Enfouie, la Contestation ressort verdoyante
Le projet Cigéo procède par excavations de mètres cubes, par acquisitions et conquêtes de terres agricoles, par versements de subventions. Et par acharnement policier, administratif et judiciaire contre les derniers esprits réfractaires à l’avancée de la solution d’enfouissement des déchets nucléaires les plus dangereux. Imprévus dans la machinerie ? Les militants ont tous été relaxés, les coûts du projet sont révisés à la hausse et la filière n’a jamais été aussi hantée de doutes sur ses capacités à mener à termes ses colossaux objectifs industriels.
(délibéré du jugement)
L’affaire est maintenant définitivement entendue, la conclusion est sans appel. Ou plutôt si justement : la Cour d’appel de Nancy vient de relaxer les trois derniers prévenus.
Après huit ans de subterfuges policiers pour faire chuter une mobilisation de résistance à Cigéo, de procédures judiciaires lourdes et impactantes, d’une caractérisation des agissements élevée au haut rang d’entreprise de malfaiteurs, au prix de centaines de milliers d’euros dépensés, de dizaines d’agents mobilisés durant des années, de conséquences sur la vie quotidienne de militants engagés dans une lutte contre ce qui leur apparait comme une grande gabegie industrielle, environnementale et financière… la montagne de strates empilés et pliés par le pouvoir autour de simples citoyens d’argile faisant corps pour se dresser face au colosse d’acier inoxydable, cette montagne n’aura pas accouché d’une souris, ni même d’un souriceau. Elle n’aura émis, disons-le vulgairement, que le relâchement foireux d’un gaz du Trias enfoui dans les limbes de cerveaux zélés disponibles.
Nous l’avons décortiqué en tous sens : le projet est gigantesque. Les moyens pour l’imposer sont rassemblés en proportion des enjeux pour EDF, l’Andra, la filière nucléaire… l’Etat quoi, à faire sortir de terre ce site d’enfouissement. Car les solutions sont désormais réduites à ce seul plan industriel. Après des années de tergiversations pour trouver une solution au cycle incomplet du combustible fissile, les stratégies auront consisté à acheter les terres et les esprits pour entreposer les déchets les plus radioactifs, cependant que les autres types de stockage débordent. Une situation qui interroge anthropologiquement et philosophiquement.
// En Bref //
• Un dossier construit à charges, une relaxe in fine faute d’éléments probants
• Les opposants se remobilisent sur la base de cette victoire judiciaire
• Une lutte de 150 ans à prévoir ?
• Le projet Cigéo est calibré pour s’adapter à tous les obstacles : budgétaire, industriel, technique, fonctionnel…
// En Bref //
Le riche humus de la contestation
Vieux de 2021, nous ne saurions trop vous conseiller de relire notre article sur le procès intenté contre les malfaiteurs présumés. Assister aux débats contradictoires suffisait à quiconque de se faire une idée complète du dossier empli de vastes montages et constructions intellectuels élaborés pour constituer une accusation légère et mousseuse qui n’aura été vivace que dans la tête des enquêteurs.
Que dit ce jugement ultime que nous nous sommes procurés ? Quelles conclusions définitives viennent clouer le colis de paperasses hautement idéologiques vouées à finir en compost ?
[Des] délits de complicité de détention en bande organisée de substances ou de produits incendiaires ou explosifs en vue de la préparation d’atteintes aux personnes ou de dégradations, association de malfaiteurs, organisation d’une manifestation sans déclaration préalable et attroupement sans arme malgré sommation à se disperser, [… le tribunal infirme le jugement d’avoir commis le seul délit final retenu, sans port d’armes,] d’organisation d’une manifestation sans déclaration préalable et d’attroupement, [d’avoir] volontairement participé à un attroupement après les sommations de dispersion.
Voilà le peu d’acte d’accusation qu’il restait de ces affaires, pour seuls trois des prévenus initiaux, bien loin des accusations originelles. Outre le dossier finalement vidé de ses substances constituées d’une eau comme seul comburant, la régularité des sommations elle-même n’était pas considérée suffisamment constituée par le tribunal. Les forces de l’ordre auront manqué jusqu’à la procédure la plus simple de ce premier élément à charge.
Forts de cette victoire, couteuse à bien des égards pour les inculpés, les opposants envisagent de reprendre le chemin des manifestations dès le 20 septembre 2025 prochain.
Une lutte de 100 000 ans
A ce jour, le Conseil d’Etat a statué favorablement sur la maitrise pleine et entière du projet, malgré les interrogations et doutes en suspens émis et sur lesquels l’ASNR, nouvelle autorité présidée par l’ancien directeur de l’Andra, devra rendre un avis définitif après étude de la demande d’autorisation de création (DAC). Les planètes sont curieusement forcées à un alignement bienveillant pour mener à bien le projet Cigéo.
