temps moyen actuel de 6,7 ans, de nombreuses unités étant encore loin d’être achevées. D’ailleurs tous les réacteurs en construction dans au moins la moitié des 16 pays ont connu des retards, le plus souvent sur plusieurs années. Deux réacteurs sont répertoriés carrément comme étant « en construction » depuis plus de 34 ans, Mochovce-3 et 4 en Slovaquie, et leur démarrage a encore été retardé. Bien plus que l’unité française Flamanville-3 (le fameux EPR), mais est-ce rassurant ?

L’avenir de la filière

 

Alors qu’un nombre croissant d’installations nucléaires atteignent la fin de leur durée de vie prédéterminée et doivent être prolongées ou ferment en raison de la détérioration de la situation économique, le démantèlement des réacteurs devient une priorité. A la mi-2019, 162 des 181 réacteurs fermés dans le monde (huit de plus qu’un an auparavant) sont en attente ou à différents stades de démantèlement. Seules 19 unités ont été entièrement déclassées : 13 aux États-Unis, 5 en Allemagne et 1 au Japon. En France, le démantèlement du petit réacteur Brennilis sera encore retardé, l’achèvement des travaux devant intervenir au mieux en 2038.

C’est que la situation financière du secteur est grandement dépendante de cette partie de fin d’exploitation. Ainsi en Italie, le coût du démantèlement pour les quatre réacteurs qui étaient exploités ont presque doublé depuis 2004 pour atteindre 8,1 milliards de dollars. En Lituanie, les estimations des coûts de démantèlement de deux tranches soviétiques ont augmenté de deux tiers en cinq ans pour atteindre 3,7 milliards de dollars. Aux États-Unis, le démantèlement est carrément passé en gestion privée grâce aux ventes des réacteurs fermés à des entreprises plus ou moins spécialisées.

L’achat d’un réacteur, sa maintenance et son démantèlement inhérent sont onéreux. C’est sans doute aussi pour cela, outre l’aspect technologique à maitriser et les autorisations à obtenir, que les constructions de nouvelles centrales sont en décroissance. Un marché reste prometteur pour les promoteurs du nucléaire, surtout américains : celui des petits réacteurs modulaires. Appelés SMR, ils sont l’avenir immédiat de la filière, bien mieux que le LaserJoule, Iter et les autres projets toujours en cours de recherche. Les SMR pourraient démultiplier les opportunités de développement de la filière, c’est le souhait de leurs partisans. Ces “small modular reactor” sont en effet moins coûteux, adaptés à des besoins électriques limités, pourraient être expédiés par train ou camion, puis réexpédiés pour être ravitaillés en combustible… Ne manque que la livraison Amazon par drone… En tout cas, ils revêtent un grand espoir et sont source d’ores et déjà d’un nouveau front concurrentiel et commercial. Un premier prototype devrait bientôt être certifier aux Etats-Unis qui vise à devancer Chine et Russie sur ce créneau. Voire la France.

De tout cela, nous reparlerons.

 

Comme l’avance Schneider, et sans que la lutte des opposants y pèse vraiment, assistons-nous à une sortie du nucléaire ‘organique’ non-déclarée ?

source : WNISR

(LTO = interruption longue durée)