Audrey Vernon : Fukushima, Work in progress 

Actrice et scénariste, Audrey a choisi de mettre en scène un pamphlet sur la catastrophe de Fukushima. Une réussite théâtrale. Dans la forme. Et surtout dans le fond.

Depuis son premier spectacle (‘Le spectacle le plus drôle du monde‘, pour mémoire), l’ironie et la critique décalée sont sa marque de fabrique. Ne s’en départissant pas, elle crée en mai 2015 un nouveau projet avec le concours sur scène de Xavier Mathieu : Fukushima, Work in Progress, une légende japonaise, pièce qui revient sur le 11 mars 2011 et les jours qui lui auront succédé.

Diatribe écologico-humoristique, pointant l’irresponsabilité du capitalisme sous les habits de Tepco, elle y souligne les dérives de nos sociétés occidentales impactant autrui en général, un travailleur japonais ici en particulier.

Spectacle réussi en ce qu’il conjugue en moins d’une heure une densité d’informations, une richesse de réflexions. Un résultat qui révèle toute sa pertinence, quand d’autres se confondent en articles abscons. Efficience maximale.

La pièce

 

(source : ImagoTV)

L’interviouve 

 

(rencontre du 15 décembre 2021, à la Nouvelle Seine)

Après des mois de travail sur les bulletins d’informations publiés par l’IRSN ou via un blog dédié, nourrie par la lecture de livres et de récits originaux, la gestion de la crise nous est retranscrite sous ses multiples aspects techniques. Audrey Vernon retrace cette intendance de la catastrophe à travers un duo qui s’affronte indirectement : d’un côté, le paysan nippon dans sa priorité vivant au quotidien avec les conséquences de la contamination, de l’autre les responsables du désastre par leurs décisions prises au siège social de Tepco.

  Ce qui était intéressant, c’était de comprendre comment ça fonctionne et pourquoi ça n’a pas fonctionné. […] J’ai été effarée quand ils vont chercher les batteries de voitures pour les brancher sur les réacteurs. C’est fou, c’est drôle, c’est tragique, c’est ridicule. Quand je trouvais des détails, pour moi c’étaient des pépites, parce que je savais que le théâtre allait naître de toutes ces choses. […] La catastrophe de Fukushima est intéressante comme tant d’autres mais en plus spectaculaire.

La pièce met un exergue un rapport au risque insoupçonné, souligne une forme d’imprévision de l’impossible, conjuguée à une improvisation navrante. Non sans conséquence en pareille situation accidentelle. De là à conclure qu’une telle gestion revient à arroser une passoire avec un brumisateur, il n’y a qu’un pas : les procédures pour contenir la catastrophe sont tournées en ridicule par le truchement d’objets infantiles, des jouets, comme autant de solutions amatrices face aux enjeux.

  Le système technicien est trop complexe. Il ne peut fonctionner [malgré] les protocoles, les bibles de fonctionnement. Le facteur humain a bon dos. Quand on voit qu’il suffit qu’une centrale n’ait pas d’eau ou d’électricité pendant trois heures trente pour qu’il y ait une catastrophe nucléaire majeure, on voit bien que la menace est beaucoup trop grande. Qui peut être sûr qu’il y aura toujours de l’électricité, de l’eau en abondance pour refroidir les centrales ? C’est impossible d’être sûr de ça. […] On peut jamais être sûr qu’il n’y aura jamais de problème. D’ailleurs, il y a des problèmes tout le temps en France.

In fine, il est permis de se demander qui est le plus cynique : la metteur en scène en sensibilisant sur cette catastrophe et les moyens inappropriés apportés pour la stopper ou les personnes responsables qui ne payeront qu’une infime partie de la facture finale, qu’elle soit financière, économique, sociale, sanitaire…

Depuis ?

 

Audrey Vernon poursuit sa quête engagée en rendant accessibles ses productions, en portant ses réflexions lors de représentations au coeur de conflits salariaux, environnementaux. C’est le cas quand elle fait action de soutien à Lubrizol, dans l’usine en grève de Fralib, en une ZAD près de Besançon…

En janvier 2018, elle participe à l’événement Écologie, maintenant il faut se battre, une lecture autour des textes d’écologie radicale jouée par 13 comédiens, à La Maison des Métallos (Paris).

A la faveur de la crise sanitaire, Audrey Vernon a créé un podcast dédié à la lecture d’extraits d’essais et d’articles consacrés au capitalisme et au néolibéralisme, à l’emprise de l’économie sur la planète et les êtres.

Elle réfléchit actuellement à porter sur les planches l’histoire de Hannah Arendt.