Un autodidacte de référence
(le rapport complet dont il est question dans la vidéo est disponible directement par là)
Tous les chemins mènent à l’atome ? Mycle Schneider s’est fait tout seul. Pourtant, si son cursus est bien différent de celui de Bernard Laponche, tout deux se retrouvent sur de nombreuses conclusions. L’intérêt du premier réside dans les données mondiales et exhaustives et l’analyse qu’il produit annuellement avec son équipe via un considérable rapport d’autorité.
L’édition 2020 du rapport revêt d’autant plus d’importance dans ce contexte crisique climatique. Une situation d’urgence climatique qui a insufflé un nouvel élan au débat sur le rôle de l’énergie nucléaire dans la production d’énergie électrique. Un débat qui fait rage entre énergies renouvelables et nucléaire dans des proportions plus ou moins mixées. Faiblement émetteur de gaz à effets de serre (GES), le nucléaire entend toujours jouer un rôle soutenu dans la protection du climat. C’est d’ailleurs ce que ne manque pas de reprocher Mycle Schneider : que les arguments ne se focalisent plus que sur cette question d’émission de CO2 et fassent abstraction des nombreux défauts et diverses critiques inhérentes à cette technologie, des risques de large contamination qu’un accident fait peser au stockage incertain des déchets sur de longues périodes, en passant par l’état des réacteurs vieillissants…
Si les rapports WNISR successifs soulignent et confirment le déclin de ce secteur industriel, le nucléaire n’en espère pas moins un rebond d’activité dans le cadre de la résolution du dérèglement climatique, avec l’aide d’innovations s’il le faut telles les réacteurs miniatures (dont nous reparlerons). Oui, il ne semble pouvoir compter que sur ce genre d’innovations pour vendre des réacteurs au plus grand nombre : ces réacteurs de faible puissance, qui pourraient satisfaire d’aucuns pour des applications dans des domaines autres que la production d’électricité, tels le dessalement et la production d’hydrogène. Il n’en reste pas moins que la question de la gestion des combustibles usés restent prégnante. Une taille réduite induit-elle nécessairement un risque plus faible ?
En attendant cet hypothétique renouveau commercial, depuis 2019 et pour la première fois de l’histoire, les énergies renouvelables (hors production hydrauliques, celle des grands barages donc) comme le solaire, l’éolien et la biomasse ont produit plus d’électricité que les centrales nucléaires, des chiffres établis également par l’AIEA elle-même.
Mais l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) n’en varie pas pour autant d’objectif : celui de promouvoir encore et toujours la constuction de réacteurs nucléaires civils. Et s’il faut selon elle augmenter l’efficacité et les investissements dans les énergies renouvelables, cela serait à ses yeux en parallèle d’une augmentation de l’énergie nucléaire. Outre les constructions nouvelles, cela passe selon ses précaunisations d’abord par une prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires existantes aussi longtemps que possible.
L’énergie nucléaire étant confrontée à un avenir incertain dans de nombreux pays, le monde risque une forte baisse de son utilisation dans les économies avancées, ce qui pourrait entraîner des milliards de tonnes d’émissions de carbone supplémentaires. Certains pays ont choisi de ne pas utiliser l’énergie nucléaire en raison de préoccupations concernant la sécurité et d’autres problèmes. Beaucoup d’autres, cependant, voient encore un rôle pour le nucléaire dans leurs transitions énergétiques, mais n’en font pas assez pour atteindre leurs objectifs.
Mycle Schneider et ses collègues soutiennent exactement le contraire. Pour eux, le nucléaire est trop lent et trop coûteux pour lutter contre le changement climatique. Voire serait contre-productif puisque l’allocation des ressources seraient déportées de solutions plus rapides et moins chères, les coûts des énergies renouvelables diminuant pendant que ceux du programme nucléaire augmente. Aussi, pour Mycle Schneider toujours, les centrales nucléaires ne peuvent fournir de l’électricité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 :
le nucléaire est la source d’électricité la moins flexible et incroyablement peu fiable [et le secteur nucléaire] est l’un des obstacles les plus puissants aux progrès futurs des énergies renouvelables.
Le choix est d’importance. Il va falloir rapidement trancher.
Le combat dans l’urgence climatique
Les besoins électriques se font de plus en plus importants, numérisation oblige. Si, pour la majorité des pays développés, l’énergie solaire est maintenant moins chère et donc plus rentable que celle produite avec du gaz naturel ou du charbon, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit dans le même temps une augmentation du rôle de l’électricité dans la consommation finale d’énergie dans les secteurs de l’industrie, des transports et des bâtiments d’ici 2040.
La bataille va donc continuer à faire rage. Au moins médiatiquement. D’un point de vue industriel, le débat est clos pour Mycle Schneider. D’abord concernant les constructions programmées ou en cours, qui confirme la stagnation de ce secteur. Ensuite pour des questions de coûts de revient (l’AIE en profite pour avouer qu’elle avait surestimé les coûts de production d’énergie solaire et que ceux-ci étaient, en fait, 20 à 50 % moins élevés qu’elle ne l’avait évalué l’an dernier).
Dans son plan 2021/2023, l’AIE vise à investir en priorité dans les énergies renouvelables et à renforcer le réseau, accélérer les nouvelles installations éoliennes et solaires et réalimenter les installations existantes. Même aux yeux de l’AIE, l’énergie nucléaire apparaît de plus en plus comme une technologie dépassée, incompatible et coûteuse, qui ne peut être concurrentielle.
