Que de Solutions pour les déchets

Pour ses déchets nucléaires à haute activité et à vie longue, le stockage géologique sera la solution privilégiée par la France pour les prochaines centaines de milliers d’années. Si les gouvernements ont rapidement tranché en sa faveur, d’autres tentatives n’auront pas abouti et d’autres projets auront été avortés. Des voies, plus ou moins réalistes, ont pourtant été explorées dans le monde. Revue de détails, sans prétention de leur mise en pratique et efficience…

 

D’une solution prédite comme sûre et unique, la France ne manquait pourtant pas d’autres perspectives, officiellement avancées. Toujours moins impactantes que celle de se délester de nos déchets dans les fonds marins par immersion. Mais pas toujours plus pertinentes.

// En Bref //

• De nombreuses solutions mais peu de projets retenus viables

• La gestion des déchets radioactifs reste l’épine dans le pied de la filière nucléaire

• Seul un test grandeur nature peut permettre de conclure, ce que les temps longs empêchent à notre échelle 

// En Bref //

L’idée des fonds qui refait surface

 

Plus de 200 000 fûts métalliques ont été délaissés dans les océans. Irrécupérables, il était projeté qu’ils rouillent tranquillement pendant 20 à 30 ans. Les scientifiques calculant et comptant sur les facteurs de dispersion et de dilution forts pour éviter des impacts sanitaires trop visibles.

Solution désormais interdite internationalement, l’idée aura fait son chemin de placer les colis au niveau des fosses de subduction, soit des zones actives où le plancher océanique s’enfonce dans le manteau terrestre continental. Une manière de cacher les déchets sous le tapis. Vieille des années 1970, cette perspective n’est pour l’instant pas retenue compte tenu de la vitesse réduite du phénomène géologique, à raison de 10 centimètres par an au mieux.

La solution de déposer les colis dans les grands fonds marins n’est pas plus retenue actuellement. Contrairement aux installations sous-marines accessibles depuis les terres comme cela est le cas en Finlande et en Suède.

Les hauts fourneaux naturels 

 

Larguer les matières radioactives dans un cœur de volcan, à supposer que l’accès à sa toute proximité soit rendu possible, parait à première vue une solution adéquate : ces déchets y seraient directement fondus et désintégrés. Seulement, la roche en fusion est dotée d’une forte densité et les déchets resteraient à la surface de la lave comme une pierre ponce sur l’eau. Brûlant de la sorte, les vapeurs et fumées radioactives seraient rejetées directement dans l’atmosphère sans possibilité de filtrations. Enfin, certains produits dont l’uranium lui-même ne fonderaient tout simplement pas à de telles températures : la température de la lave est généralement d’environ 1 200 à 1 300°C alors que l’uranium fond au-delà.

Un Soleil plus radieux 

 

Le Soleil quant à lui possède certainement une température suffisante pour fondre tout matériau terrestre, uranium compris. Dans ce cas, outre la faisabilité technique de pouvoir envoyer en de si longues distances des convois et son coût (compter en ce moment 2500 dollars pour 1 livre de matériel), le risque réside entièrement dans l’échec d’un décollage voire l’explosion d’une fusée dans l’atmosphère, la chute de sa cargaison avant que d’avoir échappé à la gravité occasionnant des dégâts sanitaires incommensurables. Avec un taux actuel d’échecs de lancement de fusées compris entre 4 % et 10 %, le risque est bien plus important que celui d’un accident majeur, même avec une probabilité de ce dernier sujette à caution.

De la mauvaise confiture pour l’espace

 

Dans les années 1970 et 1980, cela a été sérieusement envisagé par l’agence spatiale américaine (Nasa) elle-même. Plusieurs destinations ont été envisagées, telles la surface de la Lune (accessible en quelques jours), mais également par-delà le système solaire.

Dans le même ordre idée que pour l’envoi à destination solaire, le problème était de parer à tout accident du moyen de locomotion, un risque pas seulement hypothétique donc. Mais également de ne pas retenir la solution de mise en orbite basse, pour des raisons d’accident atmosphérique probable. Si, compte tenu de son coût prohibitif, la Nasa a abandonné le programme de recherche, l’idée de débarrasser définitivement la Terre des déchets radioactifs les plus nocifs continue à intéresser quelques pays.