En attendant, les menus travaux se poursuivent, à un rythme peu soutenu. Il faut dire que les délais calendaires finaux sont larges. Notre reportage de terrain, dédié à la future voie ferrée, avait montré combien ce dense dossier rend même complexes les éléments les plus annexes.
La revalorisation de la facture finale ne change rien à cette fuite en avant : le budget s’élèvera entre 26 et 37 milliards d’euros. Une étonnante fourchette de 11 milliards, en euros constants. Autant dire que le budget sera amené à croitre face aux coûts de fonctionnement (prévus de façon fort limités dans la projection budgétaire), de ceux des matières premières (qui ne manqueront pas d’augmenter), aux intérêts financiers (voués à être révisés), à l’inflation (attendue s’accumulante plus de cent ans durant).
L’ASNR demandera-t-elle à l’Andra de réviser sa DAC pour répondre de manière satisfaisante à quelques éléments de sûreté et de sécurité pressentis comme incomplets et/ou dysfonctionnant par les opposants ? L’Andra y pourvoira d’autant plus facilement elle-même que tout cela est prévu. Aussi, les déchets les plus dangereux des futurs EPR2 devront être intégrés, occasionnant de futurs travaux d’extension non compris dans cette première demande d’autorisation. Un volume peu anodin à prendre en compte : selon la dernière Programmation pluriannuelle de l’énergie (une PPE enfin parue après moultes retards illégaux), la production de déchets MA-VL devrait être supérieure de 4 à 6 %, la poursuite fortement souhaitée du fonctionnement des douze réacteurs censés être mis à l’arrêt avant 60 ans entrainerait une hausse de 2 à 5 % des déchets HA et de 1 % des déchets MA-VL.
L’Autorité de Sûreté (ASNR) procède depuis quelques mois à la lecture minutieuse et gargantuesque des 41 volumes de la DAC, 12 000 pages décortiquées tant que faire se peut par les citoyens les plus motivés durant des phases de concertation toujours calibrées. Les points de vigilance relevés par l’IRSN et l’Autorité environnementale doivent être confirmés ou infirmés, tels les méthodes de creusement des puits, le scellement des alvéoles, le temps de dégradation des colis dans les alvéoles, les risques en cas d’incendie, de chute d’un emballage ouvert ou de l’inflammation d’un colis de déchets bitumés, les manutentions et phases de réemballage, la tenue de matériels techniques et les moyens de les réparer dans des zones inaccessibles et hautement radioactives sur d’aussi longues périodes, les moyens d’acheminement des déchets venant de toute la France, notamment de La Hague… Quant aux conséquences éventuelles dues au changement climatique sur des échelles de temps aussi importantes, elles ne sont pas du tout considérées.
Les années oxyderont-elles les opposants ?
Des années de lutte continuelles sont d’ores et déjà à prévoir pour les opposants, eu égard aux échéances administratives programmées avant la construction et la mise en fonctionnement.
D’ici là, la motivation ne devra pas faiblir cependant que le projet sera sans doute remodelé, révisé, à revalider. Outre l’intégration des futurs EPR2, cela dépendra de la poursuite ou pas du retraitement des combustibles usés, en monorecyclage (le combustible n’est retraité qu’une fois, comme actuellement) ou en multirecyclage (le combustible est retraité autant de fois que possible). Ces phases de retraitement permettent de réinjecter un combustible réenrichi dans certains réacteurs, à base d’uranium de retraitement et du plutonium (le Mox). Ce processus est avantageux pour la filière et est espéré autorisé pour d’autres réacteurs que ceux auxquels cela était initialement et strictement dédié.
Le mono ou multirecyclage (ce dernier process est encore hypothétique, aucune installation n’existant en France à cette fin) produit également des déchets ultimes hautement radioactif, vitrifiés et entreposés sur place dans l’attente d’un stockage au centre d’enfouissement Cigéo.
Sans retraitement, tout l’assemblage de combustible usé est considéré comme déchet, tous les combustibles usés des futurs EPR2 également, et le volume total s’en trouve d’autant plus volumineux, avec un impact alors plus grand sur l’emprise du site et les zones de stockage à construire, sur le budget inhérent de Cigéo.
L’Andra reste optimiste car les règles sont en sa faveur : le développement de Cigéo est prévu progressif par principe, via des études d’adaptabilité comprises dès cette phase de DAC.
Le début de construction est projeté pour les alentours de 2030, une première mise en stockage autour de 2040 et un stockage des déchets de haute activité à partir de 2080. De quoi permettre d’intégrer toutes évolutions possibles et imaginables, ajuster le projet à mesure et redonner du grain à moudre aux opposants dont la mobilisation doit alors s’entendre comme illimitée et efficiente.