Si l’avenir de la production énergétique semble ne souffrir aucun débat pour Mycle Schneider, la question politique n’est pas tranchée en France, pays d’exception nucléaire dans le monde. La pression est d’ailleurs maximale en ce moment sur la Commission européenne : il s’agit de savoir si l’énergie nucléaire peut faire l’objet d’investissements dits ‘verts’ (un terme valise renfermant pourtant une qualification administrative stricte mais qui ne peut être réduit à un simple problème sémantique). Ce combat taxinomique vise à déterminer si le combustible nucléaire est considéré comme durable ou pas, si ce type de prodution peut bénéficier de la ‘finance durable’, une grande manne sonnante et trébuchante de l’UE dédiée à des produits conformes à des critères environnementaux.
Pourquoi le nucléaire n’y est-il pas intégré jusqu’à maintenant ? Car selon la taxonomie de la finance verte de l’UE, une technologie qui veut être labélisée en ce sens ne doit « pas nuire significativement », entendu ne doit pas porter atteinte à des objectifs environnementaux. Assez clair pour éloigner le nucléaire de la liste éligible dans le cadre de cette classification d’activités économiques, fonction de l’empreinte écologique. Et si les pays sont libres de leurs choix politiques en matière de production d’énergie, les quelques dirigeants européens, Macron en tête, en ont appelé carrément à cesser d’entraver l’énergie nucléaire en en espérant un financement via les lignes vertes dédiées qui leur échappent pour l’instant. C’est que ce Green Deal est une proposition d’investissements colossale, de 1000 milliards d’euros, visant à favoriser une « économie propre et circulaire » et lutter contre le changement climatique (plan complété par le mécanisme « Next Generation » de 750 milliards d’euros pour la promotion des investissements en vue d’un « avenir vert, numérique et résilient »). Pologne , République tchèque et Bulgarie sont par exemple sur cette même tentative de prosélytisme nucléaire car ces pays ont programmés la construction de nouveaux réacteurs, dans l’objectif de se rendre moins dépendants des importations de gaz en provenance de Russie.
Alors, le nucléaire, éligible au label vert ou non ? Pour Macron, cela ne fait aucun doute selon la lettre envoyée à destination de la Commission européenne :
Nous sommes convaincus que toutes les technologies disponibles à zéro et à faibles émissions qui contribuent à la neutralité climatique devraient non seulement être reconnues mais également activement soutenues par l’Union européenne. […] Ceci est particulièrement valable pour l’énergie nucléaire, dont le développement est l’un des principaux objectifs du traité instituant la Communauté Euratom, obligeant les institutions européennes à la promouvoir.
Dans un premier temps, la Commission européenne avait missionné des experts ayant bien recommandé l’exclusion du nucléaire de la taxonomie verte. Mais son service scientifique, le Joint Research Center (JRC), avait ensuite émis un avis sur l’impact environnemental et sanitaire du nucléaire concluant que ledit nucléaire méritait un label vert, pour le plus grand bonheur des représentants du secteur : «les analyses n’ont révélé aucune preuve scientifique que l’énergie nucléaire fait plus de mal à la santé humaine ou à l’environnement que les autres technologies de production d’électricité. […] Le stockage des déchets nucléaires dans des formations géologiques profondes est jugé approprié et sûr ».
Pression maximale donc, et pas seulement dans la cuve des réacteurs et des circuits primaires… Pression gagnante ? A voir. Car les liens du JRC avec le traité Euratom sont pour le moins de notoriété et grossiers (trop ?) : la recherche nucléaire du JRC est ainsi financée principalement par le « research and training », programme d’Euratom, à hauteur de 532 millions d’euros pour la période 2021-2025 par exemple. Qu’en est-il alors de leur évaluation attendue comme objective ?
Alors que la France admet que son parc nucléaire ne sera toujours pas aux normes post-Fukushima avant 2039, le bras de fer est engagé avec force entre l’Autriche, l’Allemagne entre autres opposants à cette labelisation compte tenu du danger que revêtent les déchets et les coûts financiers des projets en constante progression, et la France (accompagnée par la Hongrie et cinq autres pays) très intéressée par le soutien que pourraient trouver EDF et Orano, largement endettés et embourbés, à recevoir de grosses subventions d’investissements.
Un moment politique crucial sans doute pour notre pays. Un tournant peut-être vital pour le secteur nucléaire français.
Mise à jour (juillet 2022) : le 6 juillet 2022, gaz et nucléaire ont été rendus éligibles dans la taxonomie verte, leur permettant de bénéficier d’investissements. L’exécutif européen aura estimé que les énergies renouvelables ne pouvaient à elles seules répondre à la problématique du changement climatique voire à la demande croissante d’électricité. Cette possibilité faite à ces moyens de production électrique reste transitoire : outre des exigences strictes, aucun permis de construire ne pourra être délivré après 2045 pour la construction de nouveaux EPR. Si cette mesure doit entrer en vigueur et s’appliquer à partir du 1er janvier 2023, certaines ONG envisagent d’attaquer ce texte devant la Cour européenne de justice.
Plan de la séquence
1’00’’ Qui est Mycle Schneider ?
5’29’’ Comment devient-on une référence pour tous, pro et antinucléaires ?
9’44’’ Comment produire un tel rapport annuellement ?
13’40’’ Tous les pays sont-ils transparents sur leurs données ?
18’30’’ Quelle place du nucléaire à ce jour dans le monde ?
23’40’’ Y a-t-il des enjeux géopolitiques ?
33’10’’ L’avenir du nucléaire passe-t-il par les réacteurs réduits (SMR) ?
40’10’’ Où en est-on du match nucléaire versus énergies renouvelables ?
43’40’’ La durée de vie des centrales existantes doit-elle être prolongée ?
52’00’’ Quelle réelle volonté politique en France vis-à-vis du nucléaire ?
54’54’’ La France restera-t-elle indéfiniment une exception mondiale ?