Une solution glaçante

 

Ne reculant devant aucune éventualité, il était cette fois question de déposer les colis de déchets sur ou dans les calottes polaires de l’Antarctique et du Groenland. La chaleur dégagée par la radioactivité provoquant la fusion des glaces, subséquemment la descente progressive des déchets au cœur de la glace et leur emprisonnement du fait du regel de l’eau à l’issue de leur passage, les conteneurs devaient pouvoir se retrouver peu à peu emprisonnés. Mais pas que.

(source : IRSN)

Depuis, les scientifiques ont mis en évidence la présence, dans les glaces, de poches salées susceptibles de corroder rapidement les aciers. Ils ont aussi alerté sur l’impossibilité de garantir la durabilité des calottes sur des centaines de milliers d’années, surtout en ce contexte de dérèglement climatique que nous avons du mal à encadrer en notre échelle de temps restreinte… Ajoutons qu’il est fait stricte interdiction de déposer des déchets radioactifs au pôle Sud depuis 1959.

Les mettre bien profondément

Il est cette fois question de forages. De forages extrêmement profonds. De l’ordre de quatre à cinq kilomètres sous la surface terrestre. Creusés, ces puits verticaux accueilleraient les déchets afin de les isoler de la biosphère par le truchement d’une fermeture définitive composée de différents éléments finaux (béton…), comme conçu dans le cadre du stockage géologique de Bure. Des variantes existent selon que l’on vise à placer des déchets exothermiques (dégageant de la chaleur) dans une roche magmatique formant une gangue vitreuse, à injecter des déchets liquides dans une couche rocheuse perméable, ou encore à empiler des colis de déchets solides et conditionnés dans ce type de forage. Tous ces concepts ont déjà été étudiés aux Etats-Unis de manière forcément hautement scientifique, mais seule la troisième variante fait encore l’objet de travaux .Un type de stockage que les promoteurs voudraient privilégier car ils sont ainsi rendus indépendants les uns des autres, ce qui parait adéquat pour enfouir de petits volumes de déchets de faible activité (FA) et plus rapides à concevoir qu’un dépôt géologique profond, supposément adossé à des techniques de percement minier plus longs et complexes.

(source : Deep Isolation)

Une autre solution consiste à prolonger le forage vertical d’un angle droit pour faire transiter les colis horizontalement.

Toutes ces techniques n’ont pas fait l’objet de travaux spécifiques en France, deux autres axes ayant été évoqués dans la loi Bataille de 1991 avec l’enfouissement sans plus de finalité : l’entreposage de longue durée (ELD) et la transmutation.

 

L’entreposage de longue durée

 

C’est la solution que préconisent les opposants à l’enfouissement et qui devait être étudié dans les mêmes termes, d’après les dispositions légales originelles. L’entreposage à sec peut être opéré en surface ou à faible profondeur (sub-surface ou sous collinaire, soit 10 à 150 mètres de profondeur), une solution préconisée par Bernard Laponche.

Par opposition au stockage définitif, un tel entreposage serait conçu comme temporaire, permettant toute réversibilité et/ou récupérabilité en cas de défectuosité des conteneurs et colis. C’est ce que l’on nomme la sûreté active (maintenance et surveillance actives), contrairement à la sûreté passive qui consiste à empêcher l’accessibilité d’un site d’entreposage profond par le bouchage de l’entrée des galeries, comme cela est programmé dans le projet Cigéo.

La question est de savoir si cette solution peut s’inscrire sur de longue durée (quelques centaines d’années), voire être pérennisée. Les Pays-Bas, l’Ecosse, l’Italie ou encore les Etats-Unis envisagent un entreposage à long terme pour laisser la possibilité aux scientifiques et chercheures de réaliser des progrès dans le traitement des déchets.

Pendant ce temps, EDF anticipe des échéances à fortes contraintes : les piscines d’entreposage de La Hague devant être saturées d’ici 2030 selon l’ASN, un projet de Piscine d’Entreposage Centralisé (PEC) s’élabore dans l’urgence (mais pas avant 2034… Cherchez l’erreur). Une forme d’entreposage d’ELD, intermédiaire te temporaire, l’eau en supplément. La PEC concernerait les combustibles usés « valorisables », car l’espoir demeure pour la filière d’utiliser tous les produits en un cycle vertueux. L’ampleur des rachats de terre en cours en diverses zones géographiques atteste depuis mars 2018 des velléités d’EDF, avec l’aide active de la SAFER Centre-Val de Loire, face à la résistance qui s’organise. Une convention laisse entrevoir que ce type d’accaparement des terres pourrait s’étendre à d’autres régions hébergeant des centrales nucléaires, comme cela est en cours via la SAFER Rhône-Alpes (à proximité des réacteurs de Bugey), dans la Moselle (Cattenom), dans le Tarn-et-Garonne (CNPE de Golfech)… Ce projet est d’importance voire s’avère vital pour EDF en ce qu’il concernerait les 10 000 tonnes de déchets nucléaires non comptabilisés et représentant les rebuts qui ont été obtenus par le retraitement de matières combustibles déjà usées (MOX partiellement utilisé dans 22 réacteurs, les plus anciens, Uranium de Retraitement URT expérimenté de 1994 à 2013 sur les réacteurs de la centrale de Cruas en Ardèche, combustible des Réacteurs à Neutrons Rapides RNR expérimenté de 1985 à 1998 dans le réacteur Superphénix). Ce genre d’entreposage vient compléter les piscines de refroidissement des combustibles déchargés, déjà existantes.

En France, l’option d’entreposage en surface ou sub-surface a été étudiée par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), mais abandonnée dès 2006 à la faveur du seul stockage en couche géologique profonde pour les produits à haute activité et à vie longue (HA-VL).

Séparation, transmutation et fulguropoings

 

Les attentes sont énormes sur ce thème de recherche, troisième axe de la loi Bataille : cette solution pourrait justifier l’entreposage de longue durée comme solution d’attente. L’idée est de séparer, au sein du combustible nucléaire usé, les éléments les plus radiotoxiques (produits de fission, actinides mineurs, plutonium), puis de les transformer par capture neutronique en noyaux stables ou à vie plus courte par exemple, en utilisant de futurs réacteurs à neutrons rapides (RNR), ou encore des réacteurs dédiés couplés à un accélérateur de particules.

(source : IRSN)

Cette filière a été étudiée par plusieurs pays, notamment, en France par le CEA mais aura été mise hors-jeu pour préférer l’enfouissement en profondeur, faute d’état des connaissances assez avancées pour prétendre l’adapter dans un avenir proche.

La transmutation par le truchement d’un laser a réinitialisé l’intérêt des débouchés de cette solution, valant le prix Nobel de physique à Gérard Mourou. En théorie, le regain de neutrons aux éléments radioactifs les rendrait à nouveau stables, le laser à très haute intensité permettant de réduire la durée de vie des matières et déchets radioactifs. Un doux projet rêvé, évitant transports vers l’usine de La Hague et surtout stockage en profondeur, mais qui suppose que le traitement par un rayon laser de haute intensité permettrait de faire passer la radioactivité d’un million d’années à 30 ans

Finalement, la France s’en remet à Cigéo, retenu comme seule solution au problème des déchets, son horizon à moyen terme n’étant pourtant pas encore assurément industrialisable.

Des milliers de colis dans le même panier

 

Dans le monde entier, le problème final reste identique : aucune solution viable de gestion des déchets nucléaires à haute activité n’existe encore. De toutes ces solutions plus ou moins probantes, seul le projet industriel d’enfouissement aura été retenu en majorité, sans jamais être remis en cause au plus haut niveau de l’État français en particulier.

Le nucléaire a-t-il atteint un obstacle épistémique ? Rien ne semble permettre d’affirmer qu’un projet va fonctionner avec assurance et tout au long de sa longue période, que la sûreté d’une installation industrielle sera complète. Par définition, compte tenu des temporalités extrêmes, les tests grandeur nature ne peuvent que faire défaut à la démonstration. En termes de stockage des déchets radioactifs, les connaissances en des domaines si divers (hydrogéologie, géochimie, physique des matériaux…) ne peuvent raisonnablement déboucher sur un consensus scientifique, ne peuvent ‘prouver’ en quoi l’enfouissement serait la bonne solution. Malgré cela, l’entreposage de longue durée et la transmutation auront été rapidement écartés des études.

Avec le projet Cigéo, tout l’enjeu consiste à montrer que le temps de la migration des éléments radioactifs du stockage jusqu’à la surface est plus long que la durée nécessaire à la diminution de la radioactivité des déchets au-dessous d’un certain seuil. L’absence d’alternatives à cet enfouissement aura alors mené à l’opposition du projet, outre les risques et controverses. Mais nous pouvons nous rassurer que certaines solutions soient arbitrairement bannies.

(Projet Spin Launch)